La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2000 | LUXEMBOURG | N°12080

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juillet 2000, 12080


Numéro 12080 du rôle Inscrit le 29 juin 2000 Audience publique du 19 juillet 2000 Recours formé par Monsieur … HODZIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12080 du rôle, déposée le 29 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître René WEBER, avocat à la Cour, assisté de Maître Gerd BROCKHOFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HODZIC, né le … à … (Turquie),...

Numéro 12080 du rôle Inscrit le 29 juin 2000 Audience publique du 19 juillet 2000 Recours formé par Monsieur … HODZIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12080 du rôle, déposée le 29 juin 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître René WEBER, avocat à la Cour, assisté de Maître Gerd BROCKHOFF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HODZIC, né le … à … (Turquie), originaire du Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 décembre 1999, notifiée le 10 janvier 2000, déclarant sa demande d’octroi du statut de réfugié politique manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2000 par Maître René WEBER au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Gerd BROCKHOFF, en remplacement de Maître René WEBER, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Le 9 juin 1998, Monsieur … HODZIC, né le … à … (Turquie), originaire du Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur HODZIC fut entendu en dates des 19 et 20 mai 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

La commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable au sujet de cette demande en date du 25 juin 1999.

Par décision du 10 décembre 1999, notifiée le 10 janvier 2000, le ministre de la Justice a rejeté cette demande comme étant manifestement infondée au motif que Monsieur HODZIC n’invoque “ aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève ”.

A l’encontre de cette décision, Monsieur HODZIC a fait introduire un recours contentieux tendant à sa réformation par requête déposée en date du 29 juin 2000.

Le tribunal est compétent, en vertu des dispositions de l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, pour statuer en tant que juge de l’annulation en matière de demandes d’asiles déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

Dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (cf. trib. adm. 26 mai 1997, n° 9370 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, n° 25 et autres références y citées).

La requête de Monsieur HODZIC tendant au relevé de la forclusion résultant de l’expiration du délai imparti pour agir en justice à l’encontre de la décision ministérielle déférée du 10 décembre 1999 ayant été accueillie favorablement par le tribunal administratif qui, dans un jugement afférent datant du 31 mai 2000, a retenu que le délai fixé en vue de l’introduction du recours contentieux précité courra du jour du prononcé dudit jugement, le recours en réformation est recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Monténégro et y avoir été depuis 1993 membre actif du parti politique SDA Monténégro (Parti Démocratique Action Monténégro) qui se battrait pour l’égalité des droits pour les musulmans au Monténégro. Il expose encore avoir été appelé en décembre 1994 à faire son service militaire à Vukovar en Croatie, que le 17 décembre il se serait enfuit pour se réfugier chez ses parents où, en mars 1995, il aurait été pris et reconduit par huit policiers militaires à Pojeda (Serbie) pour y effectuer son service en Serbie en tant que seul musulman dans une unité serbe. Il signale plus particulièrement que lors de son service dans cette unité serbe il aurait été maltraité quotidiennement, qu’on lui aurait donné du pain sec ou de la viande de porc qu’il se serait incliné à manger malgré sa religion musulmane pour supporter les efforts physiques et que le 3 novembre 1995, il aurait été conduit par des soldats serbes à l’hôpital militaire de Belgrad 2 souffrant d’un traumatisme crânien pour avoir été roué de coups de battes sur la tête, et présentant des traces de brûlures de cigarettes sur le corps, infligées par des soldats serbes de son unité. Le demander expose ensuite qu’un civil travaillant à l’hôpital militaire l’aurait aidé à s’enfuir, qu’il aurait pu se cacher pendant dix mois chez son cousin à Rozaje et que la police militaire aurait interrogé ses parents à plusieurs reprises sur son lieu de séjour. Le demandeur estime dès lors être persécuté pour des raisons de religion et d’appartenance à un groupe social et politique et que cette persécution l’aurait contraint à deux reprises à déserter l’armée serbe, de sorte qu’en cas de retour dans son pays, sa vie serait sérieusement menacée et ce malgré la présence des forces onusiennes qui n’auraient aucun pouvoir pour intervenir, étant donné qu’il ne serait pas à considérer comme un civil.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le demandeur a séjourné au Luxembourg pendant près de deux années avant de déposer sa demande d’asile et estime que ce serait dès lors à juste titre que le ministre a considéré la demande présentée par Monsieur HODZIC comme manifestement infondée au motif qu’il aurait largement eu l’occasion, au préalable, de présenter une demande d’asile et ne l’aurait présentée qu’en vue de prévenir une expulsion imminente. A titre subsidiaire, le représentant étatique fait valoir que les faits invoqués par le demandeur, même à les supposer établis, ne seraient pas d’une gravité telle que la demande d’asile serait justifiée.

Le demandeur fait répliquer que sa demande ne correspondrait pas aux hypothèses de demandes manifestement infondées prévues par la loi et il estime que dans le cadre d’une telle hypothèse, le ministre aurait dû prendre sa décision au plus tard dans un délai de deux mois à partir de l’introduction de la demande ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Il reproche encore à la décision ministérielle déférée de ne contenir aucune motivation justifiant pour quelle raison sa demande serait manifestement infondée et fait valoir que ni la décision de refus déférée, ni la commission consultative dans son avis du 25 juin 1999, ni encore le délégué du Gouvernement n’auraient prouvé la réalité d’une quelconque mesure d’expulsion imminente qu’il aurait tenté de prévenir au moment de présenter sa demande d’asile.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ”.

En vertu de l’article 6, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ”. Le même article précise dans son alinéa 2, e) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur “ ayant eu largement au préalable l’occasion de présenter une demande d’asile, a présenté la demande en vue de prévenir une mesure d’expulsion imminente ”.

En ce qui concerne le reproche d’une insuffisance de motivation, il y a lieu de constater que la décision déférée du 10 décembre 1999 se réfère expressément à l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, qui vise les hypothèses dans lesquelles une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique peut être déclarée manifestement infondée par le ministre de la Justice. Par le fait de se baser sur l’article 9 en question, la décision est nécessairement fondée 3 sur les mesures d’application prises en exécution de la disposition légale en question, de manière à se trouver en l’espèce fondée sur le règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pris plus particulièrement en application de l’article 9 précité.

Une décision administrative est par ailleurs motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 35 et autres références y citées).

Par conséquent, le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que la décision ministérielle critiquée serait entachée d’illégalité pour absence de motivation n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées du dossier que la décision du ministre du 10 décembre 1999, ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, en en adoptant également les motifs, et qui a été annexé en copie à la décision initiale de manière à en faire partie intégrante, indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur.

Quant au fond, il est constant à travers les pièces versées au dossier qu’en date du 8 mai 1998 des agents de la police des étrangers se sont présentés chez Monsieur … HODZIC et ont constaté qu’il se trouvait en séjour illégal au Grand-Duché de Luxembourg. Il se dégage encore du rapport de police afférent datant du 8 mai 1998 que Monsieur HODZIC fut interrogé sur son séjour au Luxembourg et qu’il fut conscient du caractère illégal de sa situation, de sorte qu’au plus tard à partir de cette date il a raisonnablement dû s’attendre à voir prononcer à son encontre une mesure d’éloignement, voire d’expulsion.

S’il est certes constant que, conformément aux dispositions de l’article 6 alinéa 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité, la demande d’asile ne sera pas automatiquement rejetée si le demandeur peut donner une explication satisfaisante relative à la fraude ou au recours abusif aux procédures en matière d’asile lui reproché, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut de fournir, voire d’alléguer la moindre explication afférente susceptible de justifier le caractère tardif de sa demande d’asile, déposée seulement le 9 juin 1998, soit un mois après le contrôle effectué en date du 8 mai 1998 par la police des étrangers.

Dans la mesure où les faits s’étant produits lors de la descente sur les lieux de la police des étrangers en date du 8 mai 1998 ne sont pas contestés en cause et que le tribunal n’est par ailleurs pas appelé dans le cadre du présent litige à apprécier la légalité de cette mesure de police, contestée par le demandeur à travers ses observations supplémentaires formulées en date du 14 juillet 2000, il y a lieu de retenir, au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, que le ministre a valablement pu considérer la demande d’asile présentée par Monsieur HODZIC comme manifestement infondée en retenant dans son chef un recours abusif aux procédures en matière d’asile, alors que tout en ayant eu largement au préalable l’occasion de présenter une demande d’asile, il ne l’a présentée que sur le tard, en vue de prévenir une mesure d’expulsion imminente, en raison de l’irrégularité notoire de son séjour au Luxembourg, hypothèse plus particulièrement envisagée à l’article 6 alinéa 2 sub e) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité.

4 Concernant le moyen ayant trait au délai de deux mois pour prendre une décision en matière de demandes d’asiles manifestement infondées, force est de constater que ce délai n’est pas prévu à peine de nullité et que par ailleurs aucun préjudice se dégageant de son inobservation n’a été établi, voire allégué en cause (cf. trib. adm. 10 octobre 1997, n° 10285, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, n° 20).

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juillet 2000 par:

M. CAMPILL, premier juge Mme LENERT, premier juge M. SCHROEDER, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. CAMPIILL 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12080
Date de la décision : 19/07/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-07-19;12080 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award