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09/08/2000 | LUXEMBOURG | N°12005

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 août 2000, 12005


Numéro 12005 du rôle Inscrit le 16 mai 2000 Audience publique du 9 août 2000 Recours formé par les époux … KASTRATI et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12005 du rôle, déposée le 16 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Christophe ANTINORI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi

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Numéro 12005 du rôle Inscrit le 16 mai 2000 Audience publique du 9 août 2000 Recours formé par les époux … KASTRATI et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 12005 du rôle, déposée le 16 mai 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Christophe ANTINORI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KASTRATI, né le … à … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … à … (Albanie), tous les deux de nationalité albanaise, accompagnés de leurs deux enfants mineurs, demeurant ensemble à L-

…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mars 2000 portant rejet de leur demande en octroi du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Christophe ANTINORI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date respectivement du 29 juin 1999 et du 21 septembre 1999, Monsieur … KASTRATI, né le … à … (Albanie), et son épouse, Madame …, née le … à …, tous les deux de nationalité albanaise, demeurant ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date des mêmes jours, les époux KASTRATI-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur KASTRATI fut entendu en date du 11 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande, tandis que l’audition de Madame … eut lieu le 1er décembre 1999.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 8 mars 2000, le ministre de la Justice informa les époux KASTRATI-…, par lettre du 21 mars 2000, notifiée en date du 18 avril 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Me ralliant à l’avis émis le 08 mars 2000 par la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

A l’encontre de cette décision de rejet, les époux KASTRATI-… ont fait introduire un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation par requête déposée le 16 mai 2000.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, les demandeurs font valoir que leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée au motif qu’ils rempliraient les conditions prévues par la Convention de Genève en ce qu’ils auraient quitté l’Albanie suite aux persécutions dont ils auraient été les victimes en raison de leur appartenance à un certain groupe social. Ils exposent que suite aux changements politiques intervenus depuis l’année 1992, Monsieur KASTRATI, en tant que membre d’une des plus vieilles familles de sa ville natale Shkoder, aurait eu l’occasion d’acquérir le commerce d’alimentation dans lequel il avait été employé jusque lors et que ce commerce aurait fleuri grâce à ses efforts personnels tout en procurant à leur ménage une certaine aisance financière. Lors du retour du pays vers le socialisme, les demandeurs affirment qu’une criminalité importante se serait développée tant parmi la population qu’au sein des institutions politiques et étatiques, dont ils furent les victimes en tant que membres de la couche sociale aisée. Ils font valoir plus particulièrement qu’en mars 1997, leur magasin aurait fait l’objet de pillages et de destructions par des personnes masquées non identifiées, que leur fille aînée aurait été enlevée le 15 juin 1997 et qu’ils 2 auraient été terrorisés par un flux incessant de lettres anonymes. Craignant pour leur vies, les demandeurs exposent s’être enfuis vers l’Angleterre en octobre 1998, mais avoir été arrêtés à Calais le 21 octobre 1998 et refoulés vers l’Albanie. D’après les demandeurs, leur situation personnelle et les risques de persécution rendant leur vie dans leur ville d’origine intolérable n’auraient pas changé durant la période entre leur retour en Albanie en octobre 1998 et leur nouveau départ vers le Luxembourg en juin 1999, d’autant plus qu’ils auraient été contraints de quitter leur maison qui aurait été dynamitée le 13 juin 1999. Ils déclarent encore avoir requis la protection de leur Etat qui n’aurait pourtant pas été en mesure de la leur assurer et avoir fui leur pays, alors qu’ils n’auraient trouvé aucune alternative de fuite interne. Ils soutiennent encore que la situation générale en Albanie ne se serait pas améliorée depuis leur départ vers le Luxembourg et que leur position personnelle les exposerait toujours à des risques de persécution pour conclure que leurs craintes de persécution du fait de leur appartenance à un certain groupe social serait légitime et justifiée au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement rétorque que la situation des demandeurs s’inscrirait dans le cadre d’une criminalité générale répandue en Albanie et que cette référence à la situation générale ne justifierait pas la reconnaissance du statut de réfugié politique. Il conteste ensuite que le fait d’être un riche commerçant constituerait une appartenance à un groupe social au sens de la Convention de Genève. A titre subsidiaire, il estime que les circonstances particulières dans lesquelles cette appartenance pourrait suffire pour craindre des persécutions feraient défaut. Le représentant étatique soutient ensuite qu’il ne serait pas établi que les autorités albanaises soient à l’origine des événements invoqués et que la situation générale en Albanie se serait calmée après les événements de l’année 1997.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions en date des 11 août et 1er décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons 3 personnelles de n…e à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, il n’est pas établi en l’espèce que les actes de persécution invoqués par les demandeurs aient été commis par des agents dépendant directement ou indirectement des autorités de leur Etat d’origine.

En outre, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Par ailleurs, même à supposer que les faits invoqués par les demandeurs aient été de n…e à justifier dans leur chef une crainte légitime de persécution au moment de leur départ et qu’ils aient effectivement recherché la protection de leur Etat sans pouvoir l’obtenir, ces derniers restent en défaut d’établir concrètement que leurs autorités étatiques sont encore à l’heure actuelle incapables ou indisposées à leur assurer une protection adéquate et que la situation dans leur pays d’origine justifie encore actuellement une crainte légitime de persécutions dans leur chef.

Il s’ensuit que le recours laisse d’être fondé et doit être rejeté.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

4 Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l’audience publique du 9 août 2000 par M. CAMPILL en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE s. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12005
Date de la décision : 09/08/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-08-09;12005 ?

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