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19/06/2000 | LUXEMBOURG | N°11295

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2000, 11295


N° 11295 du rôle Inscrit le 21 mai 1999 Audience publique du 19 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … THIBOR et son épouse, Madame … contre des bulletins de l’impôt sur le revenu émis par le bureau d’imposition d’Ettelbrück de l’administration des Contributions directes et une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes suite à une réclamation en matière d’impôt sur le revenu

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11295 du rôle, déposée

en date du 21 mai 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître François BILTGEN, avocat à la Cour...

N° 11295 du rôle Inscrit le 21 mai 1999 Audience publique du 19 juin 2000

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Recours formé par Monsieur … THIBOR et son épouse, Madame … contre des bulletins de l’impôt sur le revenu émis par le bureau d’imposition d’Ettelbrück de l’administration des Contributions directes et une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes suite à une réclamation en matière d’impôt sur le revenu

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11295 du rôle, déposée en date du 21 mai 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître François BILTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … THIBOR et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu émis par le bureau d’imposition d’Ettelbrück « portant rectification de l’imposition sur le revenu des requérants pour les années 1988 à 1996 » et pour autant que de besoin contre une prétendue décision implicite de rejet résultant du silence du directeur de l’administration des Contributions directes suite à une réclamation introduite par eux le 25 mai 1998;

Vu la lettre de Maître Elisabeth ALEX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 1999, par laquelle elle informa le tribunal de ce qu’elle a mandat des consorts THIBOR-… pour agir dans la présente affaire en remplacement de Maître François BILTGEN;

Vu l’ordonnance de la deuxième chambre du tribunal administratif du 27 septembre 1999, rendue en exécution de l’article 70, alinéa 3 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, par laquelle les demandeurs ont été invités à indiquer au tribunal s’ils entendaient maintenir leur recours;

Vu la déclaration de Maître Elisabeth ALEX faite à la suite de l’ordonnance précitée du 27 septembre 1999, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 1999, par laquelle elle a déclaré que ses mandants entendaient poursuivre le présent recours;

Vu le jugement de la deuxième chambre du tribunal administratif du 15 novembre 1999, rendu en exécution de l’article 70, alinéa 3 de la loi précitée du 21 juin 1999, constatant que la présente affaire sera instruite conformément à la nouvelle loi de procédure;

Vu le mémoire en réponse, intitulé « Observations sur le recours formé par les époux … THIBOR et … concernant les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des années 1988 à 1995 et le bulletin de l’impôt du le revenu 1996 N° 11295 du rôle », déposé en date du 24 novembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN;

1 Vu le mémoire en réplique déposé le 24 décembre 1999 au greffe du tribunal administratif au nom des demandeurs;

Vu le mémoire supplémentaire déposé, sur demande afférente du tribunal, au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2000 au nom des demandeurs;

Vu le mémoire en duplique déposé en date du 5 avril 2000 au greffe du tribunal administratif par Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Elisabeth ALEX, ainsi que Messieurs les délégués du gouvernement Jean-Marie KLEIN et Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 avril 1998, le bureau d’imposition d’Ettelbrück de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes adressa à Monsieur … THIBOR et à son épouse, Madame …, ci-après dénommés ensemble les « consorts THIBOR-… », demeurant ensemble à L-…, huit bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu respectivement pour les années fiscales 1988 à 1995. Concernant le détail de l’imposition, lesdits bulletins rectificatifs précisent que l’imposition différerait de la déclaration sur les points suivants: « Application des paragr. 217 et 222 de la loi générale des impôts. Observation du paragr. 205 de la loi générale de l’impôt. Remise de déclarations frauduleuses, incomplètes et inexactes ».

Le même jour, le susdit bureau d’imposition adressa en outre aux consorts THIBOR-… un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année fiscale 1996. Concernant le détail de l’imposition, ledit bulletin précise que l’imposition différerait de la déclaration sur les points suivants: « Salaire: … ».

Contre lesdits bulletins de l’impôt sur le revenu, les consorts THIBOR-… introduisirent le 25 mai 1998 une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur ».

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, les consorts THIBOR-… ont fait introduire le 21 mai 1999 un recours tendant en substance à la réformation sinon à l’annulation des 9 bulletins de l’impôt sur le revenu précités, ainsi que d’une prétendue décision de rejet résultant du silence du directeur suite à l’introduction de leur réclamation.

Le délégué du gouvernement conclut à la recevabilité du recours en réformation en ce qu’il est introduit par Monsieur THIBOR, mais à l’irrecevabilité de son recours en annulation au motif que la loi a prévu un recours en réformation en la matière.

Le délégué soulève ensuite l’irrecevabilité du recours en ce qu’il émane de Madame … au motif que les bulletins ne lui feraient pas grief. Dans ce contexte, le délégué soutient que les bulletins d’impôt, qui auraient été notifiés en un seul exemplaire à « Monsieur et Madame … THIBOR-… », ne sauraient avoir un effet à l’égard de Madame …, alors surtout qu’ils ne se réfèrent qu’au seul numéro fiscal et d’identité de Monsieur THIBOR. En outre, le reproche de déclaration frauduleuse, qui motive les bulletins critiqués, ne s’adresserait pas à l’épouse.

2 QUANT A LA COMPETENCE ET A LA RECEVABILITE DU RECOURS Etant donné que le recours est dirigé tant contre différents bulletins de l’impôt sur le revenu que contre le silence du directeur suite à une réclamation introduite par les demandeurs, le tribunal est appelé à examiner la recevabilité du recours sous ces deux rapports.

Concernant le recours en ce qu’il est dirigé contre les différents bulletins de l’impôt sur le revenu, le paragraphe 228 de la loi générale des impôts, ci-après dénommée « LGI », ensemble l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ouvrant un recours au fond contre les bulletins litigieux, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Concernant le recours principal en réformation, le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement et basé sur le défaut d’intérêt à agir de Madame … n’est pas fondé et doit être écarté.

En effet, s’il est vrai que l’impôt sur le revenu frappe les personnes et non le foyer, il n’en demeure pas moins vrai que le ménage soumis à l’imposition collective est à considérer comme « une unité économique, comme une communauté fiscale de revenus et de biens quel que soit le régime matrimonial des époux » (doc. parl. 5714, ad. art. 5, p. 4) et que les époux le composant se voient fixer une cote d’impôt sur le revenu unique, opposable en principe aux deux époux.

Par conséquent, les deux époux constituent des contribuables (« Steuerpflichtige ») au sens du paragraphe 97 (1) LGI et se voient conférer individuellement par les paragraphes 228, 232 et 238 LGI une voie de recours contre cette cote d’impôt commune.

Le recours en réformation est partant recevable sous ce rapport pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

La loi ayant prévu l’ouverture d’un recours en réformation contre les bulletins querellés, le recours subsidiaire en annulation à leur encontre est irrecevable.

Le tribunal est encore appelé à examiner la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre « le silence du directeur » suite à la réclamation introduite par les demandeurs.

Force est de constater que l’article 97 (2) de la loi précitée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif précise que « les réclamations (…) actuellement pendantes devant le directeur de l’Administration des Contributions directes peuvent être considérées après un écoulement de six mois après la mise en vigueur de la présente loi comme rejetées et recours peut être interjeté devant le tribunal administratif contre la décision frappée de réclamation (…) » et que l’article 8 (3) 3. de ladite loi du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », en l’espèce les différents bulletins de l’impôt sur le revenu émis le 23 avril 1998, et non pas contre le silence voire une prétendue décision implicite de rejet du directeur (cf.

doc. parl. 3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de 3 l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. (…) Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée »). Il s’ensuit que le recours sous discussion est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le silence du directeur suite à la réclamation des demandeurs.

QUANT AU FOND Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs font exposer que Monsieur THIBOR était président du comité d’administration de la coopérative des cheminots à Ettelbrück; qu’en décembre 1997, « un soi-disant « scandale » éclate lorsque certains membres mettent en cause THIBOR pour mauvaise gestion, chiffres d’affaires en sérieux recul, mauvaise organisation interne, enrichissement personnel et autres griefs »; que Monsieur THIBOR, qui était déjà pensionné à l’époque, a alors été démis de ses fonctions;

qu’il n’aurait cependant jamais fait l’objet de poursuites en justice; qu’il n’aurait pas été gérant et qu’il « travailla tous les jours à plein temps pour une indemnité de …- francs. Il est vrai qu’il fut régulièrement indemnisé forfaitairement pour ses débours sans que ces sommes ne dépassent …- francs/mois. Il est vrai que ces sommes supplémentaires, correspondent à des remboursements de frais ne firent pas l’objet de déclarations fiscales ».

Monsieur THIBOR admet expressément ne pas avoir déclaré l’intégralité des sommes qu’il a perçues, mais il conteste « le volume qui lui est imputé ».

Il relève encore que malgré différentes demandes, la coopérative des cheminots ne lui aurait pas communiqué « des extraits de comptabilité pour les exercices 1988 à 1996 » et que son mandataire n’aurait pas obtenu accès à son dossier fiscal.

Sur ce, les demandeurs critiquent la motivation insuffisante des bulletins d’impôt litigieux.

En ordre subsidiaire, ils demandent l’annulation des bulletins litigieux pour baser sur des faits matériellement inexacts. Dans ce contexte, ils contestent que Monsieur THIBOR ait gagné les montants que le bureau lui a imputés et ils soutiennent que l’administration des Contributions directes resterait en défaut de prouver leur encaissement.

Le délégué du gouvernement relève qu’il se dégagerait des circonstances de l’espèce, relatées dans la requête introductive des demandeurs, que le bureau d’imposition aurait pu avoir un doute raisonnable concernant la sincérité de la déclaration de revenus pour l’année 1996 et qu’il aurait pu rassembler des éléments d’information supplémentaires.

Selon le délégué, les dispositions du paragraphe 205 alinéa 3 LGI auraient été respectées, étant donné que Monsieur THIBOR aurait été entendu en ses observations sur le résultat de l’instruction.

Le délégué relève en outre que Monsieur THIBOR admet que certaines sommes n’ont pas été déclarées, de sorte que, sur base des faits nouveaux apparus lors de ladite instruction, le bureau aurait été en droit de rétablir la légalité de l’impôt en procédant à des impositions supplémentaires.

4 Il estime encore que Monsieur THIBOR ne saurait obtenir l’annulation des bulletins critiqués en faisant valoir que son avocat n’aurait pas eu accès au dossier fiscal au motif que la procédure d’imposition ne serait pas une procédure pénale et que le bureau n’aurait pas la charge de la preuve des bases d’imposition mais celle d’appliquer la loi d’impôt aux faits que le contribuable est légalement obligé de lui déclarer en toute sincérité. Il relève que le paragraphe 107 LGI réserverait au bureau « le droit de s’en tenir au contribuable, qui serait présumé connaître ses affaires, plutôt qu’au conseil, qui sait par ouï-dire » et il ajoute que ce serait pour la même raison que la communication du dossier fiscal ne serait pas prévue pour la procédure d’imposition, mais seulement pour les procédures contentieuses.

Pour le surplus, il estime que les montants ajoutés par le bureau d’imposition aux revenus déclarés ne pourraient être contrôlés qu’à l’aide du dossier fiscal et, le cas échéant, par un complément d’information.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs contestent que Monsieur THIBOR ait été entendu avant les rectifications entreprises, une entrevue n’ayant eu lieu que « seulement après avoir demandé lui-même des précisions par voie téléphonique » et qu’il n’aurait été renseigné que sur le mode de calcul sans cependant avoir été confronté avec les pièces du dossier. Dans ce contexte, les demandeurs formulent une offre de preuve par audition de Monsieur M. B., « directeur du bureau d’imposition d’Ettelbrück ».

Dans ledit mémoire, les demandeurs reprennent et développent leur moyen tiré d’une motivation insuffisante, en se fondant sur la jurisprudence, notamment un jugement du tribunal administratif du 11 mars 1998 et en soutenant qu’à défaut de production du dossier fiscal au cours de la procédure contentieuse, les bulletins critiqués encourraient l’annulation .

En outre, ils concluent à l’annulation des bulletins litigieux pour non respect des droits se dégageant des paragraphes 205 alinéa 3, 170 et 171 LGI.

Enfin, ils soulèvent une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du bureau d’imposition.

Lors de l’audience fixée pour les plaidoiries de l’affaire, le tribunal a porté l’attention des parties sur le fait que le dossier fiscal avait été déposé au greffe du tribunal au cours de la procédure contentieuse, plus précisément en date du 22 novembre 1999, et il a invité les deux parties à en prendre inspection et de formuler leurs éventuelles observations dans un mémoire supplémentaire.

Faisant suite à cette invitation, les demandeurs exposent dans un mémoire supplémentaire que « la coopérative des cheminots lui [Monsieur THIBOR] a déclaré au début de l’exercice de ses fonctions au sein du comité et comme remplaçant du gérant qu’elle déclarerait les sommes ainsi touchées par lui aux organismes concernés (sécurité sociale, contributions directes…) en tant que salaire et qu’il n’aurait donc pas à déclarer ces sommes aux impôts » et que Monsieur THIBOR et la coopérative auraient convenu qu’il obtiendrait officiellement une indemnité de …- francs pour l’exercice de ses fonctions sous forme d’un chèque bancaire et qu’il aurait touché « le reste dans une enveloppe ». Il offre de prouver ces faits par la voie de l’audition de différents témoins.

5 Les demandeurs réitèrent en outre leurs critiques quant aux montants qui ont été imputés par le bureau d’imposition à Monsieur THIBOR. Ce dernier fait encore soutenir que les heures de travail que l’administration aurait retenues à la base de ses estimations seraient largement surfaites. Dans ce contexte, il fait état de ce qu’il était malade pendant l’année 1994 du 29 avril au 7 juin, du 14 juin au 18 juin, du 18 juin au 1er juillet, soit 54 jours et au cours des années 1995 et 1996, le 3 décembre, du 12 décembre au 5 janvier, du 5 janvier au 20 janvier, soit pendant 40 jours.

Concernant les pièces figurant au dossier fiscal, les demandeurs contestent les relevés des heures de travail prestées sur lesquels ne figure pas de mention manuscrite de la part de Monsieur THIBOR et qui auraient été établis unilatéralement par la coopérative des cheminots, tout en faisant l’aveu d’un certain nombre d’heures prestées au cours des années 1989 à 1995, la liste exhaustive desdites heures de travail étant dressée dans ledit mémoire supplémentaire.

En outre, Monsieur THIBOR conteste formellement avoir travaillé pendant les périodes non documentées par un relevé manuscrit de sa part. Sur base de ces considérations, les demandeurs estiment que l’administration omettrait de rapporter la preuve des faits déclenchant ou augmentant la charge fiscale, de sorte que les bulletins seraient viciés.

Enfin, les demandeurs font valoir que l’administration n’aurait pas respecté le principe que la taxation consiste à déterminer une valeur probable et approximative et qu’elle devrait tenir compte de tous les indices et de toutes les circonstances de nature à influer sur la détermination de l’élément d’imposition à taxer.

Le délégué du gouvernement soutient que l’offre de preuve formulée ne serait pas pertinente et que son libellé impliquerait que les déclarations fiscales de Monsieur THIBOR auraient été délibérément fausses.

Par ailleurs, l’aveu de Monsieur THIBOR de quelque 900 à 1200 heures de travail prestées, « qu’il ne peut plus contester sans renier sa signature » n’entamerait pas la force probante des documents fournis par la coopérative des cheminots et qui n’auraient pas été contresignés par lui.

Le représentant étatique ajoute que « l’argument qu’il [Monsieur THIBOR] tire de ses périodes de maladies se retourne contre lui, car « incapable d’assurer le remplacement du gérant » du 29 avril au 30 juin 1994 il n’en a pas moins contresigné des relevés de travail pour 194 et 52 heures ».

La logique juridique impliquant que l’examen de la légalité externe d’un acte précède l’examen de sa légalité interne, le tribunal est appelé en premier lieu à examiner le moyen des demandeurs tiré de la méconnaissance par le bureau d’imposition des prescriptions des paragraphes 205 alinéa (3), 170 et 171 LGI.

Il convient en premier lieu de retenir que le paragraphe 205 alinéa (3) n’est pas applicable à la rectification pour faits nouveaux, de sorte que la critique afférente dirigée à l’encontre des bulletins rectificatifs pour les années 1988 à 1995 n’est pas fondée.

Il serait cependant faux de conclure que la non-applicabilité du paragraphe 205 alinéa 3 LGI, lorsque le bureau d’imposition procède, comme en l’espèce pour les années 1988 à 1995, sur base du paragraphe 222 point 1) LGI, implique que l’administration ne soit pas obligée 6 d’informer le contribuable et de lui donner la possibilité de se faire entendre préalablement à l’émission de bulletins rectificatifs, pareille obligation générale découlant, implicitement mais nécessairement, du paragraphe 204 LGI.

En l’espèce, en ce qui concerne l’instruction menée préalablement à l’émission des bulletins rectificatifs pour les années 1988 à 1995 et du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1996, il se dégage du dossier et des informations qui sont à la disposition du tribunal que les prescriptions du paragraphe 205 alinéa (3) et de l’obligation générale d’information découlant du paragraphe 204 LGI ont été respectées, étant donné que, préalablement à l’émission des bulletins d’impôt litigieux, Monsieur THIBOR a été entendu en ses explications et observations sur le résultat de l’instruction complémentaire que le bureau d’imposition a menée à la suite de ses doutes - raisonnables eu égard aux circonstances de l’espèce -

relativement à la sincérité de la déclaration fiscale de Monsieur THIBOR. - En effet, il se dégage des termes mêmes d’un courrier du 23 mars 1998, c’est-à-dire portant une date antérieure à l’émission des bulletins litigieux, adressé par le mandataire de l’époque au préposé du bureau d’imposition d’Ettelbrück, que Monsieur THIBOR a eu un entretien avec ledit préposé et que le préposé l’a invité à produire des données supplémentaires, que Monsieur THIBOR déclara ne pas pouvoir fournir au motif qu’il ne disposerait pas de pièces. C’est dans ce courrier que le mandataire de Monsieur THIBOR demande en outre à obtenir accès au dossier fiscal afin de pouvoir clarifier la question des « heures auxiliaires ». Il s’y ajoute que, dans son courrier en réponse du 9 avril 1998, également antérieur en date à l’émission des bulletins litigieux, le préposé du bureau d’imposition compétent informa le prédit mandataire notamment de ce que « lors de sa visite au bureau d’imposition d’Ettelbrück, le sieur THIBOR a été informé des chiffres précis de recettes encaissées clandestinement pendant les années 1988 à 1996 et ceci dans sa fonction de directeur-gérant de la Coopérative des Cheminots à Ettelbruck. Il s’agit d’une fraude fiscale intentionnelle. Le bureau d’imposition a respecté les paragraphes 205, 217 et 222 de la Loi Générale des Impôts et émettra dans les prochains jours les bulletins rectificatifs (…) ». - Il suit de ce qui précède que les allégations formulées dans ce contexte par les demandeurs dans leur mémoire en réplique et l’offre de preuve formulée par eux sont contredites par les éléments du dossier et que l’offre de preuve est à écarter comme n’étant pas concluante.

Ensuite, eu égard au fait que le dossier fiscal a été produit en cause et que les parties ont pu en prendre inspection et formuler tels observations et moyens qu’ils jugeaient nécessaires ou utiles pour la défense de leurs intérêts, il convient d’écarter le moyen d’annulation présenté par les demandeurs tiré d’une motivation insuffisante des bulletins déférés à défaut de production du dossier fiscal par l’administration.

Les demandeurs ont encore tort de soutenir que l’administration des Contributions directes ne pourrait rectifier ses déclarations antérieures que si elle rapporte la preuve des faits déclenchant ou augmentant la charge fiscale.

En effet, les dispositions applicables (notamment les paragraphes 166, 170 et 171 LGI) instaurent un système établissant un devoir de collaboration du contribuable.

Dès lors que le contrôle d’une déclaration d’impôt amène le bureau d’imposition à douter raisonnablement du caractère véridique et complet des déclarations, il peut - et doit -, conformément au paragraphe 205 LGI, procéder à des investigations supplémentaires.

7 Dans l’exercice de sa mission d’investigation le bureau est notamment amené à faire appel à la coopération du contribuable.

Aux termes du paragraphe 170 LGI « (1) im Fall des § 205 Absätze 1 und 2 hat der Steuerpflichtige nach schriftlicher Mitteilung der Punkte, über die er sich äussern soll, vor dem Finanzamt zu erscheinen, wenn er nicht durch triftige Gründe daran verhindert ist. Er hat ihm wahrheitsgemäss nach bestem Wissen und Gewissen Auskunft zu geben. (…) (2) Das Finanzamt kann schriftliche Auskunft verlangen. » Au voeu du paragraphe 171 LGI, il incombe au contribuable de fournir la preuve de l’exactitude de ses déclarations. Ledit paragraphe précise encore que « wo seine Angaben zu Zweifel Anlass geben, hat er sie zu ergänzen, den Sachverhalt aufzuklären und seine Behauptungen, soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann, zu beweisen, zum Beispiel den Verbleib von Vermögen, das er früher besessen hat ».

Dans le paragraphe 217 LGI, le législateur règle la procédure à suivre lorsque le contribuable ne peut pas - ou ne veut pas - éclairer ses déclarations.

Le paragraphe 217 LGI dispose que « (1) soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschliesslich solcher Besteuerungsgrundlagen, für die eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.

Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind. » Le paragraphe 217 LGI constitue la base légale de la taxation (« Schätzung »), c’est-à-

dire le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt, à laquelle elles ne peuvent guère se soustraire (cf. Jean OLINGER, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, in études fiscales n°s 81-85, novembre 1989, n°190, page 117 et trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Impôts, n° 146 et autre référence y citée).

La taxation ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d’imposition qui est appliqué même à l’égard des contribuables soigneux et diligents (cf. Jean OLINGER, ibidem et trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Impôts, n° 147).

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et des renseignements qui sont à sa disposition, le tribunal a déjà retenu ci-avant que le bureau d’imposition compétent, par une juste appréciation des circonstances de fait, a pu avoir des doutes raisonnables sur la complétude et la véridicité des déclarations de Monsieur THIBOR et décider de procéder à des 8 investigations supplémentaires. Or, comme le bureau d’imposition a pu obtenir de la coopérative des cheminots un grand nombre de pièces relatives à des dépenses non déclarées par Monsieur THIBOR et comme ce dernier a déclaré, par l’organe de son mandataire (cf.

lettre prérelatée du 23 mars 1998), que, faute de pièces afférentes, il ne pouvait prêter son concours aux mesures d’instruction en fournissant des renseignements supplémentaires en vue de l’établissement de la vérité, le bureau d’imposition compétent a valablement pu conclure à l’existence d’autres revenus non déclarés, et, comme il était dans l’impossibilité de déterminer la valeur réelle et exacte de la base d’imposition, procéder à sa taxation conformément au paragraphe 217 LGI. - Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par le fait que les demandeurs, plus particulièrement Monsieur THIBOR, ont expressément reconnu dans les différents actes de procédure ne pas avoir déclaré l’intégralité des sommes perçues. - C’est encore à juste titre que le délégué du gouvernement relève qu’il se dégage du libellé même de la deuxième offre de preuve formulée par les demandeurs en rapport avec un accord entre Monsieur THIBOR et la coopérative relativement au paiement d’une indemnité « officielle » fixe de …- francs et le versement du reste « dans une enveloppe », que Monsieur THIBOR a délibérément fait de fausses déclarations fiscales.

Par ailleurs, la prédite offre de preuve est à rejeter pour manquer de pertinence, étant donné que même à admettre qu’au cours des années 1986-1987, l’ancien comptable de la coopérative ait déclaré que la coopérative « déclarerait les sommes (…) touchées par lui [Monsieur THIBOR] aux organismes concernés (…) en tant que salaire et qu’il n’aurait donc pas à déclarer ces sommes aux impôts », pareille déclaration ne saurait dispenser Monsieur THIBOR de ses obligations légales de déclaration et justifier que des sommes soient soustraites à l’imposition.

Le recours à la taxation étant justifié, le tribunal est encore appelé à examiner si le bureau d’imposition a fait une juste appréciation de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

La taxation consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative, ce procédé comportant nécessairement une marge d’incertitude et d’inexactitude.

Si le contribuable est admis à contester le résultat de la taxation dans le cadre des voies de recours légalement prévues, il ne saurait cependant se limiter à le contester en bloc, mais il doit faire valoir des objections précises desquelles ressort que ledit résultat ne correspond pas à l’ensemble des circonstances de l’espèce.

En l’espèce, il se dégage du dossier et des renseignements fournis que le résultat de la taxation, tablant sur l’ensemble des pièces obtenues par la coopérative des cheminots documentant un impressionnant nombre de recettes - non déclarées - dont Monsieur THIBOR a bénéficié au cours des années litigieuses -, est vraisemblable et que les objections et pièces produites en cours d’instance par les demandeurs ne sont pas de nature à contredire à suffisance de droit les conclusions du bureau d’imposition.

Dans ce contexte, il convient de relever que les demandeurs sont mal venus de contester que le bureau d’imposition a, entre autres, procédé par voie de généralisation, notamment pour l’année 1996, année pour laquelle la coopérative a déclaré que les documents relatifs aux sommes perçues par Monsieur THIBOR étaient « introuvables », la généralisation étant un procédé normal en matière de taxation, lequel consiste à étendre et à transposer des données particulières constantes en application de présomptions de probabilité.

9 Pour le surplus, les contribuables ne doivent s’imputer qu’à eux-mêmes les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation, lorsque c’est par suite de leur propre comportement fautif qu’il a été nécessaire de recourir à cette mesure (cf. CE 11 avril 1962, n°5742 du rôle).

Il suit des considérations qui précèdent que le recours n’est pas justifié et qu’il y a lieu d’en débouter les demandeurs.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le silence du directeur suite à l’introduction de la réclamation du 25 mai 1998, déclare irrecevable le recours en annulation dirigé contre les bulletins de l’impôt prévisés émis le 23 avril 1998, se déclare compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les bulletins de l’impôt prévisés émis le 23 avril 1998, le reçoit en la forme sous ce rapport, écarte les deux offres de preuves formulées par les demandeurs respectivement pour ne pas être concluante et pertinente, dit le recours non fondé et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 19 juin 2000, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11295
Date de la décision : 19/06/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-06-19;11295 ?

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