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29/06/2000 | LUXEMBOURG | N°11525

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juin 2000, 11525


N° 11525 du rôle Inscrit le 7 septembre 1999 Audience publique du 29 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … MISCI et son épouse, Madame …, … contre des décisions de la commission des recours de l’Enseignement secondaire technique et de la présidente de la commission des recours de l’Enseignement secondaire technique en matière d’orientation scolaire

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Vu la requête déposée le 7 septembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MISCI, électricien, et de s...

N° 11525 du rôle Inscrit le 7 septembre 1999 Audience publique du 29 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … MISCI et son épouse, Madame …, … contre des décisions de la commission des recours de l’Enseignement secondaire technique et de la présidente de la commission des recours de l’Enseignement secondaire technique en matière d’orientation scolaire

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Vu la requête déposée le 7 septembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MISCI, électricien, et de son épouse, Madame …, sans état particulier, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision de la commission des recours de l’enseignement secondaire technique du 1er juillet 1999 et d’une décision de la présidente de ladite commission du 30 juillet 1999 ayant décidé d’admettre leur fils … à une classe modulaire du régime préparatoire de l’enseignement secondaire technique;

Vu l’ordonnance de la deuxième chambre du tribunal administratif du 27 septembre 1999, rendue en exécution de l’article 70, alinéa 3 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, par laquelle les demandeurs ont été invités à indiquer au tribunal s’ils entendaient maintenir leur recours;

Vu la déclaration de Maître Michel KARP faite à la suite de l’ordonnance précitée du 27 septembre 1999, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 1999, par laquelle il a déclaré que ses mandants entendaient poursuivre le présent recours;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 1999;

Vu le jugement de la deuxième chambre du tribunal administratif du 15 novembre 1999, rendu en exécution de l’article 70, alinéa 3 de la loi précitée du 21 juin 1999, constatant que la présente affaire sera instruite conformément à la nouvelle loi de procédure;

Vu le mémoire additionnel, produit à la demande du tribunal, déposé le 29 mars 2000 par le délégué du gouvernement;

Vu le mémoire additionnel, intitulé « mémoire en réplique », produit à la demande du tribunal, déposé le 18 avril 2000 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Joëlle CHOUCROUN, en remplacement de Maître Michel KARP, ainsi que respectivement Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK, lors de l’audience du 20 mars 2000, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH, lors de la continuation des débats à l’audience du 26 avril 2000, en leurs plaidoiries respectives.

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A la fin de l’année scolaire 1998/1999, plus particulièrement en date du 16 juin 1999, l’enfant mineur …, né le … 1986, de Monsieur … MISCI, …, et de son épouse, Madame …, sans état particulier, les trois demeurant ensemble à L-…, inscrit en 6e année d’études de l’école primaire à Rumelange fit l’objet d’un avis d’orientation vers une classe modulaire du régime préparatoire de l’enseignement secondaire technique (7eMO).

Le 25 juin 1999, Monsieur … MISCI introduisit un recours auprès de la commission de recours de l’enseignement secondaire technique, ci-après dénommée « la commission de recours de l’EST », et il sollicita l’admission de son fils à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique (7eST).

Par lettre du 1er juillet 1999, la commission de recours de l’EST informa Monsieur MISCI de ce que, en confirmation de l’avis d’orientation, elle avait décidé d’admettre « définitivement » son fils … à une classe de 7eMO.

Le 16 juillet 1999, les époux MISCI-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux contre la décision précitée du 1er juillet 1999 de la commission de recours de l’EST auprès du commissaire de gouvernement, président de la commission de recours de l’EST. A l’appui de ce recours gracieux, les requérants soutinrent que la décision litigieuse ne serait pas motivée et qu’il n’existerait aucune raison pour ne pas admettre … MISCI dans une 7eST.

Le 30 juillet 1999, la présidente de la commission de recours de l’EST rejeta ledit recours gracieux au motif que la décision querellée du 1er juillet 1999 serait suffisamment motivée en ce qu’elle retient que l’enseignement par modules serait le mieux adapté pour … MISCI et lui permettrait d’avancer à son propre rythme. La présidente de la commission de recours de l’EST précise en outre que la commission se serait basée « notamment sur les résultats extrêmement faibles de l’élève lors du test national et sur l’avis de l’inspecteur du ressort, qui a constaté une chute des résultats scolaires de l’élève à partir du 2e trimestre de l’année scolaire 1998/99 ».

Le 7 septembre 1999, les époux MISCI-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation sinon à la réformation tant de la décision de la commission des recours de l’EST du 1er juillet 1999 que de la décision de la présidente de ladite commission du 30 juillet 1999.

Les demandeurs soutiennent que les décisions critiquées seraient à annuler sinon à réformer « principalement [pour] (…) excès de pouvoir respectivement [pour] (…) 2 détournement de pouvoir et [pour] (…) abus de droit, tel que défini par l’article 6-1 du code civil ».

Ils soutiennent plus particulièrement que les décisions critiquées ne seraient pas motivées et qu’il n’existerait pas de raison pour ne pas admettre … MISCI dans une 7eST. - Ils relèvent plus spécialement que les bulletins scolaires de … renseigneraient en moyenne des notes assez bonnes.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en réformation au motif qu’un tel type de recours ne serait pas prévu en la matière.

Au fond, le délégué estime que les motifs des décisions critiquées seraient indiquées à suffisance de droit dans la décision du 30 juillet 1999 de la présidente de la commission de recours de l'EST.

Dans ce contexte, il ajoute que la commission de recours aurait pris en considération tout un ensemble de critères concernant les acquis et le potentiel d’apprentissage de l’élève … MISCI, que les résultats scolaires de ce dernier, tels qu’ils sont documentés par le bulletin relatif à la 6e année d’études, seraient à mettre en relation avec ses performances lors des épreuves standardisées au niveau national et son comportement d’apprentissage, qu’il serait impossible de tirer des conclusions valables à partir des seules notes du bulletin « étant donné qu’elles ne renvoient qu’à une partie des performances qui peuvent être mesurées et qu’elles dépendent, pour des raisons pédagogiques, en grande partie du niveau de la classe », que lors du test national ayant donné lieu à une série d’épreuves standardisées dans les branches principales (français, allemand et mathématiques), … MISCI n’aurait obtenu que des résultats très médiocres, qu’il aurait été dans le dernier quart, voire les derniers 10% des élèves ayant participé aux épreuves et que son bulletin scolaire de la 6e année d’études primaires renseignerait une baisse importante des notes au 2e et 3e trimestre (calcul: 49-29-22, français oral: 40-38-30, français écrit: 44-32-32).

Enfin, le représentant étatique relève que la décision d’orientation vers une classe de 7eMO ne préjudicierait en rien le cursus scolaire futur de … MISCI, dès lors que ce dernier pourrait, « en cas de résultats scolaires satisfaisants ou excellents être réorienté vers une classe traditionnelle du cycle inférieur de l’enseignement secondaire technique ».

Lors des plaidoiries le tribunal a encore invité les parties à prendre position sur la question de la légalité de la base réglementaire des deux décisions litigieuses et notamment des règlements ministériels du 5 juin 1997 fixant les modalités de fonctionnement de la commission de recours de l’enseignement secondaire technique créée dans le cadre de la procédure d’admission à une classe de 7e de l’enseignement postprimaire et du 31 juillet 1998 ayant pour objet de définir, pour l’année scolaire 1998-1999, la procédure d’admission à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique ou à la classe d’orientation de l’enseignement secondaire.

Dans son mémoire supplémentaire, le délégué du gouvernement expose que la décision d’orientation de l’élève … MISCI a été prise sur base des deux règlements ministériels précités des 5 juin 1997 et 31 juillet 1998, lesquels auraient été pris en exécution des articles 2 et 3 du règlement grand-ducal du 24 octobre 1996 ayant pour objet la détermination des modalités 3 d’admission à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique ou à une classe d’orientation de l’enseignement secondaire.

Le délégué « signale » encore que les règlements ministériels en question auraient été « transformés en règlements grand-ducaux, suite à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle », à savoir par des règlements grand-ducaux respectivement des 4 octobre 1999 ayant pour objet de définir la procédure d’admission à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique ou à la classe d’orientation de l’enseignement secondaire et 4 février 2000 fixant les modalités de fonctionnement de la commission de recours de l’enseignement secondaire technique.

Les demandeurs rétorquent notamment que les décisions critiquées seraient illégales pour violation de l’article 36 de la Constitution au motif que les règlements ministériels précités des 5 juin 1997 et 31 juillet 1998 constitueraient un empiétement dans la sphère de compétence exclusive du Grand-Duc.

Ils estiment aussi que cette irrégularité ne serait pas couverte par le fait que des règlements grand-ducaux aient été adoptés ultérieurement.

QUANT A LA COMPETENCE ET A LA RECEVABILITE Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation des deux décisions critiquées.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

QUANT AU FOND Le tribunal est en premier lieu appelé à vérifier le bien fondé du moyen d’annulation tiré d’un défaut de motivation.

4 En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

La sanction d’une absence de motivation d’une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter ses motifs postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance.

En l’espèce, le reproche tiré d’une absence ou insuffisance de motivation est à abjuger, dès lors que les deux décisions ministérielles litigieuses ensemble les compléments et pièces apportés au cours de la procédure contentieuse, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels la commission de recours de l'EST s’est basée pour justifier sa décision d’admettre l’élève … MISCI à une classe de 7eMO, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs, lesquels ont ainsi été mis en mesure de faire valoir, en pleine connaissance de cause, tels arguments et moyens qu’ils ont jugés nécessaires ou simplement utiles en vue de la défense de leurs intérêts et de ceux de leur fils.

Concernant la question relative à la légalité de la base réglementaire des décisions déférées, soulevée d’office par le tribunal et au sujet de laquelle les parties ont pu développer leurs observations respectives, il convient de relever qu’en vertu de l'article 36 de la Constitution, le Grand-Duc est investi du pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois.

Le privilège d'exécution des lois conféré par la Constitution au Grand-Duc constitue en même temps pour celui-ci une obligation dont il ne saurait se décharger sur un autre organe par voie de subdélégation.

En particulier, un règlement grand-ducal ne peut confier des mesures supplémentaires d'exécution à un règlement ministériel ou à un arrêté ministériel (v. Alfred Loesch, Le pouvoir réglementaire du Grand-Duc, Pas. 14, doctr., p. 60; F.W., note critique sous Cass. 21 décembre 1961, Pas. 18, p. 441 et s; cf. Cour 26 mai 1951, Pas. 15, 154).

L'article 2 du règlement grand-ducal précité du 24 octobre 1996 dispose que « les modalités de la procédure d’orientation sont définies par le ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle ».

Le ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle s'est donc vu conférer, par la disposition réglementaire précitée, le pouvoir de fixer d'une manière générale et abstraite, la procédure d’admission à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique ou une classe d’orientation de l’enseignement secondaire.

Ledit ministre a défini et organisé la procédure d’admission, fixant notamment les modalités d’orientation dans le règlement ministériel du 31 juillet 1998, précité.

Cette fixation de normes générales pour organiser la procédure d’admission à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique ou une classe d’orientation de 5 l’enseignement secondaire, déléguée au ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle par le Grand-Duc, est contraire à la Constitution.

En vertu de l'article 95 de la Constitution, les tribunaux n'appliquent les mesures réglementaires que pour autant qu'elles sont conformes à la loi, la Constitution étant à assimiler à la loi sous cet aspect.

Il se dégage de ce qui précède que l'article 2 du règlement grand-ducal précité du 24 octobre 1996, opérant la délégation de pouvoir, et le règlement ministériel du 31 juillet 1998, pris en vertu de ladite délégation, sont contraires à la Constitution.

Il s'ensuit que le tribunal doit en refuser l'application.

Or, les décisions litigieuses, critiquées par les époux MISCI-…, sont basées sur ces dispositions.

Il s'ensuit qu'elles sont dépourvues de base légale et doivent encourir l'annulation.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par la considération qu’en date du 4 octobre 1999 un règlement grand-ducal, publié au Mémorial A, recueil de législation, n° 136 du 26 octobre 1999, a été adopté pour définir la procédure d’admission à une classe de 7e de l’enseignement secondaire technique ou à la classe d’orientation de l’enseignement secondaire et, selon les allégations du délégué du gouvernement, pour « remplacer » le règlement ministériel prévisé du 31 juillet 1998. En effet, étant donné qu’un règlement grand-ducal ne peut disposer que pour l’avenir et ne saurait avoir un caractère rétroactif, sous peine de se heurter à l’article 2 du code civil (cf. note sous C. Const. 6 mars 1998, Pas. 30, p. 372; C.E. 13 juillet 1979, Pas. 24, page 307; Alfred Loesch, op. cit., p. 65) et que le règlement grand-ducal du 4 octobre 1999 est postérieur en date par rapport aux décisions querellées, il ne saurait constituer une base légale pour lesdites décisions.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant annule la décision de la commission des recours de l’EST du 1er juillet 1999 ainsi que la décision de la présidente de ladite commission du 30 juillet 1999, condamne l'Etat aux frais.

6 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 29 juin 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11525
Date de la décision : 29/06/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-06-29;11525 ?

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