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27/09/2000 | LUXEMBOURG | N°12296

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 septembre 2000, 12296


Numéro 12296 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 27 septembre 2000 Recours formé par Les époux … ZEFI et …, Remich contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12296 du rôle, déposée le 1er septembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

des époux … ZEFI et …, les deux de nationalité albanaise, demeurant ensemble à L...

Numéro 12296 du rôle Inscrit le 1er septembre 2000 Audience publique du 27 septembre 2000 Recours formé par Les époux … ZEFI et …, Remich contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12296 du rôle, déposée le 1er septembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … ZEFI et …, les deux de nationalité albanaise, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 juin 2000 rejetant leur demande en octroi du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée et les invitant à quitter le territoire dans le mois suivant la notification de ladite décision, sinon, en cas de recours devant les juridictions administratives, dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2000 par Maître Guy THOMAS pour compte des époux ZEFI-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 septembre 2000.

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En date respectivement des 1er juillet 1998 et 16 septembre 1998, les époux … ZEFI, né le … à … (Albanie), et …, née le … à … (Albanie), tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date des mêmes jours respectifs, les époux ZEFI-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux ZEFI-… furent entendus en date des 9, 23, 24 août 1999 et 17 mars 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Par décision du 2 juin 2000, notifiée aux époux ZEFI-… le 26 juin suivant, le ministre de la Justice rejeta leur demande comme étant manifestement infondée aux motifs qu’il :

« ressort de la comparaison entre vos déclarations lors des auditions de l’agent du Ministère de la Justice et les faits mentionnés dans les rapports du Service de Police Judiciaire que vous avez délibérément omis de signaler que vous aviez précédemment présenté une demande d’asile dans un ou plusieurs pays » et que « vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ». Par la même décision, le ministre invita les époux ZEFI-… à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de ladite décision, sinon, en cas de recours devant les juridictions administratives, dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée.

Sur recours gracieux introduit par l’intermédiaire de leur mandataire, le ministre confirma sa décision initiale du 2 juin 2000 par décision du 4 août 2000.

Par requête déposée le 1er septembre 2000, les époux ZEFI-… ont fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre les décisions prévisées des 2 juin et 4 août 2000.

Alors même que les demandeurs sollicitent principalement l’annulation des décision critiquées, le tribunal est amené à vérifier l’existence d’un recours au fond en la matière visée, lequel aurait pour effet de rendre le recours en annulation irrecevable.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la même loi, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond à l’encontre de l’invitation à quitter le territoire national insérée dans les décisions critiquées, seul un recours en annulation est également admissible concernant ce volet.

Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande formulée subsidiairement par les demandeurs tendant à la réformation des décisions ministérielles litigieuses. En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, page 310, et autres références y citées).

2 Quant à la recevabilité du recours en annulation, le délégué du Gouvernement se rapporte à prudence de justice en relevant que le délai de recours avait expiré le 26 juillet 2000, tandis que le recours gracieux introduit au nom des demandeurs, certes daté au 26 juillet 2000, ne serait parvenu au ministère de la Justice que le 27 juillet 2000.

Il se dégage des pièces versées au dossier par le mandataire des demandeurs et non contestées à cet égard par le délégué du Gouvernement que l’estampille du ministère de la Justice apposée sur ledit recours gracieux indique comme date d’entrée le 26 juillet 2000. Le recours gracieux doit partant être considéré comme ayant été introduit dans le délai légal d’un mois, de manière à ce que le recours contentieux sous analyse n’est pas tardif.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre que sa décision serait le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit en ce qu’il aurait estimé à tort que les craintes par eux alléguées ne seraient pas d’une gravité telle que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Ils estiment que la notion de « crainte justifiée d’être persécuté » consisterait en une combinaison d’éléments objectifs et subjectifs que le ministre aurait dû rechercher et analyser plus amplement dans le cadre de la demande lui soumise.

Concernant l’élément objectif, les demandeurs renvoient à la reprise du pouvoir en Albanie par le parti socialiste, regroupant les membres de l’ancien parti communiste albanais, et au climat d’insécurité et de répression que ce régime répandrait. Ils exposent que les anciens opposants au régime communiste, qui auraient déjà été emprisonnés ou enfermés avant 1991, se verraient à nouveau persécutés par le nouveau régime de Fatos NANO et par les groupes paramilitaires, tout comme ce même nouveau régime serait en train de remplacer massivement les cadres et fonctionnaires de la justice, des académies, des ministères, de l’armée et de la police afin de les remplacer par ses propres militants. La situation serait ainsi loin d’être stabilisée en Albanie, fait qui serait par ailleurs documenté par un rapport du British Helsinki Human Rights Group sur la situation en Albanie établi cent jour après l’entrée en fonction du gouvernement de Fatos NANO. Les demandeurs ajoutent qu’un récent rapport de la Fédération Internationale de Helsinki pour les droits de l’Homme confirmerait que les forces de police albanaises sembleraient incapables de combattre efficacement la violence et d’autres crimes et que la police serait souvent impliquée directement dans des actes de violence.

Concernant leur situation personnelle, les demandeurs font exposer que toute leur famille aurait déjà fait l’objet de persécutions sous le régime communiste : le demandeur … ZEFI aurait lui-même déjà été emprisonné pendant trois ans pour agitation et propagandes contre le pays ; son frère Perim ZEFI, après avoir passé deux ans en prison, aurait été ensuite déporté chez ses parents qui auraient vécu en déportation à Vier ; parmi les sœurs du demandeur … ZEFI l’une aurait été torturée dans les chambres d’interrogation et emprisonnée pendant cinq ans et l’autre condamnée à trois ans de prison et cinq ans de déportation. Les demandeurs ajoutent que le frère Gjovalin ZEFI aurait été longtemps interné dans des hôpitaux psychiatriques en raison de son opposition au régime communiste et n’aurait été libéré qu’en 1991. Ayant repris ses activités de « militant infatigable du parti démocratique », son frère Gjovalin ZEFI aurait été abattu dans la nuit du 28 mai 1997 en pleine rue par un groupe armé portant des cagoules et la police ne se serait rendue sur les lieux que le lendemain matin à cinq heures. Les demandeurs relèvent que le fait que tous les objets de 3 valeur (montre en or et argent liquide) se seraient encore trouvés sur le corps inanimé de la victime, ainsi que la circonstance du couvre-feu, permettant seulement à des personnes spécialement autorisées à quitter la ville, seraient des indices concordants pour faire admettre que cet assassinat aurait été commis ou du moins cautionné par la police pour des motifs politiques. Les demandeurs ajoutent que trois jours après l’enterrement du frère Gjovalin ZEFI, une autre tombe portant l’inscription … ZEFI aurait été installée en guise de menace à côté de celle du frère assassiné.

Les demandeurs se prévalent en outre de certificats établis par le comité des persécutés politiques de la république d’Albanie, comité indépendant créé par une loi du 29 juillet 1993 pour décerner le statut d’ex-persécuté politique, qui aurait attribué au demandeur … ZEFI le statut A1 en date du 1er juillet 1997, pour avoir été condamné à mort par l’ancien parti communiste, cette condamnation à mort lui officieusement communiquée l’ayant motivé à s’enfuir à nouveau de l’Albanie. Les demandeurs renvoient encore à l’octroi du statut de réfugié politique dont aurait bénéficié la sœur Angelina MORANA-ZEFI par jugement du tribunal administratif du 8 juin 1998 (n° 10496 du rôle), tout comme l’autre sœur Yolanda NIKA-ZEFI aurait bénéficié du même statut en Belgique.

Les demandeurs concluent que les éléments objectifs susdéveloppés tirés du climat d’insécurité et de persécution en Albanie et les éléments subjectifs liés aux persécutions subies par leur famille, et plus particulièrement l’assassinat du frère Gjovalin ZEFI, seraient de nature à leur faire craindre d’être persécutés personnellement par le pouvoir socialiste actuellement en place ou par les groupements paramilitaires existants en Albanie, l’Etat albanais n’étant plus en mesure de garantir une sécurité élémentaire de toute une catégorie de citoyens constitués par les opposants au système communiste de l’époque et au régime socialiste actuel. Ils estiment dès lors que la décision ministérielle devra encourir l’annulation.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les demandeurs auraient fait de fausses déclarations auprès du ministère de la Justice lors de leurs auditions respectives et resteraient en défaut de fournir une explication satisfaisante afférente. Il ressortirait en effet du rapport d’audition du 9 août 1999 que le demandeur … ZEFI aurait demandé l’asile politique en mars 1993 en Allemagne et qu’il serait reparti en Albanie en mai 1993 au motif que, suite à la victoire du parti démocratique lors des élections en Albanie, sa vie n’aurait plus été en danger.

De la sorte, les demandeurs auraient délibérément omis de mentionner tant leur seconde demande d’asile posée en Allemagne sous une fausse identité et que celle subséquente de la part de Monsieur … ZEFI au Pays-Bas introduite également sous une fausse identité. Le représentant étatique estime que ces faits seraient tout à fait significatifs dans l’affaire sous analyse, étant donné que la question serait de savoir pourquoi les demandeurs avaient à nouveau quitté l’Albanie pour se rendre d’abord en Allemagne et ensuite aux Pays-Bas, à chaque fois sous de fausses identités, pour y solliciter l’asile, alors que le parti démocratique était toujours au pouvoir en Albanie.

S’il est vrai que le demandeur … ZEFI a expliqué lors de sa dernière audition en date du 17 mars 2000 qu’il avait été « condamné à mort » vers le milieu de l’année 1993 et qu’il avait eu officiellement connaissance de cette condamnation en 1997 seulement, le délégué du Gouvernement estime que la question de savoir « de quoi les requérants avaient tellement peur », vu que le parti démocratique était toujours au pouvoir, n’aurait pas trouvé une réponse satisfaisante. La circonstance complémentaire que les demandeurs avaient déposé leurs demandes d’asile en Allemagne et au Pays-Bas non seulement sous une fausse identité, mais également sous une fausse nationalité en prétextant être nés à Pristina respectivement en Yougoslavie, établirait dés lors clairement, d’après le représentant étatique, que les 4 demandeurs auraient commis un abus de procédure et n’auraient manifestement rien à craindre lors d’un retour en Albanie. Il s’en dégagerait en effet que les demandeurs auraient délibérément omis de signaler les anciens abus de procédure afin de tenter de développer une demande d’asile crédible. En renvoyant à l’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, ainsi qu’à la situation politique nettement stabilisée en Albanie excluant une persécution systématique des opposants politiques, le délégué du Gouvernement estime que les décisions ministérielles critiquées seraient fondées sur une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours serait non fondé.

Les demandeurs font répliquer que s’il est vrai qu’ils n’ont pas révélé l’existence des deux demandes d’asile complémentaires introduites en Allemagne et au Pays-Bas sous une fausse identité, la raison de cette omission résiderait dans le fait qu’ils auraient appris officieusement après leur retour en Albanie suite à la première demande d’asile introduite en Allemagne que le demandeur … ZEFI aurait figuré sur la « liste noire » de l’ancien parti communiste, ce qui aurait signifié qu’en fait il aurait été condamné à mort tout comme son frère Gjovalin ZEFI effectivement « exécuté » le 28 mai 1997, et que ces menaces, prouvant par ailleurs que l’arrivée au pouvoir du parti démocratique à elle seule n’aurait pas été une garantie suffisante contre les hommes de main de l’ex-parti communiste, les aurait motivé à chercher de nouveau refuge à l’étranger. Ils font encore valoir avoir présenté leur demande d’asile au Grand-Duché sous leur véritable identité, mais sans avoir indiqué les procédures antérieures par crainte de voir leur nouvelle demande d’asile refusée sans autre examen en raison de l’existence de procédures dans d’autres pays et que l’assassinat du frère Gjovalin ZEFI devrait être considéré comme élément nouveau faisant obstacle à l’application du texte relatif à la fraude délibérée et au recours abusif aux procédures en matière d’asile. Ils font encore préciser que le comité des persécutés politiques de la république d’Albanie, dont émanent les certificats versés en cause, constituerait un comité politiquement indépendant créée par une loi du 29 juillet 1993 et fonctionnant à l’instar de la commission dite « Gauckbehörde » en Allemagne pour décerner le statut d’ex-persécuté politique aux personnes ayant souffert sous le régime stalinien d’Envar HOXHA et consorts.

Les demandeurs font valoir en outre que le principe de non-refoulement consacré notamment par l’article 33 paragraphe 1 de la Convention de Genève s’opposerait à une mesure d’expulsion ou de refoulement d’un réfugié sur les frontières du territoire où sa vie ou sa liberté seraient menacées. Ils précisent finalement qu’il serait admis par la commission européenne des droits de l’hommes que les persécutions au sens de la Convention de Genève peuvent également provenir d’agents autres que ceux liés directement ou indirectement au pouvoir public et que, pour rendre un refoulement légal, la situation dans le pays de destination devrait faire ressortir que la police serait désormais sous un contrôle démocratique ou que le système judiciaire était en mesure de se réaffirmer pleinement en tant que pouvoir indépendant. Etant donné que les renseignements les plus récents de l’OCDE sur la situation actuelle en Albanie du point de vue de la sécurité et du maintien de l’ordre par la police seraient alarmants, les demandeurs estiment toujours être exposés à un risque sérieux d’assassinat ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte que les décisions ministérielles critiquées ne seraient pas fondées.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

5 En vertu de l’article 6, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Le même article précise dans son alinéa 2 sub d) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur a « délibérément omis de signaler qu’il avait précédemment présenté une demande dans un ou plusieurs pays, notamment sous de fausses identités ».

En l’espèce, il est constant à travers les pièces versées au dossier que le demandeur … ZEFI a déclaré lors de son audition du 9 août 1999, sur question expresse afférente, avoir antérieurement introduit une seule demande d’asile à Trèves en mars 1993 et d’être reparti en Albanie en mai 1993 au motif que « le parti démocratique avait gagné les élections, donc ma vie n’était plus en danger », la demanderesse Natasha ZEFI-… ayant confirmé cette déposition lors de sa propre audition du 23 août 1999. C’est seulement suite à deux rapports du service de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, des 9 septembre 1999 et 10 janvier 2000 ayant révélé l’existence des demandes d’asile antérieures introduites en Allemagne et aux Pays-Bas sous de fausses identités que le demandeur … ZEFI a déclaré :

« je n’ai pas dit la vérité. Vous ne m’avez rien demandé sur les faux noms. Mais je n’ai cependant pas commis de crime. Je pensais que cela ne vous intéresse pas ».

Il se dégage de ces éléments que les demandeurs ont délibérément omis de signaler, malgré la question afférente expresse posée par l’agent du ministère de la Justice, l’existence des deux procédures d’asile antérieures sous de fausses identités, de sorte que leur demande tombe dans le cas d’ouverture prévu par l’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 prévisé permettant au ministre de la considérer comme manifestement infondée.

S’il est vrai que, conformément aux dispositions de l’article 6 alinéa 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité, la demande d’asile ne sera pas automatiquement rejetée si le demandeur peut donner une explication satisfaisante relative à la fraude ou au recours abusif aux procédures en matière d’asile lui reproché, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, les explications fournies par les demandeurs lors de l’audition complémentaire et dans le cadre de la procédure contentieuse ne constituent pas une explication satisfaisante de nature à justifier l’élément de fraude consistant à passer sous silence les demandes antérieures sous de fausses identités dans d’autres pays. Au contraire, la crainte alléguée de voir leur nouvelle demande refusée en cas de révélation de leurs antécédents procéduraux en la matière ne fait que conforter le caractère délibéré de l’omission en question.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu considérer la demande d’asile présentée par les époux ZEFI-… comme manifestement infondée en retenant dans leur chef un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Quant à l’invitation de quitter le territoire national insérée dans les décision critiquées, l’article 14 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « si le statut de réfugié est refusé, soit au titre de l’article 10, soit au titre de l’article 12, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire, en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Un éloignement ne peut avoir lieu ni au cours de la procédure d’examen de la demande, ni pendant le délai d’introduction du recours prévu à l’article 13 ».

6 Dans la mesure où la décision précise expressément que l’obligation de quitter le territoire national dans le mois prend effet le jour où la décision, soit celle initiale émanant du ministre soit la décision confirmative ultime des juridictions administratives, aura acquis un caractère inattaquable et où le présent jugement confirme le caractère manifestement infondé de la demande d’asile présentée par les demandeurs, le ministre pouvait prendre cette mesure sans se heurter aux dispositions dudit article 14.

L’éloignement d’un étranger du territoire luxembourgeois peut être ordonné par le ministre sur base de l’article 12 alinéa 1er de la loi prévisée du 28 mars 1972 disposant que « peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au ministre de la Justice les étrangers non autorisés à résidence : (..) 2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3) aux quels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ; 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis (..) ».

En l’espèce, l’ordre de quitter le territoire a été motivé par la considération que les demandeurs n’ont pas pu obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, le présent jugement confirmant par ailleurs cette analyse ministérielle de leur dossier.

Par ailleurs, les demandeurs n’invoquent pas avoir, à un quelconque autre titre, un droit de séjourner au Grand-Duché, l’ensemble de leurs moyens au fond ayant trait à leur demande en octroi du statut de réfugié politique.

Quant au risque sérieux d’assassinat ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants allégué par les demandeurs en cas de refoulement vers l’Albanie, force est encore de constater qu’ils restent en défaut d’établir à suffisance que les autorités en place ne seraient pas en mesure de leur assurer une protection adéquate, étant entendu que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il s’ensuit que c’est en vain que les demandeurs opposent à la mesure de refoulement le principe du non-refoulement dans un territoire où leur vie ou leur liberté seraient menacées, consacré notamment par l’article 33 de la Convention de Genève.

Le ministre a partant valablement pu ordonner aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois en se basant sur son refus de reconnaissance du statut de réfugié politique et l’absence d’un autre motif ayant légalement pu justifier la présence des demandeurs sur le territoire luxembourgeois.

Il résulte de l’ensemble des développements ci-avant que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS 7 Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçoit le recours principal en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié, partant en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 septembre 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef s. SCHMIT s. LENERT 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12296
Date de la décision : 27/09/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-09-27;12296 ?

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