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29/06/2000 | LUXEMBOURG | N°11850

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juin 2000, 11850


N° 11850 du rôle Inscrit le 25 février 2000 Audience publique du 29 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … MYFTARI et son épouse Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11850 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 2000 par Maître Tom FELGEN, avocat à la Cour, assisté par Maître Tine A. LARSEN, avocat, tous les deux inscrits au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MYFTARI et de son épouse, Madame …...

N° 11850 du rôle Inscrit le 25 février 2000 Audience publique du 29 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … MYFTARI et son épouse Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11850 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 2000 par Maître Tom FELGEN, avocat à la Cour, assisté par Maître Tine A. LARSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MYFTARI et de son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave, ressortissants du Kosovo, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs … MYFTARI, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2000, notifiée le 26 janvier 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé par les demandeurs le 14 avril 2000 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Tine A. LARSEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 septembre 1998, Monsieur … MYFTARI et son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave, ressortissants du Kosovo, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs trois enfants mineurs … MYFTARI, demeurant ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Ils furent entendus le 9 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 10 novembre 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame MYFTARI-…, par lettre du 5 janvier 2000, notifiée le 26 janvier 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants: « Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».

Par requête déposée le 25 février 2000, les époux MYFTARI-… ont introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 5 janvier 2000.

Le tribunal est compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision déférée, pour statuer en tant que juge du fond en la matière. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice a retenu qu’ils n’auraient pas invoqué des craintes sérieuses de persécution pour une des raisons visées par la Convention de Genève, alors qu’il résulterait de leurs déclarations qu’ils auraient subi des « événements qui ont traumatisé tous les membres de la famille MYFTARI-… ».

Ils relèvent qu’au début de la guerre au Kosovo, Monsieur MYFTARI aurait été actif au sein du parti politique LDK, qu’il aurait créé avec des amis une organisation humanitaire avec mission de porter secours aux réfugiés kosovars en leur donnant à manger et en les aidant à se loger, qu’en raison de ce soutien humanitaire, il aurait été accusé par les forces serbes de soutenir des « mouvements terroristes », que les forces serbes l’auraient emmené à plusieurs reprises pour le « mettre en menottes » et le battre, sans que sa famille aurait su où il se trouvait et que les forces serbes auraient par ailleurs fouillé leur maison, cassant ou volant leurs meubles et en menaçant verbalement son épouse et ses enfants. Ils exposent qu’en raison de la guerre, leurs enfants n’auraient plus pu fréquenter l’école, de sorte qu’ils n’auraient plus reçu d’éducation.

Ils exposent ensuite qu’ils auraient détenu deux commerces qui, de même que leur maison d’habitation, auraient été détruits complètement en raison des bombardements massifs de leur ville de résidence, à savoir Pec. Ils soutiennent cependant que ce ne serait qu’au moment où deux membres de l’association humanitaire auraient été exécutés, qu’ils auraient 2 pris la décision de quitter le pays, étant donné qu'ils craignaient pour leur vie et celle de leurs enfants.

Ils estiment qu’au vu des développements actuels au Kosovo, et notamment des troubles à Mitrovica, qui auraient vocation à se répartir sur tout le territoire du Kosovo, et de l’annonce de mouvements massifs de troupes serbes dans les régions frontalières entre la Serbie et le Kosovo, un retour au Kosovo d’une famille de culture albanaise et de religion musulmane, dont les membres seraient des démocrates convaincus, serait inconcevable.

Le délégué du gouvernement estime que ce serait à juste titre que la commission consultative pour les réfugiés a constaté que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police serbes ont quitté le Kosovo, de sorte qu’à l’heure actuelle, il n’y aurait plus au Kosovo d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les événements qui se sont déroulés à Mitrovica, le délégué du gouvernement considère qu’il s’agirait d’affrontements interethniques isolés et qui ne sauraient être perçus comme des persécutions. Il relève encore que l’affirmation que ces conflits auraient vocation à se répartir sur tout le territoire du Kosovo resterait à l’état de pure allégation en présence d’une force internationale bien établie au Kosovo.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soulignent que « la haine, la méfiance et la discrimination d’autres ethnies sont profondément ancrées dans l’esprit de la population civile de l’ancienne Yougoslavie ». Ils en déduisent que même si l’armée fédérale serbe et les forces de police ont quitté le territoire du Kosovo, il resterait néanmoins que les civils serbes n’auraient pas quitté ledit territoire. Ils estiment que le fait d’être originaire d’une région où les personnes d’origine albanaise seraient « minoritaires par rapport à la population serbe », ce qui serait leur cas d’espèce, justifierait une crainte de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays. Ils soutiennent en outre qu’en l’absence de moyens propres, leurs commerces et leur maison d’habitation ayant été détruits, et en l’absence de soutien de la famille ou d’amis, ces derniers auraient disparu ou auraient trouvé la mort dans les événements des dernières années, ils se trouveraient lors d’un éventuel retour dans la « couche sociale la plus basse au Kosovo ». Ils seraient dès lors sans ressource pour lutter contre des persécutions, ce qui « renforcerait l’idée de leur infériorité sociale aux yeux de leurs persécuteurs ». Ils en concluent que « l’appartenance à la couche sociale la plus basse est une circonstance qui, en raison de l’origine albanaise et de l’opinion politique de la famille MYFTARI-… amplifie la vulnérabilité de cette dernière dans le milieu serbe ».

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-

fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il statue (trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur et Madame MYFTARI-… lors de leurs auditions du 9 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne les faits invoqués par les demandeurs permettant de justifier, à leur avis, une crainte de persécution par les autorités serbes à la suite de l’engagement politique de Monsieur MYFTARI au sein de la LDK ainsi que son engagement humanitaire auprès de réfugiés kosovars, il échet de constater que cette crainte se rapporte essentiellement à une époque qui se situe avant l’intervention des forces des Nations Unies au Kosovo. Comme l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle.

A travers la motivation de leur recours, les demandeurs se prévalent encore en substance d’un risque de persécutions de la part d’un groupe de la population, à savoir la population serbe, à leur encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution.

Une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

4 En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, mais ne démontrent point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo. Ils restent par ailleurs en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles Monsieur MYFTARI pourrait à l’heure actuelle se voir reprocher son engagement politique anti-serbe et pour lesquelles il risquerait de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.

Les demandeurs se prévalent encore plus particulièrement de l’incapacité des forces internationales d’assurer une réelle sécurité dans la région de Pec ainsi qu’à Mitrovica pour soutenir qu’ils ne pourraient pas rentrer dans leur ville d’origine. Ils estiment que les affrontements ayant lieu à Mitrovica pourraient s’étendre à Pec. A cet égard, il y a lieu de relever que même s’il peut à l’heure actuelle être difficile pour un membre de la communauté musulmane et albanaise du Kosovo, originaire de la région de Pec, de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont d’actualité dans cette ville, les demandeurs restent en défaut d’établir des raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de Pec, soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans leur pays d’origine.

C’est encore à juste titre que le délégué du gouvernement soutient que le fait que les deux commerces ainsi que la maison d’habitation des demandeurs auraient été détruits et que les demandeurs considèrent dès lors qu’ils appartiendraient à « la couche sociale la plus basse du Kosovo », qu’ils seraient à la merci des autorités et des proches parents qui devraient les loger et les nourrir, n’est pas constitutif d’un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Le mandataire des demandeurs ayant informé le tribunal que ses clients bénéficient de l’assistance judiciaire, il échet de lui en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 29 juin 2000, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11850
Date de la décision : 29/06/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-06-29;11850 ?

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