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12/07/2000 | LUXEMBOURG | N°11915

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2000, 11915


N° 11915 du rôle Inscrit le 7 avril 2000 Audience publique du 12 juillet 2000

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Recours formé par les époux … VATOVCI et …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11915 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux …

VATOVCI, né le … à … (Kosovo), et …, née le … à … (Kosovo), tous les deux de nationalité yougos...

N° 11915 du rôle Inscrit le 7 avril 2000 Audience publique du 12 juillet 2000

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Recours formé par les époux … VATOVCI et …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11915 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … VATOVCI, né le … à … (Kosovo), et …, née le … à … (Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2000, notifiée le 27 janvier 2000, refusant de faire droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que contre une décision du même ministre du 8 mars 2000 rejetant leur recours gracieux déposé en date du 28 février 2000 pour cause de tardiveté ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 avril 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 juillet 2000.

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En date du 15 juin 1998, Monsieur … VATOVCI, né le … à … (Kosovo), et son épouse …, née le … à .. (Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, présentèrent au Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date du 19 juin 1998, les époux VATOVCI-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, la gendarmerie grand-

ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Le 25 août 1999, ils furent entendus par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

La commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable au sujet de cette demande en date du 22 octobre 1999.

Par décision du 5 janvier 2000, le ministre de la Justice informa les époux VATOVCI-

… de ce que leur demande avait été rejetée.

Ladite décision est motivée comme suit :

“ Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.

A l’encontre de cette décision ministérielle, les époux VATOVCI-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire daté du 28 février 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision ministérielle datant du 8 mars 2000 rejetant ledit recours gracieux pour cause de tardiveté, ils ont fait introduire, par requête déposée le 7 avril 2000, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 5 janvier 2000, ainsi que de celle intervenue sur recours gracieux en date du 8 mars 2000.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa teneur applicable au moment de la prise de la décision déférée, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Conformément à l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, le recours en réformation contre les décisions du ministre en la matière doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification. Selon l’article 3, alinéa 1er de la Convention européenne sur la computation des délais, approuvée par la loi du 30 mai 1984, les délais exprimés en jours, semaines, mois, années, courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit.

L’article 1033-2 du nouveau code de procédure civile dispose en outre que lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, il expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la signification qui fait courir le délai (cf. T.A. 20 octobre 1997, n° 9767 du rôle, Pas. adm.

1/2000, V° Procédure contentieuse, n° 42 et autres références y citées).

En l’espèce, il est constant que la décision litigieuse fut notifiée aux demandeurs en date du 27 janvier 2000, de sorte que le délai de recours d’un mois ouvert à son encontre a expiré en principe le 27 février 2000 à minuit. Dans la mesure où le 27 février 2000 fut un dimanche, ledit délai fut prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant, en l’occurrence le 28 2 février 2000, ceci conformément aux dispositions de l’article 1033-4 du nouveau code de procédure civile.

Dans la mesure où il se dégage des pièces versées au dossier et non contestées à cet égard que le recours gracieux des demandeurs à l’encontre de la décision ministérielle du 5 janvier 2000 parvint au ministère de la Justice par envoi télécopié daté du 28 février 2000, 18.04 heures, il a valablement interrompu le délai de recours contre la décision du 5 janvier 2000 pour avoir été introduit avant l’expiration dudit délai.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à tort que le ministre a refusé de prendre en considération ledit recours gracieux pour cause de tardiveté.

Dans la mesure où le délégué du Gouvernement a pris position, dans le cadre du recours contentieux sous examen, quant au fond du litige, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la Justice, de statuer directement sur les mérites du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 5 janvier 2000, ledit recours étant en effet recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée au motif qu’ils rempliraient les conditions prévues par la Convention de Genève. Ils exposent à cet effet être originaires du Kosovo, et y avoir été impliqués politiquement en tant que membres du parti d’opposition LDK. Cette implication politique aurait suscité de la part des autorités serbes une réaction de répression à l’égard de Monsieur VATOVCI, lequel aurait fait l’objet de violents interrogatoires portant notamment sur son rôle au sein du parti LDK. Ils exposent en outre que le rôle de Monsieur VATOVCI aurait consisté plus particulièrement à expliquer aux populations comment s’organiser en cas de guerre, comment défendre le village, comment organiser des tours de garde dans les rues, comportement actif qui aurait entraîné dans son chef de nombreuses arrestations au cours desquelles il aurait été maltraité et battu. Les maltraitances ainsi avancées auraient aussi porté sur la personne de Madame … qui aurait été brutalisée au point de perdre l’enfant dont elle aurait été enceinte. Les demandeurs relèvent encore que l’oncle de Monsieur VATOVCI, ainsi que le père de Madame … auraient été tués par la police serbe, pour soutenir que l’ensemble des faits par eux exposés seraient à interpréter comme des actes de persécution de nature à justifier leur décision de quitter ensemble leur pays d’origine où les droits les plus élémentaires quant au respect de la personne humaine n’auraient manifestement plus été respectés au moment de cette décision. Ils estiment qu’à l’heure actuelle et malgré le fait qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, toutes les garanties nécessaires au respect des droits de l’homme ne sembleraient pas encore être données.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que la situation générale du pays d’origine ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié et qu’une crainte “ avec raison ” d’être persécuté impliquerait à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui devraient tous les deux être pris en considération. Il relève en outre qu’à l’heure actuelle il n’existerait plus d’agent de persécution au sens de la Convention de Genève au Kosovo, de sorte que ce serait à juste titre que la commission consultative pour les réfugiés a relevé que l’armée yougoslave et les forces de police serbes, à l’origine des répressions et exactions commises, ont quitté le territoire pour soutenir qu’à défaut d’agent de persécution, une persécution au Kosovo ne serait actuellement plus concevable.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

Le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-

fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il statue (trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les époux VATOVCI-… lors de leur audition, telles que celles-ci ont été relatées dans les rapports et comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur convictions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne les faits invoqués par les demandeurs permettant de justifier, à leur avis, une crainte de persécution par les autorités serbes à la suite de l’engagement politique de Monsieur VATOVCI au sein du parti LDK, il échet de constater que cette crainte se rapporte essentiellement à une époque qui se situe avant l’intervention des forces des Nations Unies au Kosovo. Comme l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, un risque de persécution par les autorités serbes n’existe plus à l’heure actuelle.

A travers la motivation de leur recours, les demandeurs se prévalent dès lors en substance d’un risque de persécutions de la part d’un groupe de la population à leur encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution.

Une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays 4 d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo. Ils restent par ailleurs en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles ils pourraient à l’heure actuelle se voir reprocher l’engagement politique anti-serbe de Monsieur VATOVCI et pour lesquelles ils risqueraient de subir des persécutions en cas de retour dans leur pays d’origine.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juillet 2000 par:

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge en présence de Mme Wiltzius, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11915
Date de la décision : 12/07/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-07-12;11915 ?

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