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21/06/2000 | LUXEMBOURG | N°11343

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juin 2000, 11343


Numéros 11343 à 11347 du rôle Inscrits le 25 juin 1999 Audience publique du 21 juin 2000 Recours formé par Monsieur … BAUMEISTER, … (D) contre des bulletins émis par le bureau d'imposition Luxembourg 10 en matière d’impôt sur le revenu

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I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 11343 du rôle, déposée le 25 juin 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de Monsieur … BAUMEISTER, administrateur-délégué, domicilié à … (D)...

Numéros 11343 à 11347 du rôle Inscrits le 25 juin 1999 Audience publique du 21 juin 2000 Recours formé par Monsieur … BAUMEISTER, … (D) contre des bulletins émis par le bureau d'imposition Luxembourg 10 en matière d’impôt sur le revenu

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I. Vu la requête, inscrite sous le numéro 11343 du rôle, déposée le 25 juin 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAUMEISTER, administrateur-délégué, domicilié à … (D), …, tendant à la réformation du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1989 émis le 1er septembre 1994 par le bureau d'imposition Luxembourg 10, sa réclamation du 4 novembre 1994 étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;

II. Vu la requête, inscrite sous le numéro 11344 du rôle, déposée le 25 juin 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAUMEISTER, administrateur-délégué, domicilié à … (D), …, tendant à la réformation du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 émis le 2 mai 1996 par le bureau d'imposition Luxembourg 10, sa réclamation du 20 mai 1996 étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;

III. Vu la requête, inscrite sous le numéro 11345 du rôle, déposée le 25 juin 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAUMEISTER, administrateur-délégué, domicilié à … (D), …, tendant à la réformation du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1991 émis le 2 mai 1996 par le bureau d'imposition Luxembourg 10, sa réclamation du 20 mai 1996 étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;

IV. Vu la requête, inscrite sous le numéro 11346 du rôle, déposée le 25 juin 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAUMEISTER, administrateur-délégué, domicilié à … (D), …, tendant à la réformation du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1992 émis le 15 mai 1997 par le bureau d'imposition Luxembourg 10, sa réclamation du 16 juillet 1997 étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;

V. Vu la requête, inscrite sous le numéro 11347 du rôle, déposée le 25 juin 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BAUMEISTER, administrateur-délégué, domicilié à … (D), …, tendant à la réformation du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1993 émis le 13 juillet 1998 par le bureau d'imposition Luxembourg 10, sa réclamation du 12 octobre 1998 étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;

Vu les ordonnance et jugement du tribunal administratif des 27 septembre et 15 novembre 1999 constatant le maintien de ces recours au rôle et l’application des règles de procédure prévues par la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, conformément à son article 70;

Vu les mémoires en réponse du délégué du Gouvernement déposés au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 1999 dans le cadre des cinq recours prévisés;

Vu les mémoires en réplique déposés au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2000 par Maître Patrick KINSCH pour compte de Monsieur BAUMEISTER;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins déférés;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul MEYERS et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En raison de sa fonction d’administrateur-délégué de la société anonyme … Luxembourg, Monsieur … BAUMEISTER, domicilié à … (D), …, disposait d’un appartement sis à Luxembourg, … qu’il avait pris en location.

Par bulletins de l'impôt sur le revenu pour les années 1989 et 1990, émis respectivement les 1er septembre 1994 et 2 mai 1996, le bureau d'imposition Luxembourg 10 qualifia Monsieur BAUMEISTER de contribuable non-résident pour le soumettre à la classe d’impôt II et lui refuser la modération d’impôt pour enfants et la déduction de certaines dépenses spéciales, en l’occurrence d’intérêts débiteurs et de primes d’épargne-logement au titre de ces deux années d’imposition. Monsieur BAUMEISTER réclama contre ces bulletins d’impôt par courriers respectifs des 4 novembre 1994 et 20 mai 1996 adressés au bureau d'imposition Luxembourg 10.

Le même bureau d'imposition maintint la qualification de contribuable non-résident dans le chef de Monsieur BAUMEISTER par bulletins de l'impôt sur le revenu au titre des années d’imposition 1991 et 1992 émis respectivement les 2 mai 1996 et 15 mai 1997 pour le ranger dans la classe d’impôt 2.1. en admettant qu’il avait un enfant à charge, mais en lui refusant, suivant la législation alors applicable, l’abattement forfaitaire pour charges extraordinaires des invalides et infirmes, ainsi que la déduction d’intérêts débiteurs et de 2 primes d’assurances au titre de dépenses spéciales. Monsieur BAUMEISTER réclama également contre ces deux bulletins d’impôt par courriers des 20 mai 1996 et 16 juillet 1997 à l’adresse du bureau d'imposition Luxembourg 10.

En date du 29 juin 1993, Monsieur BAUMEISTER acquit l’appartement sis à …, qu’il avait pris en location pour lui servir de résidence temporaire jusque lors.

Suite à cette acquisition immobilière et au dépôt de sa déclaration d’impôt pour l’année 1993, le bureau d'imposition Luxembourg 10 estima que Monsieur BAUMEISTER ne pouvait être considéré comme contribuable non-résident que pour la période s’étendant de janvier à juillet 1993 et émit le 13 juillet 1998 à son encontre un bulletin de l'impôt sur le revenu fixant les bases et la cote de l'impôt sur le revenu pour les six premiers mois de l’année 1993. Par ce bulletin d’impôt, Monsieur BAUMEISTER se vit refuser la déduction tant d’un abattement forfaitaire pour charges extraordinaires des invalides et infirmes que celle d’intérêts débiteurs et de primes d’assurances au titre de dépenses spéciales, de sorte qu’il introduisit à son encontre une réclamation devant le directeur de l’administration des contributions directes par courrier du 12 octobre 1998.

Aucune des réclamations prévisées n’ayant fait l’objet d’une décision de la part dudit directeur, Monsieur BAUMEISTER introduisit contre chacun des cinq bulletins d’impôt prédits un recours en réformation par cinq requêtes séparées déposées le 25 juin 1999.

Alors même que les cinq recours ainsi introduits sont dirigés contre les bulletins d’impôt distincts concernant différentes années d’imposition, ils soulèvent des questions de droit parallèles concernant le statut fiscal du demandeur, de sorte qu’il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre pour y statuer par un seul et unique jugement.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l'impôt sur le revenu en cas de défaut de décision du directeur suite à une réclamation contre ce bulletin de la part du contribuable. Le tribunal est partant compétent pour connaître des recours en réformation qui sont recevables pour avoir été par ailleurs introduits dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur constate que les bulletins d’impôt déférés sont fondés sur la législation luxembourgeoise applicable pour les années en cause et qui l’excluait, en sa qualité de contribuable non résident, du bénéfice de la classe d’impôt III pour les années 1989 et 1990 et 2 pour les années subséquentes, de la modération d’impôt pour enfants et de plusieurs déductions de dépenses spéciales, mesures qui sont destinées à tenir compte de la situation personnelle et familiale des contribuables résidents.

Il reproche essentiellement aux impositions intervenues que la distinction entre contribuables résidents et non résidents opérée par la législation luxembourgeoise méconnaîtrait dans la situation qui serait la sienne les exigences du droit communautaire et plus particulièrement du principe de la liberté d’établissement consacré par l’article 52 du Traité de Rome (devenu l’article 43 suite à l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam). Il expose que ni lui-même, ni son épouse ne disposeraient de revenus imposables dans leur Etat de résidence commun, en l’occurrence l’Allemagne, qui ne serait dès lors pas en 3 mesure de le faire bénéficier des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale. En renvoyant aux arrêts Schumacker du 14 février 1995 et Wielockx du 11 août 1995 de la Cour de Justice des Communautés européennes, le demandeur soutient qu’il se trouverait dans une situation comparable à celle d’un contribuable résident, de sorte que l’application d’un régime fiscal différent moins favorable constituerait une discrimination prohibée par le droit communautaire. Il souligne que le législateur luxembourgeois aurait reconnu la non-conformité de la législation sur l'impôt sur le revenu applicable pour les années en cause en l’espèce dans le cadre des travaux parlementaires ayant conduit à la loi du 23 décembre 1997 ayant modifié entre autres le système d’imposition des non résidents pour le rendre conforme aux exigences communautaires.

L’article 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », soumet la qualité de contribuable résident à la condition d’avoir son domicile fiscal ou son séjour habituel au Grand-Duché de Luxembourg. Ces deux notions sont précisées respectivement par les paragraphes 13 et 14 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée Steueranpassungsgesetz, en abrégé « StAnpG ».

Le paragraphe 13 StAnpG définit le domicile fiscal comme étant la possession d’une habitation dans des conditions permettant de conclure que le contribuable visé la conservera et en fera usage. Cette notion suppose ainsi la possession matérielle d’une habitation, ainsi que « des circonstances de fait (dont) résulte l’intention de conserver et d’occuper une habitation dans le pays » (projet de loi 5714, commentaire des articles, ad art. 3).

En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur a eu à sa disposition, par la voie d’une prise en location, un appartement sis à …, de sorte que la condition de la possession matérielle d’une habitation se trouve être vérifiée dans son chef. Il résulte cependant de l’exposé des faits non autrement mis en cause que le demandeur a résidé essentiellement avec sa famille en Allemagne, plus précisément dans la région frontalière à …, et a effectué en principe quotidiennement le trajet vers Luxembourg, siège de son activité professionnelle, l’appartement à Luxembourg ne lui ayant servi de séjour que ponctuellement durant la semaine lorsqu’il ne pouvait rejoindre utilement sa famille. Au vu du caractère sporadique des séjours sur le sol luxembourgeois, une intention de conserver et d’occuper de manière permanente une habitation ne saurait ainsi être prêtée au demandeur, de sorte qu’il ne disposait pas d’un domicile fiscal au Grand-Duché au cours de la période litigieuse.

La notion de séjour habituel au sens du paragraphe 14 StAnpG vise l’endroit où une personne séjourne dans des circonstances qui font apparaître qu’elle reste dans la localité ou dans le pays considéré non seulement à titre passager. Le séjour habituel est admis de droit lorsque le séjour effectif au pays excède six mois consécutifs. En l’espèce, il résulte des pièces versées et renseignements fournis non autrement mis en cause, tels que ci-avant relatés, que le séjour au pays du demandeur, essentiellement entrecoupé d’allers et de venues depuis son domicile à …, n’a pas accusé le caractère continu durant les années d’imposition en cause, de sorte qu’un séjour habituel au Grand-Duché ne peut être retenu dans son chef.

Il s’ensuit qu’abstraction faite de toute considération tirée de l’application d’une convention préventive de double imposition, c’est à juste titre que le bureau d'imposition a qualifié le demandeur de contribuable non résident au titre des années d’imposition en cause pour les besoins de l’imposition des revenus pour lesquels le droit d’imposition revenait au Luxembourg.

4 Il est constant en l’espèce que le demandeur et son épouse se sont vus appliquer au titre des années 1989 à 1993 le régime des contribuables non résidents, tel que prévu aux articles 156 à 157bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu (LIR) dans leur teneur respectivement applicable pour ces années.

Pour les années 1989 et 1990, en vertu de l’article 157 LIR, le demandeur fut rangé dans la classe d’impôt II, sans application de la modération d’impôt pour les deux enfants qui étaient à sa charge au cours de ces années, et se vit refuser toute déduction d’intérêts débiteurs, de primes d’assurances et de cotisations d’épargne-logement au titre de dépenses spéciales.

Un contribuable résident se trouvant dans la même situation personnelle et familiale aurait par contre été rangé, sur base de l’article 119 LIR, dans la classe d’impôt III et aurait bénéficié de la modération d’impôt pour deux enfants à charge et de la déduction soit intégrale soit à hauteur de certains plafonds des intérêts débiteurs, primes d’assurances et cotisations d’épargne-logement.

Pour les années 1991 à 1993, le demandeur a certes été rangé dans la classe d’impôt 2.1, laquelle aurait également été applicable à un contribuable se trouvant dans la même situation, mais a été exclu, en raison de son statut de contribuable non résident et sur base de l’article 157 (2) LIR, du bénéfice des déductions d’intérêts débiteurs et de primes d’assurances au titre de dépenses spéciales, ainsi que du bénéfice de l’abattement forfaitaire pour charges extraordinaires des invalides et infirmes, avantages dont il aurait pu bénéficier, le cas échéant dans les limites de certains plafonds, en tant que contribuable résident.

Il est constant que le droit de la libre circulation des travailleurs relève tout d’abord du droit communautaire, lequel constitue un nouvel ordre juridique créé par les traités instituant les Communautés Européennes, ainsi que par les actes de droit communautaire dérivés, au profit duquel les Etats membres ont limité l’exercice de leurs pouvoirs souverains dans les domaines que ces instruments déterminent. Il est encore constant que lorsqu’un conflit existe entre une norme de droit communautaire et une norme de droit interne, la règle de droit communautaire doit prévaloir et le juge national doit écarter l’application des dispositions de droit interne qui y sont contraires (CJCE 9 mars 1978, n° 106/77, Simmenthal).

L’article 52 du Traité de Rome, dans sa teneur applicable au cours des années 1989 à 1993, disposait dans ses paragraphes 1 et 2 :

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont progressivement supprimées au cours de la période de transition. Cette suppression progressive s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un Etat membre établis sur le territoire d’un Etat membre. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté au plus tard à l’expiration de la période de transition.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 58, alinéa 2, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ».

5 La Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit à travers une jurisprudence constante que l’article 52 du Traité de Rome impose aux Etats membres une obligation précise dont l’exécution devait être facilitée, mais non conditionnée, par la mise en œuvre d’un programme de mesures progressives et qui ne nécessite l’intervention d’aucun acte, de sorte que cette règle est, par essence, susceptible d’être invoquée directement par les ressortissants de tous les autres Etats membres (CJCE 21 juin 1974, n° 2/74, Reyners c/ Belgique).

Dans le cadre de l’application des régimes d’imposition par les Etats membres, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit que « l’article 48 du Traité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation d’un Etat membre imposant un travailleur ressortissant d’un autre Etat membre, qui réside dans ce dernier Etat et exerce une activité salariée sur le territoire du premier Etat, plus lourdement qu’un travailleur résidant sur le territoire du premier Etat et y occupant le même emploi, lorsque, comme en l’espèce au principal, le ressortissant du second Etat tire son revenu totalement ou presque exclusivement de l’activité exercée dans le premier Etat et ne perçoit pas dans le second Etat des revenus suffisants pour y être soumis à une imposition permettant de prendre en compte sa situation personnelle et familiale » (CJCE 14 février 1995, n° C-279/93, Schumacker c/ Finanzamt Köln-Altstadt).

Quant à l’article 52 du Traité de Rome, la même Cour a retenu que « le contribuable non résident – salarié ou indépendant – qui perçoit la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l’Etat où il exerce ses activités professionnelles se trouve, objectivement, dans la même situation, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, que le résident de cet Etat qui y exerce les mêmes activités. Tous les deux sont imposés dans ce seul Etat et l’assiette de leur impôt est la même.

Si, pour ce qui concerne les déductions de son revenu imposable, le contribuable non résident n’est pas soumis au même traitement fiscal que son homologue résident, sa situation personnelle ne sera prise en compte ni par l’administration fiscale de l’Etat où il exerce ses activités professionnelles – parce qu’il n’y réside pas – ni par l’Etat de résidence – parce qu’il n’y perçoit aucun revenu. Par conséquent, il subira une imposition globale plus importante et sera désavantagé par rapport à son homologue résident » (CJCE 11 août 1995, n° C-80/94, Wielockx c/ Inspecteur der directe belastingen). Elle a conclu que, dans l’espèce lui soumise, une règle édictée par un Etat membre qui permet aux personnes résidant dans cet Etat de déduire du revenu soumis à l’impôt les bénéfices d’une entreprise qu’elles affectent à la constitution d’une réserve-vieillesse, mais refuse cet avantage aux ressortissants communautaires contribuables qui, quoique demeurant dans un autre Etat membre, perçoivent dans le premier Etat la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus constitue une discrimination en principe prohibée par l’article 52 du Traité de Rome.

Il s’ensuit qu’un contribuable non résident visé par l’arrêt précité du 11 août 1995 tire du droit communautaire directement le droit de se voir appliquer les mêmes règles d’imposition qu’un travailleur résident, nonobstant toute disposition contraire du droit national de l’Etat membre en cause. Le demandeur peut se fonder en l’espèce sur ce droit pour les années d’imposition 1989 à 1993, étant donné que, abstraction faite de la question de l’application dans le temps d’une interprétation d’un texte communautaire dégagée par la Cour de Justice des Communautés européennes, l’arrêt du 11 août 1995 répondait à une question préjudicielle posée dans le cadre d’une imposition au titre de l’année 1987.

Etant donné qu’il résulte des éléments du dossier que le demandeur a exercé au cours des années d’imposition en cause une activité indépendante au Grand-Duché, tandis que son 6 épouse n’exerçait aucune activité professionnelle, et que les bénéfices dégagés par le demandeur de sa prédite activité constituaient l’essentiel des revenus du ménage qui, suivant les certificats du Finanzamt allemand compétent versés en cause, n’a pas disposé au cours desdites années de revenus déclarés dans le pays de résidence, le demandeur est appelé dans cette mesure à rentrer dans la catégorie de contribuables plus spécifiquement visée par l’arrêt précité du 11 août 1995.

La distinction prédécrite entre contribuables résidents et non résidents opérée par la législation luxembourgeoise sur l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les déductions visées en l’espèce, tout en n’étant en principe pas discriminatoire, ainsi que le retient la Cour de Justice des Communautés européennes dans son arrêt précité du 11 août 1995 (considérant n° 18), doit être qualifiée d’inégalité de traitement à l’égard du demandeur, vu qu’il ne perçoit pas de revenu significatif dans son Etat de résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée au Grand-Duché. Il s’ensuit que l’application du régime d’imposition des non-résidents constitue à son égard une inégalité de traitement dont aucune cause justificative admise par la Cour de Justice des Communautés européennes n’a été établie voire alléguée en cause, de sorte qu’elle doit être considérée comme étant contraire au droit communautaire.

Le demandeur est ainsi en droit de voir sa situation personnelle et familiale prise en compte d’après le régime applicable aux contribuables résidents et non pas d’après celui des articles 156 à 157bis LIR dans leur teneur applicable aux années d’imposition respectivement visées en l’espèce pour autant que ces dernières dispositions imposent des restrictions allant au-delà de celles valant pour les contribuables résidents. Il devra partant être soumis pour les années 1989 et 1990 à la même classe d’impôt et bénéficier de la même modération d’impôt pour enfants qu’un contribuable résident se trouvant dans la même situation familiale. Il devra encore être admis pour les années 1989 à 1993 aux mêmes chefs de déductions de dépenses spéciales, plus particulièrement du chef d’intérêts débiteurs, de primes d’assurances et de cotisations d’épargne-logement, et de charges extraordinaires, en l’occurrence de l’abattement forfaitaire pour charges extraordinaires des invalides et infirmes, et d’après les mêmes modalités que les contribuables résidents.

Comme le législateur n’a pas entendu faire du tribunal un « taxateur » et n’a pas eu l’intention de l’amener à « s’immiscer dans le domaine de l’administration » sous peine de « compromettre son statut judiciaire » (cf. doc. parl. 3940A2, p. 11, ad (3) 8. et doc. parl.

3940A4, avis complémentaire du Conseil d’Etat, p. 7, ad amendement 5)), son rôle consistant à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le bureau d’imposition compétent en vue de la fixation d’une nouvelle cote d’impôt à la lumière des conclusions du présent jugement.

La demande en octroi d’une indemnité de procédure doit être écartée, les conditions légales afférentes ne se trouvant pas vérifiées en l’espèce.

PAR CES MOTIFS, 7 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, joint les affaires inscrites sous le numéros 11343, 11344, 11345, 11346 et 11347 du rôle, déclare les recours en réformation recevables, les dit fondés, partant, dit que le demandeur est à soumettre pour les années 1989 et 1990 à la même classe d’impôt et bénéficier de la même modération d’impôt pour enfants qu’un contribuable résident se trouvant dans la même situation familiale ; dit que le demandeur est à admettre pour les années 1989 à 1993 aux mêmes chefs de déductions de dépenses spéciales, plus particulièrement du chef d’intérêts débiteurs, de primes d’assurances et de cotisations d’épargne-logement, et de charges extraordinaires, en l’occurrence de l’abattement forfaitaire pour charges extraordinaires des invalides et infirmes, et d’après les mêmes modalités que les contribuables résidents, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent, écarte la demande en octroi d’une indemnité de procédure, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 21 juin 2000 par M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. DELAPORTE 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11343
Date de la décision : 21/06/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-06-21;11343 ?

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