N° 11970 du rôle Inscrit le 2 mai 2000 Audience publique du 11 octobre 2000
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Recours formé par Monsieur … MEHMETTI, et son épouse, Madame …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11970 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MEHMETTI, né le … à … (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave et demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2000, notifiée le 15 février 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que contre une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 27 mars 2000, notifiée au mandataire des demandeurs le 30 mars 2000;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2000;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 8 février 1999, Monsieur … MEHMETTI, né le … à …(Kosovo), et son épouse, Madame …, née le … à … (Kosovo), tous les deux originaires du Kosovo, de nationalité yougoslave et demeurant actuellement à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Les époux MEHMETTI-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire qu’ils ont suivi pour venir au Luxembourg.
1 Monsieur … MEHMETTI fut entendu en date des 8 et 16 avril 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande. Son épouse fut entendue en ses déclarations en date du 8 mars 1999.
Le 22 octobre 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable.
Par décision du 5 janvier 2000, notifiée le 15 février 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame MEHMETTI-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».
Par lettre datée du 14 mars 2000, Monsieur et Madame MEHMETTI-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 janvier 2000.
Par décision du 27 mars 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
Par requête déposée en date du 2 mai 2000, les époux MEHMETTI-… ont introduit un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 5 janvier et 27 mars 2000.
Les demandeurs font exposer qu’ils sont de nationalité yougoslave, originaires du Kosovo et de religion musulmane, qu’ils auraient été membres du parti « LDK », que Monsieur MEHMETTI aurait eu un rôle actif au sein de ce parti, qu’en raison de leurs convictions politiques et du rôle actif de l’époux, ce dernier aurait subi de nombreuses arrestations et mauvais traitements par la police serbe et que même à l’heure actuelle, il y aurait un risque de persécution, étant donné que dans leur ville d’origine, …, les règlements de comptes à connotation politique seraient nombreux et qu’il y aurait un risque de mesures de représailles émanant des personnes se revendiquant du « clan serbe » ou encore de celles se revendiquant de l’«UCK », étant précisé que ces dernières s’affronteraient actuellement avec les sympathisants du «LDK ».
Il convient de relever que Madame … soutient également avoir subi des actes de persécution en raison de son adhérence au « LDK » et du rôle actif de son mari. Elle soutient plus particulièrement qu’elle aurait été agressée physiquement et perdu son enfant.
Les demandeurs concluent à la réformation des deux décisions litigieuses pour « violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».
2 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MEHMETTI-… et que le recours laisserait d’être fondé.
Etant donné que l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa version applicable au moment de la prise des décisions déférées, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.
En l’espèce, il est vrai que l’examen des déclarations faites par les époux MEHMETTI-
… lors de leurs auditions respectives en date des 8 et 16 avril ainsi que du 8 mars 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, amène le tribunal à conclure que les demandeurs ont fait état de raisons personnelles suffisantes de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée de persécution du fait de leur appartenance ethnique et de leurs activités politiques au moment de leur départ de leur pays d’origine. En effet, en admettant la véracité de leurs récits, non autrement contestés sous ce rapport, relatifs à de nombreuses chicaneries, arrestations, menaces, représailles et brutalités du fait de leur origine ethnique, de leurs convictions politiques et du rôle actif joué par Monsieur MEHMETTI et, plus particulièrement, d’une fausse couche de son épouse - alors qu’elle était enceinte au 7ème mois - en raison de coups et blessures qui lui ont été portés par la police serbe, le tribunal estime qu’un risque de persécution ne saurait être dénié au moment du départ des demandeurs.
Cependant, en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est encore appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que la commission consultative pour les réfugiés et le ministre de la Justice, - qui s’est rallié à l’avis de ladite commission -, ont relevé que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine de répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, 3 de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, et qu’il convient d’en conclure que les demandeurs ne peuvent plus faire état d’un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de leur crainte de subir de la part des autorités serbes des actes de persécution du fait de leur appartenance ethnique et de leurs appartenance et rôle politique.
En ce qui concerne plus spécialement le prétendu risque actuel de subir des persécutions de la part d’un groupe de la population à leur encontre et, partant, d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution, il convient de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).
En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo.
Par ailleurs, il y a lieu de relever que même à admettre qu’à l’heure actuelle, il est toujours difficile pour un membre de la communauté musulmane et albanaise du Kosovo, originaire de la région de Mitrovica, de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité dans cette ville, les demandeurs restent en défaut d’établir des raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.
4 Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2000, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5