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26/07/2000 | LUXEMBOURG | N°11591

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juillet 2000, 11591


N° 11591 du rôle Inscrit le 15 octobre 1999 Audience publique du 26 juillet 2000

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Recours formé par Monsieur … MISCHEL, garagiste, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », Consdorf, contre une décision du collège échevinal de la commune de … et contre un arrêté du ministre de l’Intérieur, en présence de la société à responsabilité limitée X., …, en matière de marchés publics

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Vu la requête déposée le 1

5 octobre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au table...

N° 11591 du rôle Inscrit le 15 octobre 1999 Audience publique du 26 juillet 2000

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Recours formé par Monsieur … MISCHEL, garagiste, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », Consdorf, contre une décision du collège échevinal de la commune de … et contre un arrêté du ministre de l’Intérieur, en présence de la société à responsabilité limitée X., …, en matière de marchés publics

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Vu la requête déposée le 15 octobre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MISCHEL, garagiste, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », demeurant à L-…, tendant à l’annulation, d’une part, de la décision du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999 de passer un marché de gré à gré avec la société à responsabilité limitée X., établie et ayant son siège social à L-… en vue de la fourniture d’un tracteur John Deere, avec chargeur frontal, relevage hydraulique et chasse-

neige, et, d’autre part, de la décision d’« approbation » du ministre de l’Intérieur du 15 mars 1999;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du 20 octobre 1999, portant signification dudit recours à l'administration communale de …;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 12 janvier 2000, portant signification dudit recours à la société à responsabilité limitée X., préqualifiée;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal par le délégué du gouvernement le 25 novembre 1999;

Vu le mémoire en réponse déposé le 28 décembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de l'administration communale de …;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Roland FUNK, demeurant à Luxembourg, du 29 décembre 1999, portant signification dudit mémoire à l’avocat constitué de Monsieur … MISCHEL;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Roland FUNK, préqualifié, du 18 février 2000 portant signification dudit mémoire à la société à responsabilité limitée X.;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 25 janvier 2000;

2 Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, préqualifié, du 26 janvier 2000, portant signification dudit mémoire en réplique à l’avocat constitué de l’administration communale de … et à la société à responsabilité limitée X.;

Vu le mémoire en duplique déposé le 16 février 2000 pour le compte de l'administration communale de …;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Marc GRASER, demeurant à Luxembourg, du 23 février 2000 portant signification dudit mémoire en duplique à l’avocat constitué de Monsieur … MISCHEL et à la société à responsabilité limitée X.;

Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maîtres Serge Marx et Steve HELMINGER, en remplacement de Maître Roger NOTHAR, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 mars 1999, le collège échevinal de la commune de …, décida de passer un marché de gré à gré avec la société à responsabilité limitée X., établie et ayant son siège social à L-…, en vue de la fourniture d’un tracteur John Deere, avec chargeur frontal, relevage hydraulique et chasse-neige.

Cette décision est motivée par les considérants et visas suivants:

« Attendu que notre tracteur communal acheté en 1978, c'est-à-dire avant plus de vingt et un ans, ne répond plus aux normes et exigences élémentaires de sécurité;

Attendu que ce tracteur vient maintenant de tomber en panne et qu'une réparation s'avère presque impossible et avant tout beaucoup trop onéreuse vu l'âge du tracteur en question;

Considérant que la commune de … ne dispose donc pour le moment plus de tracteur de sorte qu'elle n'est plus en mesure de fournir les services les plus urgents, voir entre autres le service hivernal de déneigement avec chasse-neige et épandeur;

Attendu qu'il y a donc urgence d'agir;

Vu l'offre présentée par la firme X. de … pour la fourniture d'un tracteur John Deere 6410, moteur turbo diesel, 4530 ccm. de cylindrée , 105 PS, avec chargeur frontal, relevage hydraulique et chasse-neige, offre s'élevant au montant total de 3.039.000.-Fr;

Attendu que le tracteur John Deere, de par ses caractéristiques techniques et sa configuration favorable à l'environnement, constitue le modèle par excellence pour les besoins du service technique de notre commune;

Attendu qu'il s'agit en l’occurrence d'une fourniture dont le prix est en fait soustrait au jeu normal de la concurrence, étant donné que la firme X. est la seule à pouvoir faire la 3 reprise de notre ancien tracteur au prix tout à fait exceptionnel de deux cent trente mille francs;

Vu la loi du 04 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures, telle qu'elle a été modifiée dans la suite, et surtout le chapitre 2 de cette loi sub article II, 2e, e, 7, disant qu'il peut être procédé par marché gré à gré lorsqu'un besoin urgent ou imprévu surgit;

Vu le règlement grand-ducal du 10 janvier 1989 portant exécution du chapitre 2 de la loi du 04 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures;

Vu la loi communale du 13 décembre 1988;

Vu l'article 4/1212/2241/002 du budget communal de 1999, libellé comme suit :

“ Acquisition d'un tracteur ” et prévoyant un crédit de 3. 100.000. -francs; ».

Le 12 mars 1999, ladite décision du collège échevinal de la commune de … a été communiquée, par le biais du commissaire de district compétent, au ministre de l’Intérieur. -

Le 15 mars 1999, ledit ministre jugea que cette décision ne « donne pas lieu à observation de ma part » et il n’y réserva pas d’autres suites.

Par requête du 15 octobre 1999, Monsieur … MISCHEL, garagiste, faisant le commerce sous la dénomination « Garage Mischel », demeurant à L-…, a introduit un recours en annulation contre la décision précitée du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999 et contre la décision d’approbation du ministre de l’Intérieur du 15 mars 1999.

QUANT A LA RECEVABILITE DU RECOURS 1) QUANT A LA DECISION DU COLLEGE ECHEVINAL DE LA COMMUNE DE … DU 4 MARS 1999 Le recours est dirigé en premier lieu contre la décision du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999.

L’administration communale de … se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours en la forme et quant aux délais.

Elle soulève l’irrecevabilité du recours en ce qui concerne l’intérêt à agir du demandeur. Dans ce contexte, elle soutient que le demandeur ne tirerait aucune satisfaction certaine et personnelle de l’annulation de la décision attaquée et que son intérêt serait partant purement spéculatif et hypothétique.

Le demandeur expose avoir assuré l’entretien de l’ancien tracteur de la commune de … et il soutient que l’achat d’un nouveau tracteur auprès d’une autre entreprise le priverait du revenu résultant de l’entretien de l’ancien. Il soutient en outre avoir un intérêt de concurrence, au motif qu’il vendrait également des machines agricoles, plus particulièrement qu’il serait 4 concessionnaire de la marque Massey-Fergusson, dont les tracteurs présenteraient techniquement les critères requis pour les besoins de la commune de … (l’ancien tracteur ayant été un tracteur de ladite marque). Il précise encore qu’un tracteur Massey-Fergusson équivalent au modèle John Deere, tel que fourni par la société à responsabilité limitée X., avec les mêmes équipements aurait pu être fourni à un prix sensiblement inférieur à celui déboursé par l’administration communale dans le cadre du marché litigieux.

Concernant la privation d’une source de revenus dans le chef du demandeur lui provenant de l’entretien de l’ancien tracteur, la partie défenderesse réplique que le demandeur ne saurait en déduire l’existence d’un intérêt juridiquement protégé pour agir contre l’acte attaqué, étant donné que le demandeur n’aurait pas été lié à la commune par un contrat d’entretien et que la commune aurait été libre de confier les travaux d’entretien à n’importe quel garagiste.

Le recours contentieux est ouvert au demandeur qui a un intérêt quelconque, dès que cet intérêt implique un lien personnel avec l’acte attaqué, une lésion individuelle par le fait de l’acte (cf. C.E. 7 décembre 1978, Malane, n° 6797 du rôle).

En l’espèce, le demandeur n’a pas été contesté en ce qu’il affirme qu’il est également négociant en machines agricoles, de sorte que la décision de passer le marché litigieux de gré à gré avec un de ses concurrents directs le prive d’une chance de se le voir attribuer dans le cadre d’une procédure d’adjudication publique.

L’intérêt invoqué par le demandeur constitue un intérêt de concurrence, lequel est suffisant pour lui conférer un intérêt à voir respecter les dispositions légales et réglementaires régissant les adjudications publiques (cf. C.E. 7 décembre 1978, op. cit.).

Il s’ensuit que le demandeur a un intérêt suffisant pour agir par la voie contentieuse contre la décision attaquée.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que l’annulation de la décision déférée ne saurait plus avoir un effet concret, le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la décision litigieuse, de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question (cf. trib. adm.

24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, I. Intérêt à agir, n° 6, et autres références y citées).

Le recours, en tant qu’il vise la décision du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999, ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, est partant recevable.

2) QUANT A LA DECISION D’« APPROBATION » DU MINISTRE DE L’INTERIEUR DU 15 MARS 1999 Le recours est dirigé en second lieu contre la décision d’« approbation » du ministre de l’Intérieur du 15 mars 1999.

5 C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de ce volet du recours.

En effet, d’une part, ni la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ni la loi modifiée du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et fournitures, ni encore le règlement grand-ducal modifié du 10 janvier 1989 portant exécution du chapitre 2 de la loi du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures, ni enfin une quelconque autre disposition légale ne prévoient l’approbation par le ministre de l’Intérieur d’une décision du collège des bourgmestre et échevins relative à la passation d’un marché public de gré à gré et, d’autre part, une décision de ne pas réserver de suite à la communication de pareille décision de l’autorité communale, indépendamment de la qualification que le ministre donne à sa décision, s’analyse en un simple acte préparatoire non susceptible de recours devant la juridiction administrative, étant donné que le ministre n’a fait qu’apprécier s’il échet ou non de transmettre le dossier relatif à ce marché de fournitures au Grand-Duc en vue de l’exercice du droit qui lui est conféré, généralement, par l’article 103 de la loi communale du 13 décembre 1988, selon lequel le Grand-Duc peut annuler les actes collectifs et individuels des autorités communales qui sont contraires à la loi ou à l’intérêt général et, spécialement, par l’article II (7) de la loi précitée du 4 avril 1974, en vertu duquel le Grand-Duc peut suspendre ou annuler un marché conclu par l’administration communale qui serait intervenu en violation des dispositions dudit article II ou contraire à l’intérêt général (cf.

C.E. 20 juillet 1993, LAZZARA, n°s 8740 et 8752 du rôle, trib. adm 4 février 1999, MISCHEL, n° 10408 du rôle).

QUANT AU FOND Le demandeur reproche à l’administration communale de … d’avoir violé la loi précitée du 4 avril 1974 en ce qu’elle prévoit que, sauf exception dûment justifiée, les contrats de fournitures pour compte des communes sont à passer par adjudication publique et qu’en l’espèce, aucun cas exceptionnel prévu par ladite loi autorisant la passation d’un marché de gré à gré ne serait donné. Il conteste plus particulièrement l’existence des deux motifs invoqués par le collège échevinal, à savoir l’urgence et le prix soustrait au jeu normal de la concurrence.

Concernant le besoin urgent de procéder au remplacement de l’ancien tracteur, le demandeur conteste que ledit tracteur soit tombé en panne. Dans ce contexte, il expose qu’en sa qualité de concessionnaire de ladite marque, il a assuré l’entretien périodique de l’ancien tracteur et qu’il n’aurait pas eu connaissance d’un quelconque problème technique qui aurait entraîné sa mise hors service. Le demandeur relève en outre que la commune de … n’aurait pas sollicité de devis relatif au coût d’une éventuelle réparation.

En outre, le demandeur estime que, même à admettre qu’une panne soit survenue, la commune n’aurait pas été confrontée à un état d’urgence et, plus particulièrement, elle ne saurait faire valoir un besoin urgent pour assurer le « service hivernal de déneigement» au motif qu’un tel risque serait « extrêmement rare » dans nos régions au mois de mars. Il précise encore qu’au moment du dépôt de sa requête introductive d’instance (15 octobre 1999), le chasse neige n’aurait pas encore été livré.

Par ailleurs, le demandeur expose que le nouveau tracteur n’aurait été livré que fin juin 1999, soit 4 mois après le constat de la prétendue urgence.

6 Enfin, il soutient que l’ancien tracteur aurait été vieux de 21 ans de services et que l’administration communale aurait raisonnablement pu s’attendre à ce qu’un engin « d’un tel âge commencera à causer des problèmes », de sorte qu’il aurait appartenu à la commune de prendre les devants en organisant en temps utile une procédure d’adjudication publique pour pourvoir à son remplacement. Selon le demandeur, « attendre le dernier moment pour invoquer ensuite un besoin urgent revient à contourner la loi qui pose comme principe que les travaux, fournitures ou services pour compte des communes font l’objet de contrats à passer par adjudication publique ».

Concernant le motif tiré du prix soustrait au jeu normal de la concurrence, le demandeur estime que ce motif présupposerait une comparaison effective des offres de différents concurrents, ce qui n’aurait pas été fait en l’espèce et il soutient que l’administration communale resterait en défaut de justifier pourquoi le prix du tracteur John Deere, modèle 6410, serait soustrait au jeu normal de la concurrence.

L’administration communale soutient qu’elle aurait été confrontée à un besoin urgent ou imprévisible, motif l’autorisant à passer un marché de gré à gré prévu par l’article II du chapitre 2 de la loi précitée du 4 avril 1974, consistant dans le fait qu’elle devait remplacer sans tarder l’unique tracteur communal de la marque Massey-Fergusson acheté en 1978, vieux de plus de 20 ans, qui serait tombé en panne au courant du mois de février 1999 et dont une réparation n’était plus économiquement envisageable.

Elle expose que depuis 1978, ledit tracteur aurait fait l’objet de nombreuses réparations et que dans ce contexte, le demandeur aurait reçu le paiement de 1.247.512.- francs « pour continuer à faire fonctionner une mécanique visiblement fatiguée » et que l’unique tracteur de la commune constituerait pour elle un outil de travail indispensable qui serait en service tous les jours ouvrables « que ce soit pour le déplacement de matériel ou de déchets, les travaux de nettoyage, d’élagage, de débroussaillage, les travaux d’entretien de la chaussée, de réparation, de sablage ou de déneigement etc ».

Concernant la panne de l’ancien tracteur, l’administration communale expose que « le chargeur frontal hydraulique ne fonctionnait plus, de sorte qu’il n’était plus possible d’effectuer le service de déneigement hivernal, le chargement et le déchargement de palettes, terre, déchets, l’ouverture et la fermeture des tranchées et le transport de matériel de construction, béton, pierres ou blocs. Le chauffage de la cabine ne fonctionnait plus. Le moteur perdait beaucoup d’huile au point qu’il fallait en rajouter un litre et demi par jour », que pour effectuer les travaux d’urgence, elle aurait dû faire appel aux services d’un agriculteur qui serait venu la dépanner au cours du mois de mars 1999 et qu’à partir du 31 mars 1999, la société X. aurait mis gratuitement à sa disposition un tracteur de rechange pour lui permettre d’effectuer les travaux nécessaires en attendant la livraison du nouveau tracteur, livraison qui serait intervenue en date du 22 juillet 1999. Elle offre de rapporter la preuve desdits faits par témoins.

Enfin, la partie défenderesse estime que le demandeur aurait tort de soutenir qu’elle aurait été obligée de consulter plusieurs entreprises dans le cadre d’un marché de gré à gré.

Dans sa réplique, le demandeur développe ses moyens et arguments et il soutient et offre de prouver par témoins qu’il a informé l’administration communale de … « à d’itératives 7 reprises que l’acquisition d’un nouveau tracteur deviendra incontournable dans un proche avenir ».

Dans sa duplique, la partie défenderesse soutient encore que si le remplacement de l’ancien tracteur aurait été prévisible, « son agonie subite à la date du 18 février 1999 » n’aurait pas été prévisible.

Concernant l’offre de preuve formulée par le demandeur, elle estime qu’elle ne serait ni pertinente ni concluante étant donné qu’elle tendrait à prouver que l’ouvrier communal aurait été informé de la nécessité de procéder à un remplacement de l’ancien tracteur, alors que l’ouvrier ne serait pas responsable pour prendre une décision afférente.

Elle soutient encore que ce serait non pas elle, par son inaction, mais plutôt le demandeur, en tant que spécialiste et chargé de l’entretien courant de l’ancien tracteur, qui serait à l’origine de l’urgence à laquelle le collège échevinal aurait dû faire face en février 1999.

Aux termes de l’article II du chapitre 2 de la loi précitée du 4 avril 1974 « les marchés pour compte des communes sont régis par les dispositions suivantes:

1° Tous travaux, fournitures ou services pour compte des communes font l’objet de contrats à passer par adjudication publique.

2° Il peut être dérogé à cette règle générale dans les cas suivants:

(…) e) lorsque l’impossibilité de recourir à une adjudication publique a été constatée par une délibération motivée du collège des bourgmestre et échevins.

Dans tous ces cas il peut être procédé soit par adjudication restreinte, soit par marché de gré à gré.

Toutefois dans les cas prévus sub e) le recours au marché de gré à gré n’est admissible que:

(…) 5) lorsqu’il s’agit de travaux, fournitures ou services dont les prix sont en fait soustraits au jeu normal de la concurrence, ou (…) 7) lorsqu’un besoin urgent ou imprévu surgit.(…) ».

Au voeu de la disposition précitée, la soumission publique est la voie normale pour la passation des marchés visés et le recours au marché de gré à gré reste exceptionnel.

S’il est vrai que des dérogations sont prévues à la règle de passation dans l’hypothèse d’un besoin urgent ou imprévu ou en présence d’une fourniture dont le prix est soustrait au jeu 8 normal de la concurrence, pareilles dérogations sont d’interprétation stricte et il incombe au pouvoir adjudicateur, qui entend se prévaloir d’un de ces cas exceptionnels de rapporter la preuve de l’existence des circonstances exceptionnelles qui justifient le recours à la passation d’un marché de gré à gré.

En l’espèce, indépendamment de la question de savoir s’il est vrai ou non que l’ancien tracteur Massey-Fergusson 285, immatriculé Y 2635, est tombé en panne, - l’offre de preuve afférente étant partant à écarter pour ne pas être concluante -, l’administration communale reste en défaut d’établir que la nécessité de procéder à court terme au remplacement de son ancien tracteur ait constitué un besoin urgent ou imprévu dans son chef.

En effet, le caractère prévisible de la nécessité de remplacer l’ancien tracteur ne se dégageait non seulement de son âge certain, mais l’imprévisibilité alléguée est contredite par le fait que l’administration communale l’avait déjà anticipé antérieurement, étant relevé que, dans la décision litigieuse, elle a expressément visé le budget communal de 1999 qui prévoit l’acquisition d’un tracteur et un crédit afférent de 3.100.000.- francs. S’il est vrai que la date exacte de la mise hors service est restée incertaine, il n’en reste pas moins que les autorités compétentes auraient dû prendre en temps utile les diligences nécessaires pour pourvoir à son remplacement.

Concernant l’urgence invoquée, force est de constater que l’administration communale reste en défaut de rapporter la preuve d’un besoin urgent d’un nouveau tracteur, étant donné qu’elle n’établit ni que sa fourniture soit rendue nécessaire par des circonstances imprévues ni que le besoin à satisfaire soit incompatible avec les délais exigés par une procédure d’adjudication publique.

En effet, il convient en premier lieu de relever que le fait que la réparation de l’ancien tracteur n’aurait plus été envisageable économiquement reste à l’état de simple allégation, étant donné que l’administration communale n’allègue, ni a fortiori ne prouve avoir sollicité une expertise et un devis afférent, ni de la part du demandeur, qui, en tant que chargé de l’entretien quotidien du tracteur, aurait normalement dû être le premier à être contacté en cas de problème, ni par un quelconque autre prestataire de services spécialisé.

En outre, le besoin urgent de procéder par voie d’un marché de gré à gré pour remplacer l’ancien tracteur est contredit par le délai de livraison de plus de 4 mois du nouveau tracteur. La mise à disposition gratuite d’un tracteur par le cocontractant de la commune ne saurait énerver cette considération. - Si urgence il y avait au mois de février 2000 de pourvoir aux services courants assurés par le tracteur communal, elle n’est pas de nature à justifier qu’il soit dérogé à la règle fondamentale que les contrats de fourniture pour compte des communes sont à passer par adjudication publique, mais, comme le demandeur l’a fait valoir à juste titre, tout au plus de procéder, le cas échéant, par voie de gré à gré à la location d’un tracteur, en attendant le déroulement de la soumission publique.

Il se dégage des considérations qui précèdent que l’administration communale n’est pas fondée à invoquer un besoin urgent ou imprévu qui n’est dû en définitive qu’à sa propre inaction.

En ce qui concerne le deuxième motif sur lequel la décision litigieuse est basée, à savoir l’existence d’un prix soustrait au jeu normal de la concurrence, force est de constater qu’un tel 9 prix reste à l’état de simple allégation, étant donné que l’administration communale omet non seulement de produire des éléments permettant une comparaison avec des prix pour des tracteurs équivalents, mais encore de produire des éléments probants que « la firme X. est la seule à pouvoir faire la reprise de notre ancien tracteur au prix tout à fait exceptionnel de deux cent trente mille francs ». - Il s’ensuit que ce deuxième motif allégué, non autrement développé par la partie défenderesse au cours de la procédure contentieuse, n’est pas non plus de nature à justifier la passation d’un marché de gré à gré.

Il se dégage de l’ensemble des considérations ci-avant faites que le recours en annulation de la décision du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999 est fondé et que ladite décision encourt l’annulation.

Nonobstant le fait que la société à responsabilité limitée X., quoi que valablement citée par exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL en date du 12 janvier 2000 n’a pas déposé de mémoire en réponse, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la décision d’« approbation » du ministre de l’Intérieur du 15 mars 1999, reçoit le recours en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999, le déclare également fondé, partant annule la décision du collège échevinal de la commune de … du 4 mars 1999, condamne l’administration communale de … aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 26 juillet 2000, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11591
Date de la décision : 26/07/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-07-26;11591 ?

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