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26/07/2000 | LUXEMBOURG | N°10997a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juillet 2000, 10997a


Numéro 10997a du rôle Inscrit le 27 novembre 1998 Audience publique du 26 juillet 2000 Recours formé par Monsieur … NIEDNER, … contre un bulletin de l'impôt sur le revenu émis par le bureau d'imposition Luxembourg 1 en matière d’impôt sur le revenu

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 10997 du rôle, déposée le 27 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NIEDNER, médecin-

gynécologue, demeuran...

Numéro 10997a du rôle Inscrit le 27 novembre 1998 Audience publique du 26 juillet 2000 Recours formé par Monsieur … NIEDNER, … contre un bulletin de l'impôt sur le revenu émis par le bureau d'imposition Luxembourg 1 en matière d’impôt sur le revenu

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 10997 du rôle, déposée le 27 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NIEDNER, médecin-

gynécologue, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 émis à son encontre le 23 mars 1995 et, d’autre part, d’une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes résultant du silence gardé à l’égard de sa réclamation du 16 mai 1995 contre le bulletin d’impôt prévisé du 23 mars 1995 ;

Vu le jugement interlocutoire du 23 février 2000 ;

Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2000 par Maître Laurent NIEDNER pour compte de Monsieur NIEDNER ;

Vu le mémoire complémentaire du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué;

Ouï Maître Laurent NIEDNER et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Depuis l’année 1977, Monsieur … NIEDNER, demeurant à L-…, exerçait la profession de médecin-gynécologue dans un appartement sis 25c, boulevard Royal à Luxembourg dont il était le propriétaire. D’autre part, il était attaché au service d’obstétrique du Centre hospitalier de Luxembourg.

Au vu de la densité croissante du trafic routier dans la ville de Luxembourg à la fin des années quatre-vingt et du temps croissant requis pour ses déplacements entre son cabinet et le Centre hospitalier, Monsieur NIEDNER envisagea de déplacer son cabinet du centre ville à proximité du Centre hospitalier afin de pouvoir correctement surveiller des accouchements à risque et de traiter des urgences médicales.

A cette fin, il soumit au bureau d'imposition compétent, par courrier du 16 août 1989, certaines questions sur l’imposition et l’immunisation éventuelles de la plus-value qu’il réaliserait le cas échéant suite à la vente de son appartement prévisé. Suivant un second courrier du 2 octobre 1989, il communiqua au même bureau d'imposition le résultat d’une recherche sur l’échange de biens équivalents afin de voir qualifier un remplacement de l’appartement prévisé par un appartement construit par son père à proximité du centre hospitalier comme opération d’échange n’entraînant pas l’imposition de la plus-value rattachée à l’immeuble à céder. Ces deux démarches restèrent néanmoins sans réaction officielle de la part du bureau d'imposition.

Par acte notarié du 10 juillet 1990, Monsieur NIEDNER céda l’appartement sis …, dont le prix d’achat s’était élevé en 1977 à … LUF, au prix de … LUF et transféra son cabinet dans un appartement situé dans la rue … et appartenant à son père. Il vendit au docteur P. K.

sa part dans l’indivision comprenant l’ensemble du matériel médical utilisé dans son ancien cabinet et déclare n’avoir emporté que son fichier de clientèle et les dossiers médicaux.

Par bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 du 23 mars 1995, le bureau d'imposition Luxembourg 1 imputa à Monsieur NIEDNER un bénéfice courant à hauteur de … LUF en provenance de la vente de l’appartement professionnel, ce bénéfice correspondant à la différence entre le prix de vente de … LUF et la valeur comptable de … LUF au moment de la vente.

Monsieur NIEDNER réclama contre ce bulletin d’impôt par courrier du 16 mai 1995, entré à la direction de l’administration des Contributions directes le 29 mai suivant.

Cette réclamation étant restée sans suite malgré deux courriers de rappel des 11 juillet 1996 et 30 avril 1997, Monsieur NIEDNER fit introduire, par requête déposée en date du 27 novembre 1998, un recours en réformation, sinon en annulation contre le bulletin d’impôt prévisé du 23 mars 1995 et la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes face à sa prédite réclamation.

Par jugement du 23 février 2000, le tribunal a déclaré irrecevables le recours pour autant que dirigé contre une décision implicite de rejet du directeur et le recours subsidiaire en annulation, mais a reçu le recours principal en la forme dans la mesure où il est dirigé contre le bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990. Quant au fond, le tribunal a dit que la plus-value de cession réalisée par le demandeur au cours de l’année d’imposition 1990 en raison de la vente de l’appartement sis … ne constitue pas un bénéfice de cessation ou de cession au sens de l’article 15 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu, en abrégé « LIR ».

Concernant les moyens du demandeur relatifs à l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi sur l'impôt sur le revenu applicables en l’espèce, le tribunal a relevé qu’aux termes de 2 l’article 93 (2) LIR, l’actif net investi d’un membre d’une profession libérale ne comprend que les biens qui, de par leur nature, sont destinés à servir à l’exercice de cette profession et dont la possession est en relation directe avec ledit exercice. En l’absence d’indications détaillées sur la date du déménagement du cabinet médical vers le local sis …, sur le maintien éventuel d’une activité professionnelle dans l’appartement litigieux sis … jusqu’à sa vente, ainsi que la volonté du demandeur soit de maintenir l’appartement litigieux dans l’actif net investi en vue de sa vente, soit de le transférer dans son patrimoine privé moyennant prélèvement, le tribunal a estimé ne pas être en mesure d’opérer, en l’état des éléments de fait et de droit lui soumis, la qualification exacte de l’opération de vente et de la plus-value de cession en dégagée comme ayant eu lieu dans le cadre de l’activité de profession libérale du demandeur ou de la gestion de son patrimoine privé. Il a dès lors fixé l’affaire pour continuation des débats à une audience ultérieure afin de permettre au demandeur de préciser la chronologie des opérations de transfert du cabinet médical et de vente de l’appartement litigieux sis … ainsi que son intention manifestée à l’époque quant au maintien de ce dernier dans son patrimoine d’affectation, voire son transfert au patrimoine privé, les parties étant invitées à prendre position par la suite quant aux conséquences légales s’en dégageant.

Le demandeur fait exposer dans sa requête introductive et son mémoire en réplique qu’une cote d’impôt sur le revenu de … LUF, augmentée de la contribution au fonds pour l’emploi de … LUF, de manière à aboutir à un montant total de … LUF, lui a été fixée par le bulletin d’impôt déféré en raison d’un revenu imposable de … LUF. Sur base du barème d’impôt applicable pour l’année d’imposition 1990 et en retranchant du revenu imposable les revenus courants à hauteur de … LUF, la plus-value immobilière litigieuse aurait été imposée au taux de 56% auquel un prélèvement de 0,5% pour le fonds pour l’emploi devrait encore être ajouté.

Il fait encore valoir que toute réévaluation du prix d’acquisition aurait été refusée par les dispositions législatives applicables dans l’hypothèse de la cession d’un immeuble professionnel en cours d’activité. Une partie substantielle de la prétendue plus-value ne serait, d’après le demandeur, par contre pas réelle mais correspondrait à la dévaluation monétaire, étant donné que le prix d’acquisition de … LUF payé en 1977 correspondrait au montant de … LUF réévalué d’après l’indice des prix à la consommation au jour de la cession. La plus-

value réelle se réduirait ainsi à (…–…=) …LUF. Or, l’impôt correspondant calculé au taux marginal s’élèverait à … LUF et représenterait ainsi 188% de la plus-value réelle.

Le demandeur estime que cette imposition équivaudrait à une véritable spoliation par laquelle l’Etat accapare, outre l’intégralité de la plus-value réelle, encore une partie du capital et qui aboutirait à une véritable expropriation contraire à l’article 16 de la Constitution. Un tel prélèvement violerait pareillement les articles 99, 100 et 101 de la Constitution pour ne plus rentrer dans la notion d’impôt y visée.

Le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi s’opposerait, selon le demandeur, également à une telle imposition, étant donné que le prix d’acquisition d’un immeuble faisant partie du patrimoine privé du contribuable ferait l’objet d’une réévaluation, que la plus-value imposable dégagée lors de la cession ferait l’objet d’un abattement et qu’enfin un taux réduit d’impôt y serait appliqué. Le demandeur soutient avoir été traité de manière moins favorable qu’un contribuable qui est propriétaire immobilier privé et expose qu’il aurait pu échapper à ce traitement discriminatoire en installant initialement son cabinet dans un appartement pris en location et en donnant l’appartement en cause en location dès l’origine afin de le maintenir dans son patrimoine privé.

3 Le délégué du Gouvernement soutient que « le fait que la plus-value réalisée du chef de la vente de l’appartement ait été imposée à un taux marginal dépassant les 50% n’est en rien inconstitutionnel » et que le taux d’imposition pour les différentes tranches de revenus reflète les vues du législateur sur la capacité contributive des contribuables pour la couverture des charges publiques. Il affirme sans autres précisions qu’aucune violation des articles 16, 99, 100 et 101 de la Constitution ne serait donnée. Le principe de l’égalité des citoyens devant la loi se verrait pareillement respecté, vu que le taux marginal appliqué tiendrait compte de l’ensemble des revenus nets réalisés par le contribuable.

Dans son mémoire complémentaire déposé à la suite des questions soumises aux parties par le jugement prévisé du 23 février 2000, le demandeur fait préciser qu’il a vidé l’appartement litigieux entre le 1er et le 5 juin 1990 et qu’il a repris son activité dans l’immeuble situé … avec une installation médicale et du mobilier neufs. Il ajoute que l’acte de vente portant sur l’appartement litigieux aurait été passé le 10 juillet 1990 et stipulerait une entrée en jouissance immédiate de l’acquéreur. Le demandeur considère que son intention de transférer l’appartement litigieux dans son patrimoine privé résulterait de l’annonce passée dans l’édition du 1er juin 1990 du journal « Luxemburger Wort » indiquant l’abandon de l’ancienne adresse pour une nouvelle adresse et le transfert de l’intégralité de son activité professionnelle dans les nouveaux locaux. Le demandeur signale encore à toute fin utile avoir acquis l’appartement litigieux au cours de l’année 1973 en état futur d’achèvement et payé le prix d’acquisition par tranches au cours des années 1973 à 1977 pour y installer son cabinet au cours de cette dernière année.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le raisonnement du demandeur suivant lequel la vente de l’appartement litigieux en tant que bien du patrimoine privé ne donnerait pas lieu à une imposition ne serait pas correct, étant donné que cet appartement aurait fait partie de l’actif net investi du demandeur et n’aurait partant pas fait partie de son patrimoine privé durant le délai requis de dix ans. Il prétend encore qu’aucune violation du principe d’égalité devant la loi ne pourrait être admise alors que tous les contribuables qui sont dans la même situation de droit et de fait seraient traités de la même façon.

L’analyse des moyens soulevés par le demandeur implique l’examen préalable de la qualification fiscale des opérations successivement intervenues entre les mois de juin et juillet 1990 et de l’appartenance de l’appartement litigieux soit au patrimoine privé soit au patrimoine d’exploitation au moment de sa vente en date du 10 juillet 1990.

Le demandeur fait valoir en substance avoir transféré ledit appartement vers son patrimoine privé au moment où il l’avait vidé, à savoir le 5 juin 1990.

Etant donné que le tribunal a déjà retenu que le transfert du cabinet médical du demandeur n’était pas constitutif d’une cession ou cessation d’entreprise, un tel transfert en cours d’exploitation s’analyserait en un prélèvement personnel d’un bien du patrimoine d’exploitation visé par l’article 42 (2) LIR disposant que « sont considérés comme prélèvements personnels tous les biens tels que numéraire, marchandises, produits, avantages, prestations, qu’en cours d’exploitation le contribuable retire de l’entreprise soit pour lui-même, soit pour son train de maison personnel, soit pour d’autres fins étrangères à l’entreprise ». La notion du prélèvement personnel suppose ainsi une intention manifestée en ce sens ainsi qu’un acte concret et circonstancié documentant la réalité du prélèvement et consistant par exemple en un changement effectif de l’utilisation du bien en question.

4 En l’espèce, il résulte certes des informations fournies par le demandeur qu’il a arrêté l’utilisation de l’appartement litigieux à des fins professionnelles en date du 5 juin 1990. En l’absence néanmoins d’un quelconque indice d’une utilisation à une fin privée suite à la cessation de l’affectation professionnelle et au vu du délai rapproché entre cette dernière et la vente, le demandeur ne peut être considéré comme ayant posé un acte concret documentant la réalité du transfert ainsi allégué. La publication dans la presse d’un avis concernant le déplacement du cabinet médical ne dégage dans ces circonstances pas non plus une intention de transfert univoque dans le chef du demandeur. Il y a lieu de conclure que l’appartement litigieux n’a pas été prélevé du patrimoine d’exploitation du demandeur mais y a été maintenu en vue de sa vente imminente et que c’est partant à juste titre que le bureau d'imposition a qualifié la vente intervenue en date du 10 juillet 1990 de cession d’un bien du patrimoine d’exploitation du demandeur et y a appliqué le régime d’imposition afférent.

Concernant concrètement le moyen du demandeur quant au niveau du prélèvement fiscal opéré sans tenir compte de la dévaluation monétaire et les calculs y relatifs, il y a lieu de retenir d’abord que le raisonnement développé par le demandeur pêche par la prise en considération du taux d’impôt marginal le plus élevé, alors que la charge fiscale réelle est représentée par le taux d’imposition moyen qui s’élève à 52,2% en présence d’un revenu imposable de … LUF retenu par le bulletin d’impôt déféré du 23 mars 1995 et d’une cote d’impôt sur le revenu, augmentée de la contribution au fonds pour l’emploi, de … LUF fixée par le même bulletin d’impôt. La plus-value nominale en provenance de la vente de l’appartement litigieux, dégagée par la différence entre le prix de vente de … LUF et la valeur comptable de … LUF dudit appartement au moment de sa vente, telle qu’elle ressort du tableau d’amortissement dressé par le demandeur, à hauteur de … LUF a dès lors été amputée d’une cote d’impôt sur le revenu correspondante de (… x 52,2% =) … LUF.

Sans entrer dans la discussion quant à la question de la méthode économiquement la plus exacte et de l’indice le plus approprié pour mesurer l’échelle de la dévaluation monétaire en vue de calculer correctement la plus-value nette de dévaluation monétaire réalisée par le demandeur, un calcul simplement illustratif sur base de l’indice des prix à la consommation permet d’apprécier du moins approximativement la réalité du moyen soulevé par le demandeur, étant remarqué que les développements qui suivent sont fondés, pour les raisons de simplification et de compréhensibilité, sur la prémisse d’un paiement intégral du prix d’acquisition de l’appartement litigieux au cours de l’année 1977 même si le demandeur l’a effectivement réglé par tranches à partir de l’année 1973 jusqu’à l’année 1977.

A la fin de l’année 1977 l’indice des prix à la consommation (base 1.1.1948) s’élevait à 284,56 points, tandis qu’il s’établissait à 489,21 points en juillet 1990, de manière à donner lieu à un coefficient de réévaluation de 1,71918.

Afin de calculer le prix actualisé de l’appartement, la valeur la plus élevée qui peut être prise en considération est le prix d’acquisition historique de … LUF déboursé par le demandeur en 1977, tandis que la valeur la plus basse à cet effet est la valeur comptable au 10 juillet 1990 à hauteur de … LUF établie après déduction des amortissements annuels légalement prévus.

Le prix d’acquisition historique de …LUF correspond à une valeur actualisée de … LUF après application du coefficient de réévaluation, de manière à dégager une plus-value réelle de … LUF. La valeur comptable de … LUF s’élève à … LUF après réévaluation et donne lieu à une plus-value réelle de … LUF.

5 Même si ces calculs n’ont qu’un caractère illustratif, il en résulte que la plus-value réelle nette d’inflation est en tout cas inférieure à la cote d’impôt de … LUF prélevée du chef de la plus-value réalisée par le demandeur, de manière à confirmer la réalité de son moyen concernant l’imposition de la substance de sa fortune.

L’imposition critiquée en l’espèce est intervenue en application de plusieurs articles de la loi du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu telle qu’applicable pour l’année d’imposition 1990. Conformément à l’article 93 (1) LIR, le bénéfice dégagé par l’exercice d’une profession libérale est déterminé, dans la mesure de leur compatibilité avec les conditions d’exercice de la profession libérale, d’après les dispositions des articles 16 à 60 LIR, régissant le bénéfice commercial. Or, celui-ci est dominé par le principe de la comparaison des actifs nets investis du début et de la fin de l’exercice considéré (article 18 LIR) sur base d’une comptabilité d’engagement (« Bilanzsteuerrecht »). L’un des principes comptables fondamentaux est celui de la comptabilisation au coût historique prévu par l’article 23 LIR imposant l’évaluation des postes du bilan sur base du coût d’acquisition ou de revient historique et retenant ce même coût comme limite supérieure d’évaluation. Le dit article 23 LIR traduit ainsi dans le domaine de l'impôt sur le revenu le principe du nominalisme monétaire pareillement consacré par l’article 236 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales et l’article 1895 du code civil. Sauf dérogation légalement prévue, ce principe exclut toute réévaluation du prix d’acquisition ou de revient historique en fonction de l’inflation monétaire intervenue depuis la date d’acquisition ou de constitution du bien en question.

L’appartement litigieux ayant servi de cadre immobilier à l’exercice de l’activité professionnelle du demandeur, il faisait partie du patrimoine d’affectation au sens de l’article 93 (2) LIR et tombait dans le champ d’application des articles 16 à 60 LIR. La plus-value imposable était déterminée par la différence entre la valeur comptable, résultant du prix d’acquisition historique diminué des amortissements au vœu de l’article 23 (2) LIR, et le prix de cession, sans aucune réévaluation. Cette plus-value faisait dès lors partie du bénéfice courant dégagé par l’activité professionnelle continuée du demandeur et a été inclus dans le revenu imposable et soumis à l’impôt d’après le barème de l'impôt sur le revenu applicable pour l’année d’imposition 1990 prévu à l’article 118 LIR.

Quant au droit de propriété consacré par l’article 16 de la Constitution, disposant que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité », force est de constater que la Cour Constitutionnelle n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les limites apportées par cette disposition à la discrétion du législateur pour fixer le niveau des prélèvements à caractère fiscal. La Cour Constitutionnelle n’a non plus eu l’occasion de préciser la notion d’impôt visée aux articles 99 à 101 de la Constitution comme délimitant le niveau d’un prélèvement obligatoire par rapport à une privation de la propriété.

Il n’est par contre pas inutile de se référer à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande dans la mesure où les principes fondamentaux sous-jacents au droit fiscal allemand ont été reçus au Grand-Duché avec la législation afférente à l’issue de la Seconde guerre mondiale.

La Cour Constitutionnelle allemande a déjà retenu que le droit de propriété individuelle impose au législateur de prévoir un régime global des différents impôts directs conservant au contribuable la substance de sa fortune et limitant les prélèvements fiscaux de manière à ce que la charge fiscale totale ne dépasse pas la moitié d’un revenu pouvant 6 normalement être escompté sur base de recettes, dépenses et autres déductions typisées (BVerfG 22 juin 1995, BVerfGE 93, 121).

La même Cour Constitutionnelle allemande a d’un autre côté décidé par arrêt du 9 décembre 1978 que le maintien du principe du nominalisme monétaire ne se heurterait pas aux dispositions de la constitution allemande, tandis que la doctrine fiscale allemande critique actuellement le défaut de prise en compte de l’inflation monétaire dans la détermination du revenu et de la fortune imposable comme étant en contradiction avec le principe de l’imposition d’après la capacité contributive et l’interdiction d’imposition de la substance de la fortune (cf. notamment Tipke/Lang, Steuerrecht, 15e édit., Verlag Dr. Otto Schmidt, § 4 Rz.

104 et § 9 Rz. 56-s).

Eu égard à ces éléments de jurisprudence et en présence d’une imposition au titre du seul impôt sur le revenu, sans même prendre en compte l’incidence de l’impôt sur la fortune, ayant pour résultat d’opérer un prélèvement fiscal dépassant la plus-value réelle nette de dévaluation monétaire, le tribunal se doit de constater que les questions ayant trait à l’affectation de la substance de la fortune et à la limitation du niveau des prélèvements fiscaux soulevées par le demandeur sont pertinentes et est ainsi amené à conclure que la question de la conformité des articles de la loi sur l'impôt sur le revenu à la base de cette imposition par rapport à la Constitution et notamment à ses articles 16, 99, 100 et 101 est dès lors à soumettre à la Cour Constitutionnelle, d’autant plus que l’incidence de l’inflation sur le droit de propriété est critiquée en doctrine luxembourgeoise (Alain STEICHEN, La justice dans l’impôt, Publications du Centre Universitaire, 1994, pp. 362-s).

Concernant l’égalité devant la loi, le demandeur soutient en substance qu’il se trouve dans une situation comparable à celle d’un contribuable détenant un immeuble équivalent dans son patrimoine privé et l’utilisant à la réalisation de revenus, notamment en le donnant en location, et que la différence de régime instaurée par la législation sur l'impôt sur le revenu entre plus-values réalisées dans un cadre professionnel ou privé ne trouverait pas de justification suffisante.

La Cour Constitutionnelle a déjà retenu que « l’égalité devant les charges publiques est une application particulière du principe d’égalité devant la loi formulé à l’article 10bis (1) de la Constitution » (arrêt n° 9/2000 du 5 mai 2000, Mémorial A 2000, p. 947). Elle a encore décidé que l’article 11 (2) de la Constitution, devenu l’article 10bis (1) suite à la révision constitutionnelle du 29 avril 1999, disposant que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi », « ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon » (arrêt n° 2/98 du 13 novembre 1998, Mémorial A 1998, p. 2500) et que « le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but » (arrêt n° 7/99 du 26 mars 1999, Mémorial A 1999, p. 1087). Elle a pareillement considéré que « la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée » (arrêt n° 9/2000, précité).

Il est certes vrai que, contrairement au régime d’imposition prévu par les articles 16 à 60 LIR, dans le cadre du régime d’imposition des plus-values de cession d’immeubles ayant fait partie du patrimoine privé, l’article 102 (6) LIR admet la réévaluation du prix d’acquisition de l’immeuble visé pour tenir compte de l’inflation monétaire dans la 7 détermination de la plus-value de cession de cet immeuble. S’y ajoute qu’une plus-value immobilière réalisée sur un bien du patrimoine privé peut faire l’objet d’un abattement prévu par l’article 130 (4) LIR et de la soumission à un taux d’impôt réduit en vertu des articles 131 (1) et 132 (2) LIR.

La question de l’imposition des plus-values s’insère cependant dans le cadre plus large d’un régime intégral d’imposition du revenu. Un membre d’une profession libérale et un propriétaire immobilier se trouvent dans des situations différentes en ce que le premier utilise un immeuble comme cadre pour l’exercice d’une activité professionnelle personnelle, tandis que le second le met en valeur en tant qu’élément de son patrimoine privé en vue de réaliser des recettes. La loi précitée du 4 décembre 1967 tient compte de cette différence en soumettant le membre d’une profession commerciale au régime de la détermination du bénéfice commercial sur base d’une comptabilité d’engagement (« Bilanzsteuerrecht ») et le propriétaire immobilier particulier à la détermination de la plus-value par comparaison des recettes et dépenses (« Ertragssteuerrecht »).

Le membre d’une profession libérale cédant un bien immobilier faisant partie de son patrimoine d’exploitation et le contribuable personne privée cédant un bien immobilier de son patrimoine privé ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard de la loi sur l'impôt sur le revenu et plus particulièrement au regard de l’imposition de la plus-value dégagée par ladite cession. Le moyen du demandeur tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi doit partant être déclaré dénué de tout fondement au sens de l’article 6 alinéa 2, b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle et être rejeté.

Le demandeur a soulevé dans son recours « la question de la conformité à la Constitution et notamment à ses articles 11 (2), 16, 99, 100 et 101 des dispositions, respectivement réglementaires autorisant l’imposition litigieuse, et notamment des articles 18, 19, 20, 21, 23, 55, 55bis, 93 et 118 LIR, de l’article 1er du règlement grand-ducal du 11 août 1970 portant exécution de l’article 20 de la loi concernant l'impôt sur le revenu, ainsi que du barème de l'impôt sur le revenu des personnes physiques applicable à partir de l’année d’imposition 1990, publié au Mémorial B, 1990, n° 1, en ce que ces dispositions aboutissent à la perception d’un montant de ….- francs pour une plus-value en termes réels de …- francs ». Eu égard aux développements ci-avant, il y a lieu d’écarter de la question à soumettre la référence à l’article 11 (2) de la Constitution, le moyen afférent tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi ayant été déclaré manifestement dénué de fondement. Il y a pareillement lieu d’omettre de la question à soumettre à la Cour Constitutionnelle les dispositions légales qui n’ont pas été déterminantes pour l’imposition critiquée, de même que les dispositions réglementaires afférentes lesquelles échappent en toute occurrence à la compétence de la Cour Constitutionnelle en la matière.

Le tribunal demande dès lors à la Cour Constitutionnelle de statuer à titre préjudiciel sur la question reformulée comme suit :

« Les dispositions combinées des articles 18, 23, 92, 93 et 118 LIR, dans leur teneur respective applicable à l’année d’imposition 1990, ou certaines d’entre el es, en ce qu’el es intègrent un immeuble affecté à l’exercice d’une profession libérale dans un patrimoine d’affectation soumis à l’évaluation au coût historique et soumettent, lors de la vente de cet immeuble, à l'impôt sur le revenu, sans aucune réévaluation, une plus-value de cession égale à la différence entre le coût historique, diminué des amortissements opérés, et le prix de cession, ayant ainsi pour effet de prélever une cote d’impôt sur le revenu absorbant l’intégralité de la plus-value 8 dégagée en tenant compte de la dévaluation monétaire et affectant la substance de la fortune du contribuable, sont-el es conformes à la Constitution et notamment à ses articles 16, 99, 100 et 101 ? ».

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, au fond, avant tout autre progrès en cause, demande à la Cour Constitutionnelle de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante :

« Les dispositions combinées des articles 18, 23, 92, 93 et 118 LIR, dans leur teneur respective applicable à l’année d’imposition 1990, ou certaines d’entre el es, en ce qu’el es intègrent un immeuble affecté à l’exercice d’une profession libérale dans un patrimoine d’affectation soumis à l’évaluation au coût historique et soumettent, lors de la vente de cet immeuble, à l'impôt sur le revenu, sans aucune réévaluation, une plus-value de cession égale à la différence entre le coût historique, diminué des amortissements opérés, et le prix de cession, ayant ainsi pour effet de prélever une cote d’impôt sur le revenu absorbant l’intégralité de la plus-value dégagée en tenant compte de la dévaluation monétaire et affectant la substance de la fortune du contribuable, sont-el es conformes à la Constitution et notamment à ses articles 16, 99, 100 et 101 ? », surseoit à statuer pour le surplus, fixe l’affaire au rôle général, réserve les frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 juillet 2000 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, M. SCHOCKWEILER, vice-président, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT DELAPORTE 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10997a
Date de la décision : 26/07/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-07-26;10997a ?

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