N° 11975 du rôle Inscrit le 3 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000
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Recours formé par Monsieur … KASTRATI, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11975 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2000 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … KASTRATI, né le … à …(Albanie), de nationalité albanaise, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mars 2000, notifiée le 18 avril 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2000;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul REITER en ses plaidoiries.
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Le 2 juin 1998, Monsieur … KASTRATI, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu en date du 5 juin 1998 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 8 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
1 Le 23 février 2000, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable.
Par décision du 21 mars 2000, notifiée le 18 avril 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur … KASTRATI de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Me ralliant à l’avis émis le 23 février 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».
Par requête déposée en date du 3 mai 2000, Monsieur … KASTRATI a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 mars 2000.
Etant donné que l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision déférée, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est de nationalité albanaise, originaire de Shkoder, que, membre d’une équipe d’athlétisme, il aurait quitté son pays d’origine à la fin du mois de mai 1998 pour se rendre au Grand-Duché de Luxembourg en vue de la participation à une compétition sportive européenne et qu’il a profité de son séjour au Luxembourg pour introduire une demande d’asile.
Il fait encore exposer qu’il aurait été, de même que son père, un membre actif du parti démocratique et qu’à cause de cette adhésion, il aurait subi des pressions et des harcèlements par les partisans du pouvoir en place, que son père aurait été licencié de son poste de directeur d’un lycée, qu’en octobre 1997, il aurait été, ensemble avec son père, arrêté par la police au cours d’une manifestation et retenu pendant deux jours, qu’en décembre 1997, à cause de ses activités politiques, il aurait été expulsé de son université, agressé physiquement et menacé de représailles s’il continuait ses activités.
Le demandeur estime que lesdits faits établiraient une persécution pour des motifs politiques au sens de la Convention de Genève et, il conclut à la réformation de la décision querellée pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
2 Enfin, le demandeur ajoute encore qu’il serait bien intégré au Luxembourg et qu’il serait en train de rechercher un emploi.
Le représentant étatique soutient que les faits allégués ne seraient pas de nature à justifier une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’en tout état de cause l’argumentation aurait perdu toute pertinence, au motif que la situation actuelle régnant en Albanie ne saurait être comparée à celle qui existait en 1997 et 1998 et qu’une persécution politique serait quasi inexistante.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KASTRATI lors de son audition en date du 8 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, les faits en rapport avec sa participation à une manifestation - non autrement précisée - en octobre 1997, son arrestation subséquente pendant deux jours par la police et les menaces proférées à son égard ne sont pas d’une gravité telle que le demandeur justifierait que sa vie serait devenue intolérable dans son pays d’origine.
Les autres faits invoqués par le demandeur, à les supposer vrai, en rapport avec une attaque, en décembre 1997, par « trois personnes en civil » (cf. rapport d’audition page 4), s’inscrivent dans un contexte de criminalité répandue en Albanie, sans que le demandeur n’établisse à suffisance de droit des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de ses convictions politiques.
Enfin, les arguments tirés de la volonté et du degré d’intégration du demandeur d’asile au Grand-Duché de Luxembourg ne sont pas pertinents et doivent partant être écartés au motif 3 que la volonté et le degré d’intégration dans le pays d’accueil ne constituent pas des motifs de reconnaissance du statut de réfugié politique.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Il y a encore lieu de relever que le mandataire du demandeur ne s’est pas présenté à l’audience, mais a sollicité, par écrit, la prise en délibéré de l’affaire. Etant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite, le fait qu’une partie n’a pas comparu à l’audience reste sans conséquence sur le caractère contradictoire de la décision à rendre, dès lors que toutes les parties ont déposé un mémoire, l’objet du recours et les moyens invoqués résultant à suffisance de droit des actes de procédure.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;
le déclare également recevable en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2000, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 4