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26/06/2000 | LUXEMBOURG | N°11888

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juin 2000, 11888


Numéro 11888 du rôle Inscrit le 20 mars 2000 Audience publique du 26 juin 2000 Recours formé par Monsieur … CRNOVRSANIN, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11888 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2000 par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, assistée de Maître Martine LAUER, avocat, toutes les deux inscrites au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CRNOVRSANIN, né le...

Numéro 11888 du rôle Inscrit le 20 mars 2000 Audience publique du 26 juin 2000 Recours formé par Monsieur … CRNOVRSANIN, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11888 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2000 par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, assistée de Maître Martine LAUER, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CRNOVRSANIN, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 février 2000 confirmative, sur recours gracieux, d’une décision du 5 janvier 2000 refusant de faire droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2000 par Maître Isabelle GIRAULT au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Luc BIRGEN, en remplacement de Maître Isabelle GIRAULT, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juin 2000.

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En date du 2 juillet 1999, Monsieur … CRNOVRSANIN, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à …, présenta au Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date du même jour, Monsieur CRNOVRSANIN fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et son identité.

En date du 5 juillet 1999, Monsieur CRNOVRSANIN fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le 27 septembre 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable au sujet de cette demande.

Par décision du 5 janvier 2000, notifiée le 24 janvier 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur CRNOVRSANIN de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

“ Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.

A l’encontre de cette décision, Monsieur CRNOVRSANIN fit introduire, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux par courrier datant du 18 février 2000.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 22 février 2000, il a fait introduire, par requête déposée le 20 mars 2000, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 22 février 2000.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur indique avoir quitté son pays d’origine après avoir reçu au mois de mai 1999 une convocation aux fins d’effectuer son service militaire. Il expose ne pas avoir voulu effectuer son service étant donné qu’au moment de sa convocation, la guerre aurait toujours été d’actualité dans son pays et que l’accomplissement de ses obligations militaires auprès de l’armée serbe aurait été contraire à ses convictions politiques et religieuses dans la mesure où la guerre menée par l’armée serbe aurait été une guerre contre les musulmans et contre l’ensemble des peuples non-serbes de l’ex-Yougoslavie, par lui ressentis comme étant “ les siens ”. Aussi l’idée même de combattre et d’avoir à éliminer des personnes 2 aurait été totalement contraire à ses convictions et à sa conscience, de sorte qu’il aurait préféré fuir. Il fait valoir plus particulièrement que même si la guerre avait pris fin peu de temps après sa fuite, il ne lui aurait plus été possible de faire marche arrière et de réintégrer son pays, étant donné que les autorités serbes le considéreraient comme déserteur et qu’en toute occurrence, aujourd’hui encore, il ne souhaiterait pas faire partie de l’armée serbe car cela serait toujours contraire à ses convictions. Pour conclure à la dangerosité d’un retour forcé dans son pays d’origine, le demandeur relève plus particulièrement un risque de poursuites pénales disproportionnées dans son chef en faisant valoir que malgré la fin des conflits et malgré l’adoption d’une loi d’amnistie au Monténégro, un risque de peines pénales disproportionnées à la gravité des faits commis serait toujours d’actualité dans le chef de ceux qui s’étaient soustraits aux obligations militaires en désertant. Il signale à cet égard que la loi en question fut adoptée par le parlement du Monténégro sans pour autant lier les autorités et notamment la police militaire serbe et qu’elle ne serait surtout nullement appliquée par la police militaire à l’égard des déserteurs de religion musulmane. Il résulterait par ailleurs de nombreux témoignages qu’une discrimination très nette aurait lieu à l’égard des musulmans dans la détermination de la peine applicable.

Le demandeur soutient sur base des éléments ainsi exposés qu’en présence d’une telle discrimination, il existerait un risque de persécution dans son chef.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement émet des doutes sérieux quant aux raisons de conscience invoquées par le demandeur et se réfère à cet égard au rapport d’audition du 5 juillet 1999. Il estime par ailleurs que l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique et fait valoir, à titre subsidiaire, que dans le cadre d’un recours en réformation, la situation du demandeur devrait s’apprécier par rapport à la situation qui règne à l’heure actuelle dans son pays d’origine. Il signale à cet égard qu’il n’existe pas de conflit armé dans la région des balkans auquel le demandeur pourrait vouloir se soustraire pour des raisons de conscience et que, par ailleurs, déjà au moment où il aurait dû intégrer l’armée yougoslave, à savoir le 9 juin 1999, il n’aurait pas pu être amené à participer à des opérations militaires auxquelles il aurait pu se soustraire pour des raisons de conscience valables, alors que la guerre du Kosovo était terminée dès le 9 juin 1999. Concernant plus particulièrement l’application de la loi d’amnistie du Monténégro, le représentant étatique admet qu’elle est restée lettre morte, mais relève qu’il résulterait des informations se trouvant à la disposition du Gouvernement luxembourgeois que des condamnations pour désertion prononcées par un tribunal militaire de la république fédérale Yougoslave ne seraient pas exécutées par le Gouvernement du Monténégro. Il signale encore que le demandeur resterait en défaut de prouver que les condamnations par lui alléguées auraient véritablement été exécutées et que les peines prononcées seraient disproportionnées au sens de la jurisprudence luxembourgeoise.

Dans son mémoire en réplique le demandeur relève qu’un motif de conscience pourrait se définir comme “ la connaissance immédiate de sa propre activité psychique ” ou encore comme “ la faculté ou le fait de porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes ”, et que de tels motifs devraient être appréciés en prenant en compte leur caractère purement subjectif, pour soutenir que le fait de ne pas vouloir éliminer des vies humaines et en conséquence de ne pas vouloir participer aux combats, alors que cela serait contraire à des convictions “ intrinsèques ” et mêmes religieuses, devrait être considéré comme un motif de conscience suffisant pour justifier une désertion. En ce qui concerne la référence faite à la situation actuelle dans son pays d’origine, le demandeur relève que si aucun conflit ne serait à 3 signaler, sa crainte serait en revanche fondée sur un risque sérieux de poursuite pénale injustifiée et disproportionnée et il estime qu’il serait par ailleurs de notorieté publique tant au Monténégro qu’en Europe que les peines ne seraient pas appliquées de façon impartiale et qu’elles seraient d’autant plus sévères lorsqu’elles concernent une personne de religion musulmane.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 5 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il statue (trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9).

L’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève (Cour adm. 11 février 1999, Kurpejovic, n° 10976C, Pas. adm. 1/2000, v° Etrangers, n° 30 et autres références y citées). En l’espèce, le demandeur n’établit aucun élément susceptible de justifier pour quelle raison sa désertion ou son insoumission seraient de nature à entraîner dans son chef, au jour où le tribunal statue, des persécutions pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève. Pareillement il reste en défaut d’établir que les sanctions pénales le cas échéant par lui encourues revêtiraient un caractère disproportionné et s’analyseraient de ce fait effectivement comme étant un acte de persécution au sens de l’article 1er de la Convention de Genève.

4 Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 juin 2000 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT S. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11888
Date de la décision : 26/06/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-06-26;11888 ?

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