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21/06/2000 | LUXEMBOURG | N°11634

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juin 2000, 11634


N° 11634 du rôle Inscrit le 27 octobre 1999 Audience publique du 21 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … STOOS, … contre des bulletins de l’impôt sur le revenu et des bulletins de l’impôt commercial communal en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11634 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 1999 par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … STOOS, demeurant à L-…, tendant...

N° 11634 du rôle Inscrit le 27 octobre 1999 Audience publique du 21 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … STOOS, … contre des bulletins de l’impôt sur le revenu et des bulletins de l’impôt commercial communal en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11634 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 1999 par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … STOOS, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation 1.) des bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1992, 1993 et 1994 et des bulletins de l’impôt commercial communal relatifs aux années 1992 et 1993, émis le 12 décembre 1996 par le bureau d’imposition de … de l’administration des Contributions directes et 2.) à titre subsidiaire, de la décision implicite de refus résultant du silence gardé, pendant plus de 6 mois, par le directeur de l’administration des Contributions directes suite à la réclamation introduite auprès de lui en date du 2 mars 1999;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2000 ;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins litigieux;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Monique WATGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH, déclarant remplacer Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN, en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 décembre 1996, le bureau d’imposition de … de l’administration des Contributions directes émit à l’encontre de Monsieur … STOOS, demeurant à L-…, des bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1992, 1993 et 1994 et des bulletins de l’impôt commercial communal relatifs aux années 1992 et 1993.

Contre lesdits bulletins, Monsieur STOOS introduisit, par lettre du 31 mars 1997, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », en contestant qu’il doive être soumis à l’impôt commercial 1 communal et qu’il ait réalisé un bénéfice de spéculation résultant respectivement de la vente ou d’un échange de terrains conclu avec l’Etat. Incidemment, il a demandé à être relevé de la forclusion au titre du paragraphe 86 de la loi générale des impôts modifiée du 21 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO ».

Le directeur rejeta cette réclamation comme étant tardive, par décision n° C 9480 du 29 avril 1997, au motif « qu’aux termes des §§ 245 et 246 de la loi générale des impôts (AO) dont la règle a été reprise dans l’instruction sur les voies de recours jointe aux bulletins entrepris, le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification qui, en cas de simple pli postal, est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après la mise à la poste ». Il a, en outre, considéré « que le réclamant n’allègue pas de circonstance susceptible de justifier un relevé de forclusion (§ 86 AO) en la cause ».

Par lettre datée du 21 mai 1997, le mandataire de Monsieur STOOS pria le directeur de revenir sur sa décision du 29 avril 1997 et de relever son mandant de la prescription de délai encourue. Aucune décision du directeur n’est intervenue à la suite de ce recours gracieux.

Suivant recours contentieux déposé au greffe du tribunal en date du 24 novembre 1997, Monsieur STOOS a fait critiquer les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal des années 1992, 1993 et 1994, ainsi que la décision sur réclamation rendue par le directeur le 29 avril 1997.

Par jugement du 29 juillet 1998 (n°10426 du rôle), le tribunal administratif a déclaré le recours recevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision du directeur du 29 avril 1997. Quant au fond, le tribunal a déclaré le recours non justifié pour en débouter le demandeur, après avoir rejeté la demande en relevé de forclusion.

Le prédit jugement a été réformé par un arrêt de la Cour administrative du 7 janvier 1999 en ce qu’elle a retenu que « le sieur … STOOS est à relever de la déchéance encourue pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal des années 1992 à 1994 émis le 12 décembre 1996 ». Elle a renvoyé le dossier à l’administration des Contributions directes.

En date du 2 mars 1999, Monsieur STOOS a fait introduire par l’intermédiaire de Maître Monique WATGEN, préqualifiée, une « nouvelle » réclamation à l’encontre des bulletins d’impôt portant sur les exercices fiscaux 1992, 1993 et 1994. Le mandataire fait préciser que la réclamation « porte tant sur les cotes de l’impôt sur le revenu pour les trois exercices précités, que sur la soumission de Monsieur STOOS à l’impôt commercial communal pour les années d’imposition 1992 à 1993, et, subsidiairement, sur les montants de cet impôt. La base juridique de la présente réclamation réside dans l’arrêt rendu par la Cour administrative de Luxembourg en date du 7 janvier 1999(…) ».

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Monsieur STOOS a fait introduire le 27 octobre 1999 un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre « des bulletins d’imposition pour les exercices fiscaux 1992, 1993 et 1994 » ainsi qu’à l’encontre de la «décision implicite de refus résultant du silence gardé, pendant plus de 6 mois, par le directeur de l’administration des Contributions directes suite à la réclamation introduite le 2 mars 1999 ».

2 Le demandeur reproche en premier lieu au bureau d’imposition « d’avoir gravement lésé ses droits, en ne faisant pas application à son égard des dispositions contraignantes du paragraphe 205 (3) AO ». Il estime que si le bureau d’imposition avait respecté ce texte, il aurait pu fournir « des arguments de poids, qui lui auraient évité une aussi lourde imposition ».

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il serait de principe que le contrôle de la légalité externe précède celui du bien-fondé. En l’espèce, le bureau d’imposition aurait retenu pour chacune des années litigieuses un bénéfice agricole supérieur au résultat déclaré par le demandeur sans lui communiquer au préalable, pour observations, les résultats de l’instruction.

Comme le respect du paragraphe 205 alinéa 3 AO ne serait pas une formalité d’intérêt privé mais une formalité substantielle, indispensable à une bonne administration de la loi d’impôt, le vice entachant la procédure d’imposition entraînerait l’annulation des trois bulletins de l’impôt sur le revenu. Il précise encore que l’annulation de ces bulletins devant se répercuter, en vertu du paragraphe 5 de la Zweite Verordnung über die Erhebung der Gewerbesteuer in vereinfachter Form du 16 novembre 1943, sur les bulletins de la base d’assiette de l’impôt commercial pour 1992 et 1993, il serait oiseux de discuter à ce stade de la procédure les contestations du demandeur concernant le bénéfice commercial qu’il aurait réalisé selon les bulletins critiqués.

Quant à la recevabilité Aux termes des dispositions combinées des articles 8 (3) 1. et 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et du paragraphe 228 AO, le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond sur les recours contre des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal en cas de silence du directeur pendant plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable.

Le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours en réformation dans la mesure où il est dirigé contre les bulletins d’impôt prévisés. Dans cette mesure, le recours en réformation introduit par le demandeur est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, tel que cela ressort plus particulièrement de l’arrêt précité du 7 janvier 1999 de la Cour administrative.

Le recours subsidiaire en annulation est partant à déclarer irrecevable.

Par contre, l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », en l’espèce les bulletins d’impôt prévisés, et non pas contre une décision implicite de rejet du directeur (cf.

doc.parl. 3940 A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p.5, ad (3) 3. : « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration (décision) initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée »).

Il s’ensuit que le recours sous discussion encourt l’irrecevabilité pour autant que dirigé contre une décision implicite de rejet du directeur.

3 Quant au fond Les questions de procédure étant à analyser avant les questions ayant trait au fond, le tribunal est tout d’abord amené à examiner le moyen invoqué par le demandeur quant à une prétendue violation du paragraphe 205, alinéa 3 AO.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».

Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (« Anspruch auf Gehör »), tel qu’il résulte du paragraphe 204 alinéa 1er AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible de fixer une imposition correcte de la situation patrimoniale d’un contribuable (v. Becker, Riewald, Koch: Reichsabgabenordnung, Kommentar, Band II, Carl Heymanns Verlag, 1965, 6.

Das Recht auf Gehör, pages 288 et s.).

Le droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration ou lui fixant une imposition sur base des informations et documents qui sont à la disposition du bureau d’imposition, doit être interprété comme comportant un droit élémentaire au profit du contribuable face à l’administration fiscale, découlant à la fois du principe du contradictoire et des droits de la défense durant la phase précédant l’établissement d’un bulletin d’impôt, pareille façon de procéder étant de plus de nature à éviter des réclamations et recours ultérieurs.

Le droit à la consultation du contribuable par le bureau d’imposition ne s’applique pas exclusivement à des questions ayant trait à la matérialité des faits soumis à imposition, mais également aux questions de droit, tenant à l’interprétation à donner aux dispositions légales ou réglementaires et à la qualification juridique des faits. Pour que l’obligation prévue par la disposition précitée trouve application, il suffit que le bureau d’imposition entende s’écarter de manière notable d’une situation existante, découlant des informations et documents qui sont en sa possession, peu importe que cette divergence de vues porte sur des questions de fait ou sur des questions de droit. - S’il est vrai que le paragraphe 166 alinéa 2 AO dispose notamment qu’il appartient exclusivement au bureau d’imposition de décider de l’imposabilité d’une situation, il n’en demeure pas moins que le contribuable, sans avoir évidemment le pouvoir de prendre une décision d’imposition, a intérêt, tout comme pour une divergence de vues existant quant aux éléments de fait susceptibles d’influer sur la décision d’imposition, à présenter son argumentation devant le bureau d’imposition quant à l’interprétation ou à l’application de certaines dispositions légales ou réglementaires ou encore par rapport à la qualification 4 juridique des faits concernant sa situation fiscale, ceci afin d’éviter des réclamations et recours ultérieurs.

L’information préalable et le droit de faire connaître ses observations étant destinés à protéger les droits du contribuable, tout en contribuant à éviter des réclamations et recours ultérieurs, ils doivent être qualifiés de formalités substantielles. Dans la mesure où la violation de cette formalité a été invoquée devant le tribunal dans le cadre d’un recours ayant pour objet une cote d’impôt ou le principe d’imposabilité, elle entraîne l’annulation des bulletins d’impôt émis au terme de la procédure ainsi viciée.

En l’espèce, il est constant que le bureau d’imposition a notamment procédé à une imposition d’un bénéfice commercial non déclaré comme tel par le contribuable, à une imposition d’un bénéfice de spéculation et il a retenu un bénéfice agricole supérieur au résultat déclaré, s’écartant ainsi substantiellement des déclarations d’impôt sur le revenu respectives présentées pour les années concernées, en omettant d’en informer le demandeur, préalablement à l’émission des bulletins d’impôt critiqués. Il a ainsi mis le demandeur dans l’impossibilité de présenter les observations qui, à son avis, justifieraient sa qualification juridique desdits faits voire de documenter et d’expliquer les montants tels que déclarés et partant ses droits de la défense ont été violés.

Le tribunal administratif peut, dans le cadre d’un recours en réformation, se limiter à prononcer l’annulation des bulletins critiqués au cas où, comme en l’espèce, une formalité substantielle n’a pas été respectée lors de l’instruction du dossier par le bureau d’imposition. Il s’ensuit que les bulletins critiqués, émis le 12 décembre 1996, encourent l’annulation, l’analyse des autres moyens invoqués devenant par ailleurs superflue.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours irrecevable pour autant que dirigé contre une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes ;

pour le surplus, se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le dit recevable;

au fond le déclare partiellement justifié;

annule les bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1992, 1993 et 1994 et les bulletins de l’impôt commercial communal relatifs aux années 1992 et 1993, émis le 12 décembre 1996 à charge du demandeur;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour prosécution;

déclare le recours en annulation irrecevable;

5 condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 21 juin 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11634
Date de la décision : 21/06/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-06-21;11634 ?

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