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09/10/2000 | LUXEMBOURG | N°12036

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 octobre 2000, 12036


N° 12036 du rôle Inscrit le 5 juin 2000 Audience publique du 9 octobre 2000

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Recours formé par les époux … HADJARPASIC et …, Septfontaines contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12036 du rôle, déposée le 5 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux

… HADJARPASIC, né le … à … (Monténégro), et …, née le … à … (Monténégro), agissant tant en leu...

N° 12036 du rôle Inscrit le 5 juin 2000 Audience publique du 9 octobre 2000

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Recours formé par les époux … HADJARPASIC et …, Septfontaines contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12036 du rôle, déposée le 5 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … HADJARPASIC, né le … à … (Monténégro), et …, née le … à … (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfant mineur … HADJARPASIC, née le … à … (Monténégro), tous de nationalité yougoslave et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 janvier 2000 portant rejet de leur demande en octroi du statut de réfugié politique, ainsi que pour autant que de besoin contre une décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de trois mois à la suite de leur recours gracieux déposé le 3 février 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2000.

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Le 18 janvier 1999, les époux … HADJARPASIC, né le … à … (Monténégro), et …, née le … à … (Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le même jour, les époux HADJARPASIC- … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux HADJARPASIC- … furent entendus en date du 20 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 11 août 1999, le ministre de la Justice informa les époux HADJARPASIC- … par lettre du 4 janvier 2000, notifiée en date du 21 janvier 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par courrier de leur mandataire, datant du 3 février 2000, les époux HADJARPASIC- … firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 4 janvier 2000.

Par requête déposée en date du 5 juin 2000, ils firent introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 4 janvier 2000, ainsi que et, pour autant que de besoin, contre la décision implicite de rejet découlant du silence du ministre pendant plus de trois mois à la suite de leur recours gracieux introduit en date du 3 février 2000.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, les demandeurs estiment que la décision critiquée devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits. Ils font exposer à cet égard avoir quitté leur pays d’origine, à savoir le Monténégro, à la suite d’une crainte légitime d’avoir à subir des répressions violentes et injustes de la part d’une partie de la population locale, tenant au fait que leur couple est composée de personnes d’origine ethnique et de religion différentes. Ils font préciser à cet égard que Monsieur HADJARPASIC est de confession musulmane tandis que son épouse est d’origine serbe et de confession orthodoxe, tout en signalant que lors de leur mariage, qui aurait eu lieu en 1977 et aurait été célébré sans l’accord de la famille de Madame …, elle aurait dû se 2 convertir à la religion musulmane, conversion qui n’aurait jamais été acceptée par son entourage. Dans la mesure où la famille de Madame …, soutenue par d’autres personnes, aurait tenté par tous les moyens de provoquer la rupture du couple, notamment en menaçant de mort les époux, ils auraient décidé de fuir leur pays d’origine vers la Macédonie. Les demandeurs exposent ensuite qu’en raison des faillites des sociétés qui les employaient en Macédonie, ils auraient décidé en 1998 de rentrer au Monténégro, mais que dès leur retour toute la famille aurait été menacée de mort par le père de la demanderesse. Dans la mesure où cette situation se serait continuellement aggravée, sous la forme de menaces de mort toujours plus insistantes et ce jusqu’au 6 janvier 1999, date à laquelle un voisin serait venu au domicile des demandeurs pour leur ordonner de quitter la maison avant le 13 janvier suivant avec la menace, à défaut d’obtempérer, de voir égorger l’ensemble de leur famille, ils auraient décidé de demander l’asile politique au Luxembourg. Tout en relevant que la force publique au Monténégro serait actuellement dans l’incapacité d’éviter les actes de persécution dont sont généralement victimes les couples dits mixtes, les demandeurs s’estiment dès lors victimes de comportements absolument intolérables, voire de persécutions à caractère religieux, sinon racial, sans pour autant avoir la possibilité de revendiquer la protection de leur pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les faits invoqués par les demandeurs ne seraient pas le fait d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les menaces de mort, accompagnées d’intimidations de la part de personnes privées, invoquées à l’appui de leur demande, ne pourraient s’analyser qu’en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que dans l’hypothèse où les personnes en cause ne bénéficieraient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées par l’article 1er de la Convention de Genève.

Dans la mesure où les éléments du dossier ne permettraient pas de retenir que les demandeurs ont concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni l’incapacité de ces dernières pour leur assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à leur encontre, la décision déférée relèverait d’une saine appréciation de la situation des requérants.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 20 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il ressort des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions que les actes perpétrés à leur encontre invoqués pour justifier leur crainte légitime de persécutions ont émané de la famille de la demanderesse, ainsi que de différents voisins, Monsieur HADJARPASIC ayant notamment déclaré à cet égard que : “ Même les voisins ne nous laissaient pas tranquille comme par exemple au Noël orthodoxe (7/01/1999) de cette année ils me disaient même si j’avais survécu cette fois ci je ne survivrait pas le nouvel an orthodoxe (14/01/1999) ”. Il a encore précisé que lors de la rénovation de sa maison “ les voisins venaient et me disaient que de toute façon ça ne servait à rien car ma maison serait détruite ”. Pareillement la demanderesse a précisé que “ lors du nouvel an on a été menacé par les voisins. Il y avait des menaces et des pressions aussi bien de la part de la famille que des voisins ”. Par ailleurs, interrogée plus particulièrement de qui elle a peur, elle a répondu “ mon côté est le plus grave, avec la famille de mon mari on pourrait encore éventuellement s’arranger mais avec la mienne il n’y a aucun espoir ”.

Le risque de persécution mis en avant par les demandeurs revient en substance à faire valoir des persécutions de la part d’un groupe de la population à leur encontre et un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu 4 de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER :

Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, force est de constater que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ont concrètement recherché la protection des autorités en place, ainsi que le défaut de ces dernières de leur accorder cette protection pour l’une des cinq causes prévues par l’article 1er de la Convention de Genève.

Il s’ensuit que le recours laisse d’être fondé et doit être rejeté.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 octobre par :

Mme. Lenert, premier juge Mme. Lamesch, juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12036
Date de la décision : 09/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-09;12036 ?

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