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05/07/2000 | LUXEMBOURG | N°11728

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2000, 11728


N° 11728 du rôle Inscrit le 20 décembre 1999 Audience publique du 5 juillet 2000

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Recours formé par Monsieur … WEILER, … contre une décision du ministre de Finances en matière de discipline

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11728 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 1999 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … WEILER, fonctionnaire

, rédacteur principal à l’administration des Douanes et Accises, demeurant à L-…, tendant à l’...

N° 11728 du rôle Inscrit le 20 décembre 1999 Audience publique du 5 juillet 2000

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Recours formé par Monsieur … WEILER, … contre une décision du ministre de Finances en matière de discipline

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11728 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 1999 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … WEILER, fonctionnaire, rédacteur principal à l’administration des Douanes et Accises, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Finances du 22 octobre 1999 par laquelle il a été suspendu avec effet immédiat de l’exercice de ses fonctions ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Michel KARP et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2000.

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Monsieur … WEILER, fonctionnaire, demeurant à L-…, rédacteur principal auprès de l’administration des Douanes et Accises, fut condamné par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière correctionnelle, du 8 juillet 1999 à une peine d’emprisonnement de douze mois pour avoir été convaincu “ comme auteur ayant lui-même exécuté l’infraction, à moment indéterminé, mais non prescrit, précédant le 7 février 1995, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, d’avoir commis une subornation de témoins, en l’espèce d’avoir incité les témoins F.T. et T.M. à commettre des faux témoignages en matière correctionnelle à l’audience publique du tribunal correctionnel de Luxembourg, cinquième chambre, en date du 7 février 1995 ”.

Par courrier datant du 9 juillet 1999, le directeur des Douanes et Accises informa la ministre des Finances, ci-après appelé “ le ministre ” de la condamnation ainsi intervenue dans le chef de Monsieur WEILER et lui demanda de “ faire application de l’article 48 paragraphe 1 de la loi coordonnée du 16 avril 1979 fixant le statut du fonctionnaire de l’Etat, et prononcer la suspension de l’exercice de ses fonctions à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive ” tout en lui signalant que Monsieur WEILER “ semble déjà avoir manifesté son désir de faire appel ” et en relevant que “ l’intégrité de l’agent en cause n’est plus garantie ”.

Par transmis du 16 juillet 1999, le ministre informa ledit directeur de ce qu’il entendait suivre sa proposition de suspendre Monsieur WEILER et le pria “ en conformité avec l’article 51 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, d’entendre le fonctionnaire concerné et de lui faire parvenir le procès-verbal de l’audition avant qu’il ne prononce la suspension ”.

Conformément à cette instruction, Monsieur WEILER fut entendu, en présence de son mandataire, le 4 août 1999 pour prendre position par rapport à la décision de suspension projetée. Les déclarations afférentes de Monsieur WEILER furent communiquées au ministre par le directeur des Douanes et Accises par courrier datant du 9 août 1999.

Par arrêté du 22 octobre 1999, le ministre décida de suspendre Monsieur WEILER de l’exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure judiciaire jusqu’à la décision définitive.

A l’encontre de cette décision, Monsieur WEILER a fait introduire un recours contentieux en annulation, sinon en réformation par requête déposée en date du 20 décembre 1999.

A l’appui de son recours le demandeur relève d’abord que la suspension prononcée à son encontre aurait pour effet que la période de la suspension ne compte pas comme temps de service pour les majorations biennales, l’avancement en traitement et la pension. Il fait valoir qu’il s’agirait d’une décision d’ordre juridictionnel qui, par son contenu, lui ferait grief et violerait le principe de la présomption d’innocence qui devrait valoir à la faveur de toute personne inculpée, prévenue, ou accusée aussi longtemps qu’elle n’a pas fait l’objet d’un jugement de condamnation coulé en force de chose jugée, ceci même s’il existait des indices graves et concordants de culpabilité. Il signale à cet égard avoir interjeté appel contre le jugement du tribunal d’arrondissement précité du 8 juillet 1999 et relève qu’il résulterait des éléments en cause qu’en instance d’appel il devrait être exempt de toute condamnation pénale, que la sanction qui le frappe serait particulièrement scandaleuse et infondée dans la mesure où elle reposerait à la fois sur de faux témoignages émanant de personnes par ailleurs titulaires de casiers judiciaires chargés, et que lui-même aurait à cet effet porté plainte pour faux témoignage contre les deux témoins concernés et se serait constitué partie civile en date du 4 août 1999. Le texte statutaire appliqué par le ministre serait dès lors à considérer comme “ nul et non avenu pour être contraire à l’esprit de la Constitution et des traités ”.

Le demandeur s’empare encore du principe constitutionnel d’égalité des Luxembourgeois devant la loi en faisant valoir que les effets de la suspension seraient directs et pénaliseraient le fonctionnaire tout au long d’une procédure et que la décision 2 de suspension elle-même aurait un caractère diffamant et injustifié, étant donné qu’il n’y aurait pas encore de jugement définitif.

Il demande à cet égard à voir le tribunal poser à la Cour constitutionnelle la question de savoir si “ l’article 48, paragraphe 1er de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires qui dispose que la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement et administrativement pendant tout le cours de la procédure et jusqu’à la décision définitive est contraire au principe constitutionnel dit de la présomption d’innocence rappelé par l’article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, et à l’article 11 de la Constitution luxembourgeoise qui dispose que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, dès lors que le requérant ne s’est pas vu appliquer le principe de la présomption d’innocence dont doivent pouvoir bénéficier tous les justiciables ”.

Le demandeur s’estime enfin lésé dans ses droits de la défense en ce que le ministre, en ordonnant une suspension à son encontre sans l’en informer au préalable, aurait outrepassé l’esprit de la loi.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement signale que l’arrêté ministériel déféré a été pris sur base de l’article 48 du statut général des fonctionnaires qui investirait le ministre d’une compétence discrétionnaire du moment que les conditions d’application y prévues sont remplies, à savoir que le fonctionnaire doit être poursuivi judiciairement ou administrativement. En l’espèce la gravité des faits reprochés, ainsi que l’intérêt du service justifieraient la décision de suspension. Le représentant étatique soutient par ailleurs que la suspension constituerait une mesure non pas disciplinaire, mais d’urgence ou conservatoire, destinée dans l’intérêt du service à interdire à titre provisoire l’exercice de ses fonctions à un agent public auquel une faute est reprochée de façon que sa présence ne risque pas de troubler le fonctionnement du service. Aussi la décision de suspension ne constituerait pas une sanction de sorte que ni les principes énoncés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ni ceux ressortant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne seraient applicables. Dans la mesure où la suspension serait facultative et n’exigerait pas de condamnation définitive dans le chef du fonctionnaire concerné, il n’y aurait pas non plus violation du principe de présomption d’innocence. Pareillement les moyens du demandeur tenant au principe d’égalité des Luxembourgeois devant la loi ne seraient pas fondés ceci eu égard à la nature spécifique de la décision de suspension litigieuse.

Concernant la violation alléguée des droits de la défense, le délégué du Gouvernement relève qu’il se dégagerait des éléments du dossier qu’en date du 4 août 1999 le requérant a été informé et entendu en ses observations sur une éventuelle mesure de suspension à prendre et cela en présence de son avocat, de sorte ce moyen ne serait pas non plus fondé.

En vertu de l’article 54, paragraphe 2 de la loi du modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, appelé ci-après le “ statut général ”, le tribunal administratif est compétent pour statuer en tant que juge du fond sur tout recours dirigé contre une décision de suspension d’un fonctionnaire, prise 3 conformément à l’article 48, paragraphe 1er de la loi en question, qui dispose que pendant tout le cours d’une procédure judiciaire ou administrative jusqu’à la décision définitive un fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement peut faire l’objet d’une mesure de suspension de l’exercice de ses fonctions. Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (cf.

trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours principal en annulation est irrecevable. Le recours en réformation, formulé à titre subsidiaire, est recevable pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

Au vœu du paragraphe 48, paragraphe 1er du statut général, “ la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive ”.

En l’espèce, il est constant qu’une poursuite judiciaire était en cours au moment de la prise de la décision déférée dans la mesure où le demandeur a relevé appel en date du 13 juillet 1999 contre le jugement du tribunal d’arrondissement précité du 8 juillet 1999 prononçant une condamnation à une peine d’emprisonnement de douze mois à son encontre du chef de subornation de témoins et que partant aucune décision définitive n’était encore intervenue à cet égard.

Dans la mesure où l’article 48, paragraphe 1er précité du statut général prévoit précisément la possibilité d’ordonner la suspension pendant le cours d’une procédure judiciaire jusqu’à la décision définitive, la décision ministérielle déférée s’inscrit dans le cadre prétracé par cette disposition.

Quant au moyen du demandeur tendant à voir admettre dans son chef une lésion de ses droits de la défense, il y a d’abord lieu de préciser que contrairement aux affirmations du demandeur, la décision déférée ne constitue pas une décision d’ordre juridictionnel, mais une décision administrative individuelle, prise par le ministre dans le cadre du pouvoir lui conféré par l’article 52 alinéa 1er du statut général disposant que “ la suspension visée au paragraphe 1er de l’article 48 est prononcée par le ministre du ressort, sous réserve des pouvoirs accordés au chef d’administration par le troisième alinéa du paragraphe 3 de l’article 56 ”. S’agissant en effet d’une décision administrative pré-contentieuse, il y a lieu de se rapporter plus particulièrement au règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dont les dispositions s’appliquent dans leur intégralité aux fonctionnaires faisant l’objet d’une mesure de suspension (cf.

trib. adm. 12 juillet 1999, n° 11122 du rôle, Muller, V° Pas. adm. 1/2000, Fonction publique, n° 72).

Conformément aux dispositions de l’article 9 dudit règlement, l’autorité qui se propose de prendre une décision faisant grief en dehors d’une initiative de la partie 4 concernée, - catégorie dans laquelle range une décision de suspension - , doit informer cette partie de son intention, en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir, de même qu’un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Dans la mesure où il se dégage en l’espèce des pièces versées au dossier que Monsieur WEILER fut dûment informé de l’intention du ministre de prendre une décision de suspension à son égard et a valablement pu prendre position par rapport à cette intention pour avoir été entendu personnellement en date du 4 août 1999 en présence de son mandataire, aucune violation de la disposition réglementaire en question ne saurait être retenue comme établie en l’espèce. Le demandeur restant par ailleurs en défaut d’établir, voire d’alléguer une violation de ses droits de la défense sous un éventuel autre regard, le moyen est à écarter comme n’étant pas fondé.

Le demandeur estime encore qu’à travers ses effets directs la décision de suspension pénaliserait le fonctionnaire pendant le temps de la procédure judiciaire en cours, ceci compte tenu de son caractère diffamant et injustifié, pour soutenir que cette mesure, telle que prévue à l’article 48 du statut général, se heurterait au principe de la présomption d’innocence qui devrait s’appliquer indistinctement à tous les citoyens luxembourgeois, conformément au principe d’égalité des citoyens devant la loi tel que garanti par l’article 11 de la Constitution, devenu l’article 10bis à travers la loi du 29 avril 1999.

Une mesure de suspension n’est pas destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais elle est justifiée par des motifs relevant de l’organisation du service et a plus particulièrement pour objet de prémunir, à titre conservatoire, le service public et sa réputation en attendant l’issue de la procédure judiciaire en cours.

Aussi les effets allégués de la suspension, tels que se dégageant des dispositions de l’article 48, paragraphe 3 du statut général en ce que la période de la suspension ne compte pas comme temps de service pour les majorations biennales, l’avancement en traitement et la pension, sont par essence provisoires, à l’instar de la mesure elle-même, en ce que il est précisé in fine de ladite disposition que ces effets se produisent “ sauf en cas de non-lieu ou d’acquittement ”.

Il s’ensuit qu’une décision de suspension, traduisant notamment la nécessité de veiller, dans l’intérêt du service, à ce que la présence du fonctionnaire concerné dans son service ne porte pas atteinte au bon fonctionnement, à l’image et à la réputation du service, ne préjuge en rien du fond de l’affaire judiciaire à sa base (cf. trib. adm. 12 juillet 1999, loc. cit.) et reste sans incidence définitive quant à ses effets provisoires lorsque la poursuite judiciaire se solde par un non-lieu ou un acquittement.

Il découle de ce qui précède que la mesure de suspension, à travers son caractère provisoire et conservatoire, n’est pas de nature à interférer, au regard du principe de la présomption d’innocence, avec la procédure judiciaire en cours, de sorte qu’aucune violation du principe ne saurait être retenue en l’espèce. Il en va de même de la violation alléguée du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, celle-ci n'étant présentée par le demandeur qu’à travers la violation par lui alléguée du principe de la présomption d’innocence dans son chef.

5 Au regard des considérations qui précèdent il n’y a partant pas lieu en l’espèce de poser à la Cour constitutionnelle la question préconisée par le demandeur, celle-ci étant à considérer comme dénuée de tout fondement au sens de l’article 6 alinéa 2, b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle.

Le tribunal n’est par ailleurs pas appelé à prendre position, dans le cadre de ce procès, sur le bien-fondé de l’appel interjeté par Monsieur WEILER à l’encontre du jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 8 juillet 1999, mais uniquement à vérifier la légalité et l’opportunité de la mesure de suspension décidée par le ministre.

Force est de constater en l’espèce que l’infraction retenue dans le chef de Monsieur WEILER à la base de la condamnation intervenue en première instance, en l’occurrence la subornation de témoins dans le cadre d’un procès judiciaire, ainsi que la peine d’emprisonnement de douze mois prononcée sans sursis à son encontre, sont d’une gravité suffisante pour justifier la décision déférée du ministre d’exercer la faculté lui reconnue à travers l’article 48, paragraphe 1er du statut général, ceci toujours eu égard à la considération qu’une mesure de suspension, par essence, ne préjuge pas le fond de l’affaire judiciaire pendante et ne devient définitive quant à ses effets qu’en cas de condamnation effectivement coulée en force de chose jugée.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2000 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

6 s. Schmit s. Delaporte 7


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11728
Date de la décision : 05/07/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-07-05;11728 ?

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