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26/07/2000 | LUXEMBOURG | N°10605

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juillet 2000, 10605


N° 10605 du rôle Inscrit le 10 mars 1998 Audience publique du 26 juillet 2000

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Recours formé par la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ, … (Pays-Bas) contre une décision du ministre de la Justice en matière de jeux de hasard et de loterie

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 mars 1998 par Maître Guy ARENDT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ, établie et ...

N° 10605 du rôle Inscrit le 10 mars 1998 Audience publique du 26 juillet 2000

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Recours formé par la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ, … (Pays-Bas) contre une décision du ministre de la Justice en matière de jeux de hasard et de loterie

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 mars 1998 par Maître Guy ARENDT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ, établie et ayant son siège à NL-…, représentée par sa direction actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 décembre 1997 lui refusant l’autorisation d’organiser au et à partir du Luxembourg une loterie internationale basée sur les codes postaux ainsi que d’un avis du 19 novembre 1997 de l’OEUVRE NATIONALE DE SECOURS GRANDE-DUCHESSE CHARLOTTE, établissement public, établie et ayant son siège à L-…, se trouvant à la base de la décision ministérielle précitée ;

Vu la requête en intervention déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 décembre 1998 par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’OEUVRE NATIONALE DE SECOURS GRANDE-

DUCHESSE CHARLOTTE, préqualifiée, par laquelle celle-ci déclare intervenir dans le recours en annulation inscrit sous le numéro 10605 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 31 décembre 1998, portant signification de cette requête en intervention à la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 1999 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 1999, au nom de la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ ;

Vu l’acte d’avocat à avocat du 8 avril 1999 par lequel ce mémoire en réplique a été notifié à Maître Roger NOTHAR ;

Vu le mémoire en duplique, intitulé mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2000 par Maître Roger NOTHAR au nom de l’OEUVRE NATIONALE DE SECOURS GRANDE-DUCHESSE CHARLOTTE ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, préqualifié, du 17 mars 2000, par lequel ce mémoire en duplique a été signifié à la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ainsi que l’avis attaqués ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Guy ARENDT et Roger NOTHAR ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier du 1er septembre 1995, adressé au ministre de la Justice, le mandataire de la fondation de droit néerlandais NATIONALE POSTCODE LOTERIJ, établie et ayant son siège social à NL-…, dénommée ci-après “ NPL ”, sollicita une autorisation en vue de l’organisation au Luxembourg d’un jeu de loterie basé sur les codes postaux. Il est notamment indiqué dans la prédite demande ce qui suit : “ Die Stiftung organisiert seit dem Jahre 1989 die “ POSTCODE LOTERIJ ” (Postleitzahllotterie), um mit dem Nettoertrag Organisationen allgemeinen Interesses zu unterstützen, die auf dem Gebiet gemeinschaftlicher Entwicklungshilfe, Erhaltung der Umwelt sowie humanitärer Hilfeleistungen tätig sind ”. Il ressort encore d’une lettre d’accompagnement que NPL serait d’accord “ à distribuer une grande partie de ses bénéfices à des organisations humanitaires luxembourgeoises ”. En annexe à cette demande figurait le règlement du jeu, les statuts de NPL, une liste des membres du conseil de surveillance de celle-ci, ainsi qu’une brochure illustrée, en langue néerlandaise, avec un résumé en langue anglaise, ainsi que le bilan de NPL.

En date du 3 octobre 1997, le mandataire de NPL s’adressa à nouveau au ministre de la Justice, en se référant au courrier précité du 1er septembre 1995, et, tout en rappelant qu’une décision n’était pas encore intervenue à la suite de la demande en autorisation précitée, il lui soumit une nouvelle demande, légèrement modifiée en ce que NPL ne souhaitait plus viser exclusivement le marché luxembourgeois, mais souhaitait également obtenir une autorisation afin de pouvoir organiser la prédite loterie à partir du Luxembourg afin d’être en mesure de viser, dans une première phase, le marché néerlandais. Dans ce contexte, il était indiqué qu’elle disposait déjà d’une licence aux Pays-Bas afin d’y organiser ce type de loterie. Dans une deuxième phase, NPL souhaitait organiser cette loterie à partir du Luxembourg afin de viser la totalité du marché européen.

L’OEUVRE NATIONALE DE SECOURS GRANDE-DUCHESSE CHARLOTTE, établissement public, établie et ayant son siège social à L-…, dénommée ci-après l’“ OEUVRE ”, émit en date du 19 novembre 1997 un avis défavorable à l’égard de la demande de NPL, adressé au ministre de la Justice conformément aux dispositions de l’article 4 de l’arrêté grand-ducal modifié du 13 juillet 1945 portant création d’une loterie nationale.

Cet avis était motivé de la manière suivante : “ La NATIONALE POSTCODE LOTERIJ ” se 2 propose d’organiser à partir du Grand-Duché de Luxembourg une loterie internationale basée sur les codes postaux.

Cette loterie s’adresse partant tant aux résidents luxembourgeois qu’à l’ensemble de la population de l’Union Européenne, voire de toute l’Europe.

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En ce qui concerne le volet international de la loterie, l’Oeuvre donne à considérer qu’il n’appartient nullement à l’Etat luxembourgeois de l’autoriser, alors qu’il relève de la souveraineté de chaque Etat d’organiser les activités de loterie et de les autoriser le cas échéant soit au niveau national ou fédéral, soit au niveau des collectivités territoriales prévues par sa législation en la matière.

Une autorisation par l’Etat grand-ducal de cette loterie, en ce qu’elle comporte une dimension internationale, empiéterait ainsi sur la souveraineté des autres Etats et constituerait partant une violation du droit public international.

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Pour ce qui est de l’autorisation de lancer une loterie de dimension nationale, il y a lieu de tenir compte des considérations suivantes, fondées sur le respect de l’ordre public en la matière.

Le premier objectif de l’autorisation des loteries n’est pas de récolter des fonds pour des œuvres de bienfaisance et philanthropiques, mais de canaliser, satisfaire, limiter et contrôler le désir du jeu, lequel s’analyse en un comportement irrationnel et nocif. Le fait que les bénéfices de ces activités sont utilisés pour la collectivité est un élément important mais secondaire. Si le but était de maximaliser les profits pour la collectivité, ceci porterait préjudice à l’objectif primaire de la limitation de l’offre.

L’offre de loterie existant sur le territoire luxembourgeois suffit, à l’heure actuelle, à canaliser le désir du jeu. Il échet en effet de constater que le niveau de jeu est élevé et qu’il touche à un plafond, comme en témoigne une certaine stagnation des sommes dépensées à ce titre au cours des dernières années.

Nous estimons dès lors que l’introduction de ce nouveau concept de jeu est de nature à échauffer davantage le désir du jeu plutôt que de le limiter et de le contrôler ”.

A la suite de l’avis négatif précité de l’OEUVRE du 19 novembre 1997, le ministre de la Justice informa le mandataire de NPL, par courrier du 12 décembre 1997, de ce qu’il se ralliait aux arguments développés par l’OEUVRE dans l’avis précité et qu’il refusait en conséquence l’autorisation sollicitée.

Par requête déposée en date du 10 mars 1998, NPL a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle, ainsi que de l’avis de l’ŒUVRE, précités.

Par une requête en intervention déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 1998 au nom de l’OEUVRE, celle-ci a déclaré intervenir dans la prédite instance, au motif qu’elle aurait un “ intérêt manifeste ” à intervenir dans l’instance, dans la mesure où son avis précité du 19 novembre 1997 y est discuté.

3 Ni le délégué du gouvernement ni NPL, dans le cadre de son mémoire en réplique, n’ont soulevé de moyen d’irrecevabilité à l’encontre de la prédite requête en intervention, à l’exception toutefois de ce que NPL se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne l’intérêt de l’OEUVRE à intervenir.

En vertu de l’article 22 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, applicable à la présente instance sur base de l’article 69, alinéa 2 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, “ l’intervention sera formée par une requête qui sera communiquée aux parties, pour y répondre dans le délai qui sera fixé par le président du comité – néanmoins, la décision de l’affaire principale qui serait instruite, ne pourra être retardée par une intervention.

L’intervention n’est plus recevable après que le conseiller-rapporteur a commencé son rapport en audience publique ”.

En l’espèce, l’intervention par l’OEUVRE ayant été formulée par voie de requête, déposée au greffe du tribunal avant le rapport à présenter par le juge-rapporteur, est à déclarer recevable, étant donné qu’elle a par ailleurs intérêt à agir de la sorte, dès lors qu’au-delà de sa qualité d’auteur de l’avis précité du 19 novembre 1997, elle organise au Luxembourg, en vertu de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, la loterie nationale, susceptible de se trouver en concurrence avec la loterie telle qu’envisagée par NPL.

L’OEUVRE soutient d’abord que la requête introductive d’instance serait à déclarer irrecevable dans la mesure où elle n’indiquerait pas l’adresse du siège de NPL, et qu’elle violerait partant l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal précité du 21 août 1866. Le délégué du gouvernement s’est rallié à ce moyen d’irrecevabilité.

En vertu de l’article 1er, alinéa 2 de l’arrêté royal grand-ducal précité du 21 août 1866, la “ requête contiendra l’exposé sommaire des faits et des moyens, les conclusions, les noms et demeures des parties, l’énonciation des pièces dont on entend se servir et qui y seront jointes ”.

En l’espèce, la requête introductive d’instance se borne à mentionner qu’elle a été formulée au nom de la “ fondation de droit néerlandais “ NATIONALE POSTCODE LOTERIJ ” avec siège à 1071 EX Amsterdam, Pays-Bas ” sans préciser autrement la situation exacte de son siège social à Amsterdam.

L’omission de l’indication de la demeure exacte de la partie requérante dans la requête introductive d’instance n’entraîne la nullité de la requête que si cette omission est de nature à violer les droits de la défense (trib. adm. 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, IV. Requête introductive d’instance, n° 62, p. 282 et autres références y citées).

En l’espèce, et à part le fait que dans sa requête en intervention l’OEUVRE indique elle-même avec précision l’adresse du siège social de NPL, il échet de noter que ni l’OEUVRE ni le gouvernement n’ont su se méprendre sur l’identité exacte de la partie requérante dans la mesure où, d’une part, ils étaient en contact étroit avec ladite partie requérante au cours de l’instruction administrative du dossier ayant abouti à l’avis de l’OEUVRE du 19 novembre 4 1997 et de la décision du ministre de la Justice du 12 décembre 1997, tel que cela ressort des pièces et éléments du dossier versés à l’appui de la requête introductive d’instance et, d’autre part, ils ont conclu en connaissance de cause dans leurs différents mémoires déposés dans le cadre de la présente instance quant au fond des problèmes juridiques soulevés par ladite partie requérante. Une violation des droits de la défense, d’ailleurs non alléguée par l’Etat et l’OEUVRE, n’a partant pas été établie en l’espèce et il échet partant de rejeter ce moyen.

L’OEUVRE et l’Etat reprochent encore à la partie requérante de ne pas avoir indiqué dans sa requête introductive d’instance l’organe qui la représente en justice. Ils estiment que NPL ne serait partant pas représenté par l’organe légalement ou statutairement compétent pour intenter le recours devant le tribunal administratif et que la requête introductive d’instance devrait en conséquence être déclarée nulle et le recours y contenu irrecevable.

Les indications figurant dans la requête introductive d’instance doivent être suffisamment précises et détaillées afin de permettre non seulement à la partie défenderesse mais également aux éventuelles autres parties tierces intéressées de connaître avec exactitude l’identité de la partie demanderesse.

S’il est vrai que la mention dans la requête introductive d’instance d’un organe y indiqué comme représentant une personne morale dans le cadre d’une procédure contentieuse, qui n’est toutefois pas habilité, en vertu de la loi régissant l’organisation et le fonctionnement de la personne morale en question, à la représenter en justice, est de nature à entraîner la nullité de la requête introductive d’instance et partant l’irrecevabilité du recours ainsi introduit, au cas où il s’avère que, du fait de la prise de décision d’intenter une telle procédure contentieuse par un organe incompétent, la personne morale n’est pas valablement représentée à l’instance, il n’en reste pas moins qu’au cas où une indication quant à l’organe représentant la personne morale en justice fait défaut dans la requête introductive d’instance, il échet de présumer, à défaut de preuve contraire, que l’organe légalement habilité à prendre, au nom de la personne morale, la décision d’agir en justice, a pris celle-ci, et que cette personne morale est représentée par l’organe y légalement habilité.

En l’espèce, la requête introductive d’instance ne contient une indication ni quant à l’organe ayant pris la décision de faire introduire un recours contentieux au nom de NPL ni quant à celui la représentant dans le cadre de la présente instance.

A part le fait qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire exigeant qu’une requête à introduire devant les juridictions administratives doit expressément contenir, au cas où la demande est formulée pour compte d’une personne morale, des précisions quant à l’organe autorisé à la représenter en justice, il n’a été ni allégué, ni établi par l’Etat du Grand-

Duché de Luxembourg ou l’OEUVRE que l’absence de cette indication ait été de nature à les induire en erreur sur l’identité exacte de la partie demanderesse et de violer ainsi leurs droits de la défense. Par ailleurs, ils n’ont pas fait état d’un quelconque autre préjudice causé par le défaut de cette indication. Partant, ce moyen est également à abjuger.

L’OEUVRE, à laquelle s’est rallié le délégué du gouvernement, soulève enfin un troisième moyen d’irrecevabilité tiré de ce que le recours, dans la mesure où il est dirigé contre l’avis précité de l’OEUVRE du 19 novembre 1997, serait à déclarer irrecevable en ce que ledit avis ne constituerait qu’un acte préparatoire et intérimaire dans la procédure d’autorisation de toute loterie publique et qu’il ne pourrait donc être qualifié de décision administrative à 5 caractère définitive au sens de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait valoir que le recours serait dirigé contre le prédit avis dans la mesure où il serait “ intégré dans la décision défavorable du ministre de la Justice ” en ce que ce dernier s’y est expressément référé en en adoptant également les motifs de refus.

Les avis émis par des organes consultatifs préalablement à une décision administrative ne constituent pas des actes finaux dans la procédure, mais ne sont que de simples mesures d’instruction destinées à recueillir des éléments d’information, afin de mettre l’auteur de la décision en mesure de prendre celle-ci. Ces avis ne peuvent donc, en eux-mêmes, faire l’objet d’un recours. Toutefois, leur irrégularité propre et les vices dont ils peuvent être affectés, peuvent être analysés dans le cadre du recours dirigé contre la décision administrative. Ces avis sont censés faire partie intégrante de la décision administrative dès que celle-ci y fait expressément référence et un recours intenté contre la décision s’étend nécessairement à l’avis qui en constitue le complément indispensable (trib.adm. 27 février 1997, n° 9601 du rôle, Pas.

adm. 1/2000, V° Actes administratifs, I. Décisions susceptibles d’un recours, n° 15, p. 18 et autre référence y citée).

L’avis précité de l’OEUVRE du 19 novembre 1997 a été rendu sur base de l’article 4 de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, qui dispose que “ tant que durera la loterie nationale, aucune autre loterie publique dont la valeur des billets à émettre dépasse la somme de 100.000.- francs, ne sera autorisée que sur avis conforme de l’OEUVRE NATIONALE DE SECOURS GRANDE-DUCHESSE CHARLOTTE ”.

Il suit de ce qui précède que l’avis en question ne constitue pas un acte final dans la procédure devant aboutir à l’autorisation ou au refus de l’autorisation d’une loterie et qu’il constitue un simple acte préparatoire de la décision du ministre de la Justice.

Il s’ensuit que le recours, dans la mesure où il est dirigé contre l’avis de l’OEUVRE du 19 novembre 1997, est à déclarer irrecevable, étant toutefois entendu que dans la mesure où des moyens spécifiques sont invoqués, dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle précitée du 12 décembre 1997, constituant l’acte final dans la procédure au cours de laquelle a été pris l’avis précité, et qu’ils visent des irrégularités propres ou des vices dont peut être affecté l’avis en question, ces moyens seront analysés le cas échéant dans le cadre du recours dirigé contre la décision finale.

Le recours en annulation, dirigé contre la décision précitée du ministre de la Justice du 12 décembre 1997 est à déclarer recevable, pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, la demanderesse, tout en soutenant que le fait par NPL, ayant son siège social aux Pays-Bas, de solliciter au Luxembourg l’autorisation de pouvoir y organiser une loterie visant non seulement le marché luxembourgeois mais également, d’une manière générale, le marché européen, serait à qualifier de loterie transfrontalière, soumise à la liberté de prestation de services telle qu’instaurée par les traités communautaires, estime que “ le refus opposé à NPL, n’est en réalité pas une mesure de protection de l’ordre moral et social [qui serait permise par le droit communautaire, tel que cela résulterait de l’arrêt C-275/92 du 6 24 mars 1994 de la Cour de Justice des Communautés Européennes (affaire Schindler, Rec.

CJCE. 1994, I. p. 1039)], mais une protection discriminatoire de la Loterie Nationale ”. Il s’agirait en l’espèce d’une discrimination dirigée contre les autres opérateurs, notamment non-

luxembourgeois mais ressortissants communautaires, résultant de l’article 3 de l’arrêté grand-

ducal précité du 13 juillet 1945, en ce qu’il y aurait création “ d’une situation quasi-

monopolistique au seul profit d’un organisme national, à savoir la Loterie Nationale, alors que tout autre opérateur est obligé de se soumettre à une procédure d’avis conforme ”. Elle soutient de ce fait qu’“ une décision de refus basée sur une telle disposition, comme tel est le cas de la décision du ministre de la Justice en date du 12 décembre 1997, doit dès lors être considérée comme incompatible avec le droit communautaire et doit être annulée ”. Pour autant que de besoin, elle demande au tribunal administratif de soumettre une question préjudicielle à ce sujet à la Cour de Justice des Communautés Européennes sur base de l’article 177 du Traité de Rome (devenu article 234 CE).

La demanderesse conteste encore dans ce contexte que les motifs de refus invoqués par le ministre à l’appui de sa décision attaquée, dans la mesure où il s’est rallié aux motifs figurant dans l’avis de l’ŒUVRE du 19 novembre 1997, ne seraient pas, en réalité, des motifs tirés de la protection de l’ordre moral et social qui, d’après l’arrêt Schindler précité, seraient susceptibles de justifier des restrictions allant jusqu’à l’interdiction des loteries sur le territoire d’un Etat membre, mais des motifs destinés à discriminer indirectement voire directement un ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union Européenne.

Elle conclut partant à une violation des “ règles de non-discrimination et de libre prestation des services résultant pour les particuliers du droit communautaire ” pour conclure à l’annulation de la décision ministérielle déférée.

Elle conclut encore à un “ détournement de procédure ” dans la mesure où le refus de l’autorisation sollicitée aurait pour objet d’“ écarter un prestataire communautaire non luxembourgeois ” qui remplirait par ailleurs objectivement tous les critères en vue de se voir autoriser à commercialiser la loterie par lui envisagée, dans la mesure où il disposerait “ des licences requises par le droit néerlandais, son pays d’origine, qu’il verse les bénéfices à des oeuvres caritatives ou humanitaires, qu’il s’est même proposé de faire parvenir une partie des revenus à des oeuvres luxembourgeoises et de s’adapter aux spécificités luxembourgeoises ”.

Enfin, la demanderesse reproche à la décision litigieuse d’avoir retenu comme motif de refus du volet international de la loterie envisagée le fait que l’Etat luxembourgeois commettrait un “ empiétement sur la souveraineté des autres Etats et une violation de droit public international ” en permettant à NPL de pratiquer des opérations de loterie dans d’autres Etats européens, en estimant qu’il n’appartiendrait pas aux autorités luxembourgeoises d’empêcher un prestataire de services de choisir l’implantation de “ la base de son jeu ” au Luxembourg, étant donné qu’il appartiendrait à ce prestataire de services de solliciter par après, le cas échéant, les autorisations et licences requises de la part des autres Etats membres de l’Union Européenne ou des autres Etats européens en vue de la commercialisation de la loterie en question sur leur territoire national.

Le délégué du gouvernement, dans le cadre de son mémoire en réponse, et après avoir exposé qu’à son avis la décision litigieuse n’aurait aucun caractère discriminatoire contraire au Traité de Rome, conteste encore toute discrimination dans la mesure où elle résulterait de 7 l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, alors que ces dispositions réglementaires s’appliqueraient indistinctement à toutes les demandes pour des loteries qu’elles proviennent du Grand-Duché de Luxembourg ou de l’étranger.

L’OEUVRE qui, dans ses mémoires en réponse et en duplique développe des moyens et arguments tendant à justifier la prise de position défendue par elle dans son avis conforme précité du 19 novembre 1997, auquel le ministre de la Justice s’est rallié, ce qui a pour conséquence que les motifs de refus du ministre de la Justice sont exactement les mêmes que ceux développés par l’OEUVRE dans son avis précité, ce qui permet au tribunal de tenir compte des mémoires en réponse et en duplique de l’OEUVRE alors que les développements y inclus gardent leur valeur à l’égard de la décision prise par le ministre de la Justice, nonobstant le fait que le recours a été déclaré irrecevable en ce qu’il a été dirigé contre l’avis conforme de l’OEUVRE, estime de son côté que ni la législation luxembourgeoise ni la décision attaquée ne violeraient le droit communautaire.

Les parties au litige ont analysé la législation et la réglementation luxembourgeoises en matière de loterie et de jeux de hasard, ainsi que la décision incriminée au regard du droit communautaire, et plus particulièrement sous l’angle de la libre prestation de services, telle que réglementée par le Traité de Rome. Il échet partant au tribunal d’examiner, dans un premier stade, si les demandes en autorisation présentées par NPL tombent sous le champ d’application de la libre prestation de services.

Pour que le droit communautaire puisse trouver application, il faut d’abord qu’il existe un élément d’extranéité.

En l’espèce, le siège social de NPL se trouve à Amsterdam aux Pays-Bas et, tel que cela ressort de la demande initiale du 1er septembre 1995, NPL souhaite en premier lieu être autorisée au Luxembourg à pratiquer le type de loterie basé sur les codes postaux, pour lequel elle aurait déjà une autorisation aux Pays-Bas. Cette demande a été réitérée dans le cadre de la deuxième demande adressée au ministre de la Justice en date du 3 octobre 1997. Le tribunal conclut, sur base des indications fournies dans les deux demandes, que NPL souhaite organiser ce type de loterie à partir des Pays-Bas et de s’adresser ainsi à une clientèle située au Grand-

Duché de Luxembourg. L’élément d’extranéité est partant constitué par le franchissement d’une frontière intra-communautaire, à l’origine duquel se trouve NPL, dans la mesure où elle essaie de contacter une clientèle qui est située dans un autre Etat membre. Partant, le droit communautaire a vocation à s’appliquer du moins en ce qui concerne ce premier volet de la demande formulée par NPL.

En ce qui concerne le deuxième volet de la demande de NPL, tel que celui-ci ressort de la demande complémentaire du 3 octobre 1997, il ressort de la demande précitée que NPL souhaite également être autorisée à organiser à partir du Luxembourg une loterie visant, dans une première phase, le marché néerlandais et, dans une deuxième phase, le marché européen d’une manière générale. Les parties, et plus particulièrement la demanderesse elle-même, discutent également ce volet de la demande sous le point de vue de l’application des règles communautaires en matière de libre prestation de services et non pas du point de vue de la liberté d’établissement, telle que réglementée par l’article 52, alinéa 2 du Traité de Rome (devenu article 43 CE) dans la mesure où celle-ci comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice dans un autre Etat membre de l’Union Européenne.

8 Le tribunal conclut, sur base de cette constatation, ainsi que sur base du contenu des demandes afférentes adressées au ministre de la Justice, que NPL n’entend pas tirer profit de cette liberté d’établissement en constituant ou en installant au Luxembourg, une société ou entreprise, que ce soit sous forme de filiale ou de succursale de la fondation néerlandaise afin d’exercer à partir du Luxembourg les activités projetées. Ainsi, il y a lieu d’envisager ces activités d’un point de vue transfrontalier dans la mesure où NPL garde son siège à Amsterdam et que toutes les opérations effectuées par elle dans ce contexte se feront à partir de ce siège.

Par ailleurs, il n’est ni allégué, ni établi par l’une des parties à l’instance, que ces opérations ne pourraient être effectuées qu’à partir du moment où NPL disposerait d’un établissement stable au Luxembourg. Il échet encore de signaler dans ce contexte que la seule présence temporaire d’un représentant du prestataire de services, sur le territoire luxembourgeois, ne permet pas de faire relever les opérations envisagées par elle de la liberté d’établissement (v. J.-Cl., Europe, Jean-Guy HUGLO, Droit d’établissement et libre prestation de services, Fasc. 710, n° 33 et s.).

Il suit des considérations qui précèdent que le deuxième volet de la demande est également à traiter au regard des principes dégagés par le droit communautaire en matière de libre prestation de services, d’autant plus que tout comme pour le premier volet de la demande, l’activité envisagée par NPL, à savoir le jeu d’argent, constitue une activité prestée contre rémunération, étant donné que la participation à la loterie telle qu’envisagée par NPL, et tel que cela ressort du règlement des jeux annexé aux demandes précitées, prévoit que les participants à cette loterie doivent verser une certaine somme d’argent, par voie d’ordre permanent, à NPL. Ainsi la Cour de Justice des CE a reconnu la nature de prestation de services à l’organisation de loteries, malgré le caractère aléatoire du gain, tel que cela ressort de l’arrêt précité de la Cour de Justice des CE rendu le 24 mars 1994 dans l’affaire Schindler.

Dans l’affaire précitée, ainsi que dans deux autres affaires jugées par la Cour de Justice des CE (aff. Läärä, 21 septembre 1999, C-124/97, Rec. CJCE, 1999, I. p. 6067 et Zenatti, 21 octobre 1999, C-67/98, non encore publié), elle a retenu qu’une telle activité relève du champ d’application de l’article 59 du Traité de Rome (devenu article 49 CE) à partir du moment où, comme c’est le cas en l’espèce, au moins l’un des prestataires est établi dans un Etat membre autre que celui dans lequel le service est offert.

Il ressort de l’arrêt Säger et Dennemeyer de la Cour de Justice des CE (affaire C-

76/90 : Rec.CJCE 1991, I. p. 4221) que “ l’article 59 du Traité exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres Etats membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre Etat membre, où il fournit légalement des services analogues ”.

En l’espèce, le tribunal constate que l’Etat, d’une part, a chargé l’OEUVRE, établissement public créé par l’arrêté grand-ducal du 25 décembre 1944 de l’organisation d’une loterie nationale et, d’autre part, a soumis à l’autorisation soit du collège des bourgmestre et échevins de la commune du principal lieu de l’émission des billets de loterie, au cas où la valeur de ceux-ci est inférieure ou égale à 250.000.- francs, soit au gouvernement si la valeur desdits billets dépasse la prédite somme, conformément à l’article 1er, 1. de la loi du 15 février 1882 sur les loteries, toute loterie publique autre que celle confiée à l’OEUVRE, sous réserve toutefois que l’OEUVRE doit émettre un avis conforme au cas où la valeur des billets à émettre dépasse la somme de 100.000.- francs, tel que cela ressort de l’article 4 de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945.

9 La demanderesse reproche, d’une part, à la législation luxembourgeoise de créer un monopole au profit de l’OEUVRE entraînant par ailleurs une protection discriminatoire de la loterie nationale exploitée par celle-ci. Cette situation “ quasi-monopolistique ” au profit d’un “ organisme national, à savoir la loterie nationale ” entraînerait une discrimination envers les autres opérateurs dans la mesure où ceux-ci devraient se soumettre à la procédure de l’avis conforme, telle que prévue par l’article 4 précité de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, incompatible avec le droit communautaire.

Il résulte de ce qui précède, et il n’est d’ailleurs pas contesté par les parties à l’instance, que la prédite réglementation luxembourgeoise, en ce qu’elle interdit l’organisation de loteries à toute personne ou organisme autre que ceux qui peuvent être autorisés à y procéder, selon la procédure prédécrite, est indistinctement applicable aux opérateurs qui pourraient être intéressés par une telle activité, qu’ils soient établis au Luxembourg ou dans un autre Etat membre.

Toutefois, la Cour de Justice des CE a jugé, dans les arrêts précités, qu’une telle législation, en ce qu’elle empêche les opérateurs des autres Etats membres, directement ou indirectement, de procéder eux-mêmes à l’organisation d’une loterie sur le territoire d’un autre Etat membre, constitue une entrave à la libre prestation de services. Il est dans ce contexte utile de rappeler que d’après la Cour de Justice des CE, il n’est plus nécessaire d’analyser, afin de savoir s’il existe une atteinte au principe de la libre prestation de services, tel que défini par le Traité, si la mesure nationale en cause est discriminatoire, étant donné que ladite Cour procède à ce contrôle également au cas où ladite mesure est indistinctement applicable (J.-Cl.

Europe, op. cit. n° 90, p. 20).

Il convient, dès lors, de rechercher si cette atteinte au principe de la libre prestation de services peut être admise au titre des mesures dérogatoires expressément prévues par le Traité ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice des CE, par des raisons impérieuses d’intérêt général.

A cet égard, les articles 55 du Traité de Rome (devenu article 45 CE) et 56 du Traité de Rome (devenu, après modification, article 46 CE), applicables en la matière en vertu de l’article 66 du même Traité (devenu article 55 CE), admettent les restrictions justifiées par la participation, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique ou par des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

D’après une jurisprudence constante de la Cour de Justice des CE, telle qu’elle ressort notamment des arrêts précités, des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation de services, et constituant partant une entrave à la libre prestation de services, peuvent être déclarées compatibles avec cette liberté fondamentale lorsqu’elles remplissent quatre conditions : qu’elles s’appliquent de manière non discriminatoire, qu’elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (v. également J.-Cl. Europe, op. cit. n° 85, p.

19).

Ainsi, d’après l’arrêt Schindler précité, les Etats membres peuvent établir des restrictions allant jusqu’à l’interdiction des loteries sur leur territoire afin de prévenir les délits 10 et garantir que les participants aux jeux d’argent seront traités honnêtement, d’éviter de stimuler la demande dans le secteur des jeux d’argent dont les excès ont des conséquences sociales dommageables, de veiller à ce que des loteries ne puissent pas être organisées en vue d’un profit personnel et commercial mais seulement à des fins caritatives, sportives ou culturelles. D’après la Cour, ces objectifs sont au nombre de ceux qui peuvent justifier des atteintes à la libre prestation de services, dans la mesure où ils se rattachent à la protection des destinataires du service et, plus généralement, des consommateurs ainsi qu’à la protection de l’ordre social. Dans les arrêts Läärä et Zenatti, la Cour a d’ailleurs retenu les mêmes critères, en se référant expressément à l’article Schindler précité.

Dans l’arrêt Schindler, la Cour a encore fait état de ce qu’“il n’est pas possible de faire abstraction, tout d’abord, des considérations d’ordre moral, religieux ou culturel qui entourent les loteries comme les autres jeux d’argent dans tous les Etats membres. Celles-ci tendent, de manière générale, à limiter voire à interdire la pratique des jeux d’argent et à éviter qu’ils ne soient une source de profit individuel. Il convient, ensuite, de relever que, compte tenu de l’importance des sommes qu’elles permettent de collecter et des gains qu’elles peuvent offrir aux joueurs, surtout lorsqu’elles sont organisées à grande échelle, les loteries comportent des risques élevés de délit et de fraude. Elles constituent, en outre, une incitation à la dépense qui peut avoir des conséquences individuelles et sociales dommageables ”.

La Cour de Justice des CE, après avoir fixé les critères sur lesquels un Etat membre peut se baser pour justifier une entrave à la libre prestation de services, exige encore, pour admettre ladite entrave, que les mesures nationales prises soient propres à garantir la réalisation des objectifs visés et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

Elle reconnaît toutefois dans le cadre de la détermination de l’étendue de la protection un large pouvoir d’appréciation aux autorités nationales, en décidant qu’il appartient à celles-ci d’apprécier si, dans le contexte du but poursuivi, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités de loterie ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes.

Elle a encore relevé dans les arrêts Läärä et Zenatti, précités, que le seul fait que les jeux de hasard ne sont pas totalement interdits dans un Etat membre, en ce qu’ils sont réservés à certains organismes, de droit public ou de droit privé, ne suffit pas à démontrer que la législation nationale ne vise pas réellement à atteindre les objectifs d’intérêt général qu’elle entend poursuivre et qui doivent, d’après la Cour, être considérés dans leur ensemble.

En ce qui concerne tout d’abord le droit accordé à l’OEUVRE, en vertu de l’article 1er de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, d’organiser une loterie nationale au Luxembourg, entraînant en outre pour elle, conformément à l’article 4 de l’arrêté grand-ducal précité, le pouvoir exorbitant du droit commun de contrôler l’admission sur le marché luxembourgeois d’autres loteries, du moment qu’elles dépassent la somme de 100.000.- francs, en ce que de telles loteries ne peuvent être autorisées par le ministre de la Justice que sur l’avis conforme de l’OEUVRE, lui permettant ainsi d’exercer des prérogatives de puissance publique en sa qualité d’établissement public et par une délégation expresse reçue de l’Etat sur base de l’arrêté grand-ducal précité, il échet de constater que la Cour de Justice des CE a admis, dans les arrêts Läärä et Zenatti, qu’une législation nationale peut réserver un monopole à un organisme public en matière d’organisation de loteries ou de jeux de hasard. Un tel mécanisme a été admis par elle comme ne constituant pas une atteinte à la libre prestation de services à partir du moment où il est justifié pour des raisons d’ordre public, dans un but d’intérêt 11 général. D’après la Cour, les raisons impérieuses d’intérêt général pouvant justifier une telle entrave à la libre prestation de services peuvent comprendre notamment la protection du destinataire du service et, plus généralement, des consommateurs ainsi que la protection de l’ordre social, à condition toutefois que les mesures fondées sur de tels motifs soient propres à garantir la réalisation des objectifs visés et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.

Il ressort tant des explications fournies par l’OEUVRE et par le délégué du gouvernement que de la teneur et de l’esprit de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, que le privilège ainsi accordé à l’OEUVRE d’organiser au Luxembourg la loterie nationale est justifié par des raisons d’intérêt général ayant pour objet de canaliser le désir du jeu des consommateurs au profit d’une institution publique oeuvrant pour le bien commun. Le tribunal constate que le droit ainsi accordé à l’OEUVRE est compatible avec le droit communautaire et plus particulièrement avec la libre prestation de services, en ce que cette mesure est propre à garantir l’objectif poursuivi par l’Etat et qu’elle constitue par ailleurs une mesure proportionnelle en ce qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif. Le fait que par ailleurs l’OEUVRE exerce des prérogatives de puissance publique dans la mesure où elle est obligée, d’après l’article 4 de l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, à émettre un avis conforme au ministre de la Justice dans le cadre des demandes soumises à ce dernier en vue de l’autorisation de loteries, ne saurait par ailleurs énerver cette conclusion, étant donné qu’un établissement public peut parfaitement être investi de telles prérogatives de puissance publique par la loi et que ce privilège, à lui seul, n’est pas contraire au droit communautaire, en considération des principes pré-exposés, tels que retenus par la Cour de Justice des CE.

En ce qui concerne, en deuxième lieu, la légalité des motifs de refus invoqués par le ministre de la Justice à l’appui de la décision déférée, le tribunal est amené à analyser leur légalité plus particulièrement par rapport au droit communautaire et aux principes énoncés par la Cour de Justice des CE dans les arrêts précités.

Il échet de rappeler dans ce contexte qu’en vertu de ladite jurisprudence communautaire des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité peuvent être justifiées au regard du droit communautaire et plus particulièrement au regard du principe de libre prestation de services à condition de remplir quatre conditions : ces mesures nationales doivent s’appliquer de manière non discriminatoire, elles doivent se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général, elles doivent être propres à garantir l’objectif qu’elles poursuivent et il faut qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif.

Le juge communautaire admet, comme c’est le cas également en l’espèce, qu’une législation nationale puisse tomber sous le coup de l’article 59 du Traité de Rome, même au cas où elle est indistinctement applicable et qu’elle ne comporte aucune discrimination selon la nationalité des demandeurs sollicitant l’autorisation de pratiquer une loterie dans un autre Etat membre que celui de leur siège social, à partir du moment où cette législation est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre Etat membre, où il fournit légalement des services analogues.

Par ailleurs, il échet de constater que la législation luxembourgeoise, alors même qu’elle ne fait aucune distinction entre les organisateurs de loterie situés au pays et ceux situés en 12 dehors du pays, dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, est de nature à prohiber les activités d’un prestataire établi dans un autre Etat membre, dans la mesure où elle dispose que ce prestataire de loteries, tout comme d’ailleurs les prestataires situés au Luxembourg, ne peuvent y pratiquer une loterie que sur autorisation qui ne pourra être accordée que sur l’avis conforme de l’OEUVRE.

Il convient d’analyser encore si l’atteinte portée par ladite législation nationale au principe de libre prestation de services, tel que réglementé par le droit communautaire, peut être justifiée d’après les critères retenus par la jurisprudence communautaire. A cet effet, et en l’absence d’un quelconque critère de refus ou d’autorisation fixé par l’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945, il échet d’analyser les motifs de refus se trouvant à la base de la décision ministérielle déférée du 12 décembre 1997, dans la mesure où le ministre de la Justice s’est rallié à l’avis défavorable de l’OEUVRE du 19 novembre 1997, de sorte que les motifs de refus y indiqués sont censés faire partie intégrante de la décision ministérielle sous analyse.

Le premier motif de refus invoqué à l’appui de la décision ministérielle a trait au volet international de la loterie et il est tiré de ce qu’“ il n’appartient nullement à l’Etat luxembourgeois [d’autoriser la loterie projetée], alors qu’il relève de la souveraineté de chaque Etat d’organiser les activités de loteries et de les autoriser le cas échéant soit au niveau national ou fédéral, soit au niveau des collectivités territoriales prévues par sa législation en la matière. Une autorisation par l’Etat grand-ducal de cette loterie, en ce qu’elle comporte une dimension internationale, empiéterait ainsi sur la souveraineté des autres Etats et constituerait partant une violation du droit public international ”.

Ce motif de refus, abstraction faite de ce que ce critère de refus n’est nullement prévu par la législation nationale et que, par ailleurs, comme l’a relevé à juste titre la demanderesse, l’Etat luxembourgeois pourrait parfaitement autoriser un prestataire de services organisant une loterie à partir du Luxembourg et visant un public résidant en dehors du Luxembourg, sans qu’il puisse bien entendu empiéter sur les compétences des Etats ainsi visés, qui garderont nécessairement leurs compétences respectives en vue de refuser l’organisation de telles loteries sur leur territoire national, en prévoyant le cas échéant des réserves dans l’autorisation luxembourgeoise suivant lesquelles il appartient audit prestataire d’obtenir le cas échéant les autorisations requises dans le ou les Etats ainsi visés en vue de pratiquer la loterie sur les territoires de ceux-ci, n’est pas justifié par la protection des consommateurs d’une loterie sur le territoire national et il n’est en outre pas de nature à garantir l’objectif poursuivi. Partant il ne saurait justifier la décision incriminée dans la mesure où celle-ci traite le volet dit “ international ” de la loterie.

Une décision administrative fondée sur des motifs entachés d’une erreur de droit n’est pas à annuler si elle se justifie par d’autres motifs conformes à la loi, même non invoqués par l’administration. Il appartient à la juridiction administrative de substituer, le cas échéant, des motifs exacts aux motifs erronés (trib. adm. 10 janvier 1997, n° 9755 du rôle, Pas. adm.

1/2000, V° Recours en annulation, n° 15, p. 307 et autres références y citées).

L’arrêté grand-ducal précité du 13 juillet 1945 accorde au ministre de la Justice compétence pour autoriser des loteries au Luxembourg. Aucune compétence ne lui est dévolue ni par l’arrêté grand-ducal précité ni par aucune autre réglementation luxembourgeoise pour autoriser des loteries organisées à partir du Luxembourg et visant exclusivement une clientèle située à l’étranger.

13 En l’espèce, la demande présentée par NPL tend, en ce qui concerne le seul volet international de son projet, à être autorisée à viser, à partir du Luxembourg, un public résidant en-dehors de celui-ci.

Toutefois, il résulte des considérations qui précèdent, que le ministre de la Justice n’a aucune compétence en ce qui concerne ce volet de la demande et il aurait partant dû se déclarer incompétent pour en connaître.

Il s’ensuit que, par substitution de motifs, le recours est à déclarer non fondé en ce qui concerne ce volet de la demande.

En ce qui concerne, en deuxième lieu, la motivation se trouvant à l’appui de la décision ministérielle déférée, dans la mesure où celle-ci a trait à la dimension nationale de ladite loterie, il échet de constater que celle-ci est fondée sur le respect de l’ordre public en la matière. En effet, la décision se trouve justifiée par la nécessité “ de canaliser, satisfaire, limiter et contrôler le désir du jeu, lequel s’analyse en un comportement irrationnel et nocif ”. Cette motivation est complétée par l’indication que “ l’offre de loteries existant sur le territoire luxembourgeois suffit, à l’heure actuelle, à canaliser le désir du jeu. Il échet en effet de constater que le niveau de jeu est élevé et qu’il touche à un plafond, comme en témoigne une certaine stagnation des sommes dépensées à ce titre au cours des dernières années. [Il est dès lors estimé] que l’introduction de ce nouveau concept de jeu est de nature à échauffer davantage le désir du jeu plutôt que de le limiter et de le contrôler ”.

Le tribunal constate, en ce qui concerne ce deuxième motif se trouvant à la base de la décision incriminée, qu’il a trait à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’il est de nature à garantir l’objectif ainsi poursuivi et que par ailleurs cette mesure ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif ainsi fixé.

Il appartient toutefois encore au juge administratif, en présence d’un recours en annulation, à vérifier non seulement la légalité et la régularité formelle de l’acte administratif attaqué, étant entendu que l’appréciation des faits échappe au juge de la légalité, qui n’a qu’à vérifier l’exactitude matérielle des faits pris en considération par la décision, mais de vérifier également, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute (trib. adm. 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, II. Pouvoirs du juge, n ° 8, p. 305 et autres références y citées).

Dans la mesure où la décision incriminée est motivée par la saturation du marché luxembourgeois des loteries, obligeant l’Etat à interdire toute nouvelle loterie et par la limitation de l’offre de loteries et partant du désir du jeu, il ressort des pièces versées que dans les pays voisins du Luxembourg, une personne dépense en moyenne les sommes ci-après indiquées par an : Belgique : +/- 126 USD, Allemagne : +/- 120 USD, France : +/- 113 USD et Pays-Bas : +/- 67 USD. Il ressort encore des informations soumises au tribunal qu’au Luxembourg une personne dépense environ 110 USD par an au titre des loteries. Il s’ensuit que le ministre de la Justice a valablement pu se baser sur ces chiffres afin de décider que l’offre de loteries existant sur le territoire luxembourgeois à l’heure actuelle est suffisante pour canaliser le désir du jeu. La décision se trouve partant dûment justifiée par ce motif, en ce qui concerne l’organisation de la loterie au Luxembourg, sans que cette conclusion ne puisse être 14 énervée par le moyen invoqué par la demanderesse, dans le cadre de son mémoire en réplique, et abstraction faite de toute autre considération à cet égard, tiré d’une prétendue violation de la liberté de commerce, telle que définie à l’article 11 (6) de la Constitution, à défaut par la demanderesse d’avoir rapporté la preuve qu’elle possède la qualité de commerçante susceptible de bénéficier de la disposition constitutionnelle en question.

Le tribunal ayant lui même pu résoudre la question de droit communautaire lui soumise dans le cadre de la présente instance, sur base non seulement des dispositions du Traité de Rome, mais également de la jurisprudence récente de la Cour de Justice des CE, ayant eu à traiter de questions préjudicielles lui posées par des juridictions d’autres Etats membres, dans le cadre desquelles elle a pu trancher des questions juridiques identiques à celles se posant dans le cadre de la présente instance, en édictant des critères précis sur lesquels il y a lieu de se baser afin de déterminer si, dans une espèce donnée, il y a lieu de considérer qu’il existe une entrave non justifiée à la libre prestation de services, sur lesquels le tribunal administratif a valablement pu se baser afin de résoudre le présent litige, de sorte qu’il n’y a pas lieu de poser une question préjudicielle, d’ailleurs non libellée par la demanderesse, à la Cour de Justice des CE.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare la requête en intervention recevable ;

déclare le recours en annulation irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre l’avis de l’OEUVRE NATIONALE DE SECOURS GRANDE-DUCHESSE CHARLOTTE du 19 novembre 1997 ;

reçoit le recours en annulation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre la décision du ministre de la Justice du 12 décembre 1997 ;

joint la requête en intervention à la requête principale pour y statuer par un seul et même jugement ;

rejette la demande tendant à la soumission d’une question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés Européennes comme étant ni pertinente ni concluante ;

au fond dit le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 26 juillet 2000 par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

15 s. Schmit s. Schockweiler 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10605
Date de la décision : 26/07/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-07-26;10605 ?

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