N° 11977 du rôle Inscrit le 4 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000
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Recours formé par Monsieur … NIJAT, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11977 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2000 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NIJAT, né le … à …/ancienne République yougoslave de Macédoine, déclarant être de nationalité albanaise, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 février 2000, notifiée le 7 mars 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 4 avril 2000;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2000;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 juin 2000 au nom du demandeur;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 21 juillet 1999, Monsieur … NIJAT, né le … à …/ancienne République yougoslave de Macédoine, déclarant être de nationalité albanaise, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
1 Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, ainsi que par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le 12 janvier 2000, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable.
Par décision du 28 février 2000, notifiée le 7 mars 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur NIJAT de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Me ralliant à l’avis émis le 12 janvier 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».
Par lettre du 28 mars 2000, le mandataire de Monsieur NIJAT introduisit auprès du ministre de la Justice un recours gracieux contre la décision précitée du 28 février 2000.
Faisant suite au prédit recours gracieux, le ministre de la Justice confirma par lettre du 4 avril 2000 à l’adresse du mandataire de Monsieur NIJAT sa décision initiale de refus.
Par requête déposée en date du 4 mai 2000, Monsieur NIJAT a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions précitées du ministre de la Justice des 28 février et 4 avril 2000.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.
Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est de nationalité albanaise, qu’il est venu au Luxembourg le 15 octobre 1996 muni d’un visa touristique, qu’à cette époque, il n’aurait pas encore été inquiété par les autorités de son pays de provenance, que ce ne serait qu’en juin 1999, qu’il aurait appris qu’il serait recherché par la police, en raison du fait qu’en 1995, il « faisait du transport d’armes de la frontière albanaise à la frontière macédonienne » et que la police aurait eu connaissance de cette activité par la déposition d’un de ses « complices » qui l’aurait dénoncé pour obtenir une réduction de peine.
2 Sur ce, il conclut que « à présent les autorités ont connaissance [de ses] (…) activités de transport d’armes (…) [et il ] risque d’être condamné à de lourdes peines de prison et à la maltraitance, alors que le transport d’armes est sévèrement jugé en Macédoine ».
Il conclut en premier lieu à l’annulation des deux décisions litigieuses pour violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, lesquels prévoiraient explicitement l’obligation de motiver les décisions rendues en matière d’asile et que le ministre aurait failli à cette obligation.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen d’annulation pour manquer de fondement.
Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que la décision initiale du 28 février 2000 ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, et qui a été annexé en copie à la prédite décision, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur (v. trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 35, page 261, et autres références y citées). - En effet, le ministre de la Justice, en faisant siennes les conclusions de la prédite commission consultative, a donc basé sa décision de refus sur ces mêmes motifs, lesquels ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Par ailleurs, le fait par la décision du 4 avril 2000 de confirmer purement et simplement la décision initiale, implique que cette deuxième décision se base sur les mêmes dispositions légales et réglementaires ainsi que sur les mêmes motifs que ceux sur lesquels s’est basée la décision initiale.
L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond des deux décisions de refus d’accorder le statut de réfugié politique.
Sous ce rapport, le demandeur estime qu’il remplirait les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève au motif qu’il ressortirait de son dossier qu’il risque de subir de persécutions du fait de son activité de « transport d’armes » et, plus particulièrement une peine de prison disproportionnée avec la gravité des faits. Il soutient encore qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir « expliqué les motifs du trafic d’armes effectué par lui », mais que « le doute doit profiter au requérant » et qu’il « résulte de ce principe qu’en l’absence de précision de la part de Monsieur NIJAT sur ses motivations à effectuer un trafic d’armes, et en l’absence de preuve, il y a lieu de présumer que celui-ci l’a fait en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou en raison de ses opinions politiques, c’est à dire présumer que les motifs à ces agissements entrent dans le cadre de la convention de Genève, et sont générateurs de persécution ».
3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur NIJAT et que le recours laisserait également d’être fondé sous ce rapport.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur NIJAT lors de son audition du 21 juillet 1999, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Dans ce contexte, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève que le demandeur a déclaré ne jamais avoir eu des activités ni même des opinions politiques, mais qu’il invoque uniquement sa participation à un trafic d’armes, sans autrement indiquer un quelconque motif de persécution tel que prévu par la Convention de Genève. - Dans ce contexte, le demandeur se méprend sur son rôle dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile et sur les règles de preuve régissant cette matière. En effet, s’il est vrai que la charge de la preuve ne saurait résider uniquement dans le chef du demandeur d’asile, mais qu’il doit y avoir une collaboration entre les autorités étatiques et le demandeur et une évaluation de la situation personnelle du demandeur, tenant notamment compte de la pertinence des faits allégués, et une appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur, ce dernier ne saurait en aucun cas rester muet et soutenir qu’en l’absence de preuve du contraire, il faudrait présumer une persécution.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
4 se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;
le déclare également recevable en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2000, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5