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31/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11972

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mai 2000, 11972


N° 11972 du rôle Inscrit le 2 mai 2000 Audience publique du 31 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … AVDIJA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11972 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2000 par Maître Arsène THILL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AVDIJA, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougosl

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N° 11972 du rôle Inscrit le 2 mai 2000 Audience publique du 31 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … AVDIJA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11972 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2000 par Maître Arsène THILL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AVDIJA, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2000, notifiée le 28 janvier 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 27 mars 2000 intervenue sur recours gracieux du 23 février 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Arsène THILL, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … AVDIJA, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 9 novembre 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du 9 novembre 1998 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 13 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 10 novembre 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur AVDIJA, par lettre du 5 janvier 2000, notifiée en date du 28 janvier 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par courrier de son mandataire datant du 23 février 2000, Monsieur AVDIJA fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 5 janvier 2000.

Ce recours gracieux fut rejeté par une décision confirmative de la décision initiale, datée du 27 mars 2000, notifiée le 29 mars 2000 au mandataire de Monsieur AVDIJA.

Par requête du 2 mai 2000, Monsieur AVDIJA a introduit un recours principalement en annulation et subsidiairement en réformation contre les décisions précitées des 5 janvier et 27 mars 2000.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Il ressort des éléments du dossier, notamment de la décision ministérielle du 5 janvier 2000, que le ministre de la Justice s’est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, page 310, et autres références y citées).

Le recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles litigieuses ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur conclut à l’annulation des décisions critiquées pour « violation de la loi, et notamment [pour] (…) erreur de fait, sinon [pour] (…) erreur d’appréciation manifeste ».

2 Il expose en premier lieu que ce serait « à cause de sa mauvaise compréhension de la langue française et à un moment où il était insuffisamment instruit sur la portée de ses déclarations » qu’il « aurait pu laisser entendre [lors de son audition du 13 septembre 1999] que la motivation de son entrée [au Luxembourg] serait basée sur des raisons économiques ». Or, selon le demandeur, tel ne serait pas le cas, alors qu’il se serait enfoui de son pays d’origine, à savoir le Kosovo, et, plus particulièrement, de la ville de Vucitern, parce qu’il y aurait été persécuté par l’armée et la police serbes en raison de sa langue albanaise et de sa confession musulmane. Il soutient encore que sa vie y aurait été menacée en permanence.

Il soutient encore qu’à l’heure actuelle, la situation au Kosovo resterait très instable et que ses craintes de persécution seraient toujours d’actualité.

Il ajoute finalement qu’en date du 16 octobre 1999, il aurait été victime d’un accident de la circulation très grave, qu’il aurait été dans le coma pendant trois mois, avec perte subséquente « de la plupart de ses souvenirs antécédents » et que son médecin traitant aurait évalué son IPP à 50%.

Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur sollicite en outre l’allocation d’une indemnité de procédure de 35.000.- francs sur base de l’article 240 du nouveau code de procédure civile.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou la crainte invoquée manifestement dénuée de fondement, eu égard aux pièces et renseignements fournis. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

3 Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte invoquée de manifestement dénuée de fondement.

Il convient en premier lieu de retenir que le délégué du gouvernement relève à bon droit que le demandeur ne saurait se retrancher derrière une prétendue connaissance insuffisante de la langue française pour soutenir qu’il se serait mépris sur le sens des questions qui lui ont été posées lors de son audition du 13 septembre 1999. En effet, il se dégage du compte rendu relatif à ladite audition - figurant au dossier et signé par le demandeur -, que lors de l’audition en cause un interprète a été présent pour l’assister à cette occasion, de sorte que sa compréhension de la langue française n’a pas été nécessaire afin qu’il soit en mesure de comprendre et de répondre aux questions qui lui ont été posées.

L’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Kosovo. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur AVDIJA a affirmé avoir quitté son pays d’origine parce qu’« il y avait la guerre. De plus j’étais malade et là-bas je ne pouvais pas aller au médecin, c’était trop cher. Je suis le seul de la famille qui pouvait partir parce que nous n’avions pas plus d’argent à la maison ». Il a encore exposé avoir peur des Serbes et de la guerre. Interrogé sur la question de savoir si cette peur était liée à ses opinions politiques, religieuses ou à son groupe social ou national, il a répondu qu’il avait peur parce qu’il est Albanais. Il a encore déclaré qu’il n’a pas fait son service militaire et qu’il n’avait pas reçu de convocation à cette fin, qu’il n’a pas été membre d’un parti politique, que la politique ne l’intéressait pas, que sa fuite n’était pas liée à un événement précis et qu’il n’avait pas été personnellement persécuté.

Le tribunal constate que le demandeur base ses craintes de persécution sur la situation générale existant dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo, et sur son origine albanaise, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de cette situation et de son appartenance ethnique. Ainsi, il ne précise pas en quoi sa situation particulière ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il ferait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant au Kosovo, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement s’il a raison de craindre d’être persécuté.

Enfin, c’est encore à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que l’état de santé du demandeur, - aussi grave qu’il soit et aussi tragique que l’accident dont il a été victime fut -, ne saurait constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Kosovo.

4 La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur AVDIJA comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par lui est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure est à abjuger.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation des décisions critiquées;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 31 mai 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11972
Date de la décision : 31/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-31;11972 ?

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