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02/10/2000 | LUXEMBOURG | N°11842

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2000, 11842


N° 11842 du rôle Inscrit le 21 février 2000 Audience publique du 2 octobre 2000

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Recours formé par Monsieur … KERG, Luxembourg contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11842 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 février 2000 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KERG, … , demeurant à L-…, tendant Ã

  la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 1995, émis le 15 juillet 1999 p...

N° 11842 du rôle Inscrit le 21 février 2000 Audience publique du 2 octobre 2000

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Recours formé par Monsieur … KERG, Luxembourg contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11842 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 février 2000 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KERG, … , demeurant à L-…, tendant à la réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 1995, émis le 15 juillet 1999 par le bureau d’imposition Luxembourg 8 de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes en exécution d’un arrêt rendu par la Cour administrative le 25 mars 1999, suite au silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes postérieurement à une réclamation datée du 29 juillet 1999;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin litigieux;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Patrick KINSCH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 mars 1997, le bureau d’imposition Luxembourg 8 de la section des personnes physiques, ci-après dénommé le « bureau d’imposition », émit à charge de Monsieur … KERG, …, demeurant à L-…, un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1995, ainsi qu’un bulletin de l’impôt commercial communal pour ladite année.

Par lettres datées du 29 avril 1997, Monsieur KERG, par le biais de son mandataire, dirigea contre lesdits bulletins deux réclamations séparées adressées au préposé du bureau d’imposition compétent.

Le 28 novembre 1997, en l’absence de décision du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », Monsieur KERG fit introduire, par requêtes séparées, respectivement un recours en réformation contre les deux bulletin susvisés.

1 Par jugement contradictoirement rendu le 22 juillet 1998, le tribunal administratif déclara non justifié le recours de Monsieur KERG dirigé contre les bulletins d’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour l’année 1995. Ledit jugement confirma la décision de l’administration de qualifier d’entreprise commerciale les faits par Monsieur KERG d’avoir vendu trois immeubles lui appartenant pour ensuite acquérir un terrain à bâtir et y construire un immeuble à appartements et de vendre par la suite deux de ces appartements et en donner le surplus en location.

Suite à un appel interjeté par Monsieur KERG le 1er septembre 1998, la Cour administrative, par arrêt rendu le 25 mars 1999, réforma le jugement de première instance du 22 juillet 1998, et a « dit que le bénéfice réalisé par l’appelant sur les opérations sous examen n’est pas à qualifier de bénéfice commercial et que, pour l’exercice 1995, l’impôt dû par l’appelant s’établit en faisant abstraction du caractère commercial d’entreprise commerciale de l’opération litigieuse relative à la réalisation immobilière effectuée rue Béatrix de Bourbon » et a renvoyé l’affaire devant l’administration des Contributions.

Le 15 juillet 1999, le bureau d’imposition émit à l’encontre de Monsieur KERG un bulletin rectifié de l’impôt sur le revenu pour l’année 1995.

Le mandataire de Monsieur KERG introduisit, par lettre datée du 29 juillet 1999, une réclamation auprès du directeur à l’encontre du susdit bulletin d’impôt du 15 juillet 1999.

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Monsieur KERG a introduit le 21 février 2000 un recours en réformation contre le bulletin précité de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 1995, émis le 15 juillet 1999.

Le demandeur soutient en premier lieu que le bulletin litigieux serait illégal en tant qu’il augmente la cote d’impôt par rapport à ce qu’elle était en vertu du bulletin initial réformé par la Cour administrative, au motif qu’une reformatio in pejus serait incompatible avec la réglementation légale de la procédure contentieuse en matière fiscale et que la cote d’impôt pouvant être fixée par l’administration des Contributions, saisie par les juridictions administratives aux fins d’exécution d’une décision juridictionnelle, n’aurait pas pu être supérieure à celle qui se dégageait du bulletin réformé.

Dans un deuxième ordre d’idées, le demandeur critique l’imposition de la plus-value dégagée sur l’opération litigieuse comme bénéfice de spéculation au sens de l’article 99 bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », et le refus de l’administration des Contributions de faire droit à sa demande de report de ladite plus-

value.

Dans ce contexte, le demandeur soutient que le règlement grand-ducal du 17 juin 1992 portant exécution de l’article 102, alinéa 8 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (transfert des plus-values) ne serait pas conforme à la disposition législative qui lui sert de base. Selon le demandeur, « en permettant le transfert des plus-values à court terme uniquement lorsqu’il s’agit de terrains agricoles et forestiers et là encore uniquement en cas d’expropriation, le pouvoir réglementaire ne s’est pas conformé à la volonté du législateur qui doit pourtant, par application du principe de la hiérarchie des normes, prévaloir. Cette limitation aux plus-values de terrains agricoles et forestiers expropriés ne constitue pas une 2 simple détermination des « conditions et modalités » du transfert des plus-values, mais une véritable limitation, par le pouvoir réglementaire, d’un mécanisme de transfert qui n’est pas limité en vertu de la loi ».

Sur ce, le demandeur sollicite de la part du tribunal de dire que la plus-value dégagée par lui sur l’opération litigieuse n’est pas imposable et qu’elle peut être transférée sur un appartement acquis par lui.

Le délégué du gouvernement relève que le demandeur n’a pas contesté que le bureau d’imposition s’est conformé au règlement grand-ducal précité du 17 juin 1992 et il conclut au rejet du moyen de réformation basé sur un prétendu dépassement de la base habilitante, en l’occurrence l’article 102, alinéa 8 LIR.

Concernant le moyen basé sur la méconnaissance de l’interdiction de la reformatio in pejus, le délégué du gouvernement soutient que, d’une part, l’arrêt de la Cour administrative du 25 mars 1999 n’aurait pas exclu une autre nouvelle qualification de l’opération immobilière litigieuse par le bureau d’imposition, notamment celle par lui retenue, et, d’autre part, l’exécution d’un jugement qui aurait pour effet d’aboutir à une reformatio in pejus ne saurait aboutir qu’au maintien de l’ancienne cote.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi et non autrement contesté sous ce rapport, il est recevable.

Encore que le moyen tiré de l’illégalité du règlement grand-ducal précité du 17 juin 1992 n’ait été présenté par le demandeur qu’en second ordre, il faut l’analyser en premier lieu, étant donné que le premier moyen ne tend qu’à ramener la nouvelle cote d’impôt fixée par le bureau d’imposition à la cote initialement fixée, tandis que le second moyen va plus loin et tend à voir dire que la plus-value réalisée lors de l’opération litigieuse n’est pas imposable, c’est-à-

dire que si le deuxième moyen devait aboutir l’analyse du premier moyen deviendrait superflue, l’inverse n’étant pas vrai.

C’est à bon droit que le mandataire de Monsieur KERG a relevé lors des plaidoiries que, concernant les finances publiques, la Constitution a, entre autres, réservé à la loi la matière déterminée des impositions (articles 99 à 102 de la Constitution).

Par matière réservée à la loi, on entend une matière spécialement désignée par la Constitution comme ne pouvant faire l’objet que d’une loi formelle. - L’effet d’une réserve de la loi consiste en ce que nul, sauf le pouvoir souverain, ne peut valablement disposer d’une telle matière érigée en réserve. La réserve de la loi prohibe une habilitation notamment en faveur de l’organe investi du pouvoir exécutif (cf. P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, n° 89, page 141). - La loi ne peut pas conférer au pouvoir exécutif, en vertu d’une disposition expresse, le soin de réglementer une matière dont la détermination lui incombe personnellement (A. LOESCH, Le pouvoir réglementaire du Grand-Duc, Pas. 14, doctr., p. 57).

Ceci étant, il ne faut pas déduire de ce qui précède que, pour satisfaire à une réserve constitutionnelle, la loi doive tout régler jusque dans le moindre détail. En effet, « il suffit, mais il faut aussi que le principe et les modalités substantielles de la matière réservée soient retenus par la loi » (Conseil d’Etat, avis du 15 janvier 1946, Compte-Rendu de la Chambre, 1945-1946, annexes pages 95 et suivantes). - Ainsi, la réserve de la loi prohibe les habilitations 3 générales, mais elle ne met pas obstacle à une habilitation plus spécifique. En d’autres mots, il suffit que la loi trace les grands principes; elle peut, même en présence d’une réserve, abandonner la mise en oeuvre du détail au pouvoir réglementaire. - Pratiquement, ces règles servent donc en somme de principe d’interprétation stricte à l’égard des habilitations légales accordées en matière réservée (cf. P. PESCATORE, ibid.) .

En l’espèce, en vue de l’application des articles 99bis et 99ter LIR, l’article 102, alinéa 8 LIR dispose que « un règlement grand-ducal pris sur avis du Conseil d’Etat et de l’assentiment de la Commission de travail de la Chambre des députés autorise le transfert, sous les conditions et modalités à fixer, des plus-values dégagées par application des articles 99bis et 99ter par la réalisation d’immeubles bâtis et non bâtis faisant partie du patrimoine privé du contribuable ainsi que des terrains agricoles et forestiers sur des catégories d’immeubles de remplacement destinés à des fins soit de logement soit d’exploitation agricole ou forestière à désigner par le même règlement ».

En exécution de l’article 102, alinéa 8 LIR, le règlement grand-ducal précité du 17 juin 1992 organise, entre autres, les possibilités de transférer des plus-values dégagées par application des articles 99bis et 99ter LIR. Concernant les plus-values dégagées par application de l’article 99bis LIR, leur transfert est restreint au cas d’expropriation de terrains faisant partie d’une exploitation agricole et forestière, ainsi qu’au cas où il y a eu réalisation de ces terrains afin d’échapper à l’expropriation.

Il se dégage de l’analyse de la disposition légale précitée que le législateur a défini une règle générale, en prévoyant une possibilité de transfert de plus-values, qu’il a délimité notamment le champ d’application de la possibilité de transfert aux plus-values générées lors de la réalisation d’immeubles bâtis et non bâtis faisant partie du patrimoine privé et de terrains agricoles et forestiers et en prévoyant l’obligation d’un transfert sur un immeuble de remplacement destiné à des fins soit de logement soit d’exploitation agricole ou forestière et qu’il a confié la mise en oeuvre du détail au pouvoir réglementaire. Dans ce contexte, il convient de retenir que, dans l’esprit du législateur tel qu’il se dégage des documents parlementaires relatifs à ladite disposition, la délimitation plus précise des cas d’ouverture de la possibilité de transférer des plus-values dégagées doit être ramenée à la notion de « conditions et modalités » par lui employée, cela n’impliquant pas un dessaisissement outre mesure de ses pouvoirs. - En d’autres mots, il convient de constater que, sans accorder un « blanc-seing légal », le législateur a uniquement octroyé une habilitation spécifique et suffisamment circonscrite, satisfaisant à la réserve constitutionnelle.

Par ailleurs, eu égard à la notion de « conditions et modalités » telle que ci-avant cernée, force est de constater que le règlement grand-ducal précité du 17 juin 1992 n’excède pas l’habilitation légale.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen de réformation proposé laisse d’être fondé et est à écarter.

Il convient ensuite d’analyser le moyen basé sur la méconnaissance de l’interdiction de la reformatio in pejus.

Aux termes de l’article 97, paragraphe 3, n° 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, « les §§ 243 et 244 [de la loi 4 générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO »] sont inapplicables au tribunal administratif et à la Cour administrative ».

Au voeu de ladite disposition légale, le juge administratif ne peut pas statuer in pejorem.

En d’autres mots, si, en vertu des paragraphes 243 et 244 AO, le directeur de l’administration des Contributions directes, saisi d’une réclamation d’un contribuable, a le pouvoir de réformer la décision de l’administration des Contributions au désavantage du réclamant, pareil pouvoir n’a pas été conféré aux juridictions administratives.

Dans ce contexte, on peut relever que dans son deuxième avis complémentaire sur le projet de loi 3940A, le Conseil d’Etat retient que « ces dispositions [paragraphes 243 et 244 AO] qui prévoient notamment que les « Rechtsmittelbehörden » peuvent aller au-delà des requêtes dont elles sont saisies et qu’elles peuvent modifier des décisions même au détriment du requérant ont donné lieu dans la phase préparatoire du projet à des controverses entre les experts du droit fiscal. Le Conseil d’Etat se rallie à la position adoptée par les auteurs des amendements sous avis. Les textes actuels partent de la conception que les juridictions fiscales font partie de l’administration. Or, il serait contraire à la conception du présent projet que les juridictions administratives puissent aller au-delà des requêtes et se substituer aux bureaux d’imposition » (doc. parl. n°s 39406 et 3940A4, page 7).

En outre, c’est à bon droit que le mandataire du demandeur soutient que, si le juge administratif ne peut pas statuer in pejorem, il en va de même de l’administration des Contributions (directeur ou bureau d’imposition), lorsqu’elle est appelée à procéder, conformément aux constatations en fait et en droit du juge administratif, à l’exécution d’une décision juridictionnelle du tribunal administratif ou de la Cour administrative.

En effet, les autorités compétentes de l’administration des Contributions directes saisies par les juridictions administratives aux fins d’exécution d’une décision juridictionnelle, sous ce rapport, se meuvent dans les mêmes limites que le juge administratif, c’est-à-dire qu’elles ne sauraient recouvrir leur pouvoir d’aggraver l’imposition d’un contribuable.

En l’espèce, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève qu’il convient de constater que, dans son arrêt du 25 mars 1999, la Cour administrative a jugé que l’impôt sur le revenu dû par le demandeur au titre de l’année 1995 « devait s’établir en faisant abstraction du caractère d’entreprise immobilière de l’opération immobilière litigieuse et non qu’il devait s’établir en faisant abstraction de l’opération elle-même », c’est-à-dire que ledit arrêt n’a pas exclu une requalification de ladite opération, plus particulièrement celle faite par le bureau d’imposition.

Cependant, l’exécution dudit arrêt n’a pas pu entraîner une reformatio in pejus.

Or, force est de constater que le bulletin de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 1995, émis le 15 juillet 1999 par le bureau d’imposition Luxembourg 8 de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes en exécution de l’arrêt précité de la Cour administrative du 25 mars 1999 aboutit à une cote d’impôt sensiblement plus élevée que celle qui avait été fixée par le même bureau d’imposition dans le bulletin d’impôt initialement émis le 20 mars 1997.

5 Il s’ensuit que ledit bulletin d’impôt est à réformer dans la mesure où le bureau a fixé une cote plus élevée que l’ancienne cote.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare partiellement justifié;

annule le bulletin de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 1995, émis le 15 juillet 1999 par le bureau d’imposition Luxembourg 8 de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes en exécution d’un arrêt rendu par la Cour administrative le 25 mars 1999, dans la mesure où ledit bulletin d’impôt a fixé une cote d’impôt plus élevée que celle qu’il avait initialement fixée dans le bulletin initial du 20 mars 1997 à charge du demandeur;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour prosécution;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 2 octobre 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11842
Date de la décision : 02/10/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-10-02;11842 ?

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