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29/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11841

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mai 2000, 11841


N° 11841 du rôle Inscrit le 18 février 2000 Audience publique du 29 mai 2000 Recours formé par les époux … KOLIC et … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11841 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2000 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des

poux … KOLIC et …, tous les deux ressortissants du Monténégro, de nationalité yougoslave, ...

N° 11841 du rôle Inscrit le 18 février 2000 Audience publique du 29 mai 2000 Recours formé par les époux … KOLIC et … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11841 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2000 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … KOLIC et …, tous les deux ressortissants du Monténégro, de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 janvier 2000, notifiée le 21 janvier 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François GENGLER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mai 2000.

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Le 18 mai 1999, Monsieur … KOLIC, né le … à … (Monténégro), et son épouse Madame …, née le … à … (Monténégro), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Le 18 mai 1999, les époux KOLIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent encore entendus en date du 22 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande. Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 27 septembre 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame KOLIC-… par lettre du 4 janvier 2000, notifiée le 21 janvier 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants :

“ Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.

Par requête déposée en date du 18 février 2000 les époux KOLIC-… ont introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 4 janvier 2000.

Le tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi est recevable.

Le recours en annulation est partant irrecevable.

Les demandeurs estiment en premier lieu que la décision du ministre de la Justice serait insuffisamment motivée en droit et en fait en ce qu’elle ne reposerait pas sur des motifs clairs et précis.

Une décision administrative est motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, p. 261, n° 35 et autres références y citées).

En l’espèce, le moyen d’annulation invoqué par les demandeurs consistant à soutenir que la décision ministérielle critiquée serait entachée d’illégalité pour absence de motivation, n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que la décision du ministre de la Justice du 4 janvier 2000, ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, en en adoptant également les motifs, et qui a été annexé en copie à la décision en question, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.

2 L’existence de motifs ayant été vérifiée, il convient encore d’examiner si la décision ministérielle n’est pas le résultat d’une mauvaise appréciation de la situation personnelle des demandeurs.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice aurait retenu qu’ils n’auraient pas invoqué des craintes sérieuses de persécution pour l’une des raisons visées par la Convention de Genève, alors qu’il résulterait du rapport d’audition précité que Monsieur KOLIC a déclaré que des paramilitaires serbes auraient dévalisé son magasin à plusieurs reprises et que même s’il a effectivement déclaré avoir fait son service militaire de 1987 à 1988 en Croatie et ne pas avoir reçu d’appel pour la réserve ni avoir été recherché par l’armée, il ne resterait pas moins qu’entre-temps, sa mère qui vit encore à Bijelo Polje, lui aurait transmis une convocation qui lui aurait été envoyée par un tribunal militaire serbe. Il indique que conformément à cette convocation il aurait dû se présenter le 2 juillet 1999 devant le tribunal militaire pour exposer les raisons pour lesquelles il ne se serait pas présenté auprès de son unité de l’armée serbe pendant la guerre et qu’il serait marqué sur cette convocation qu’au cas où il ne se présenterait pas à la date préindiquée, il serait considéré comme criminel et puni en conséquence. Les demandeurs signalent dès lors que Monsieur KOLIC risquerait d’être emprisonné pendant plusieurs années en cas de retour dans son pays et qu’il existerait dès lors dans son chef une crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine.

Les parties demanderesses signalent par ailleurs avoir déclaré que Madame … serait souffrante et aurait besoin du soutien de son mari de manière à ne pas être en mesure de supporter le cas échéant l’emprisonnement de son mari en cas de retour dans leur pays d’origine. Ils font encore valoir qu’au cas où Monsieur KOLIC subirait la peine d’emprisonnement alléguée, leurs deux enfants mineurs Indira et Irma, nées respectivement le 12 juin 1997 et 12 novembre 1998, verraient “ arracher leur père du foyer familial ”, pour soutenir qu’au regard de l’ensemble des moyens par eux invoqués la décision déférée ne serait pas justifiée.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que le fait pour les demandeurs d’avoir vu leur magasin dévalisé à plusieurs reprises par des paramilitaires serbes ne saurait en aucun cas constituer une persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, mais devrait s’analyser en un délit de droit commun. Concernant plus particulièrement la convocation devant le tribunal militaire serbe invoquée par les demandeurs et versée au dossier, le représentant étatique relève que même à admettre l’authenticité du document produit, l’insoumission ne constituerait pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié. Il relève par ailleurs qu’à aucun moment Monsieur KOLIC n’aurait invoqué des raisons de conscience qui lui auraient dicté de ne pas rejoindre la réserve militaire yougoslave, de sorte que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de leurs déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux KOLIC-… lors de leur audition, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-

fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il statue (trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

A travers la motivation de leur recours, les demandeurs se prévalent en substance de persécutions de la part d’un groupe de la population, en l’occurrence des paramilitaires serbes, à leur encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution.

Une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer, voire d’alléguer avoir concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ainsi que le défaut de toute poursuite de ces actes par ces dernières.

Il y a lieu d’ajouter que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, 4 fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève (Cour adm. 11 février 1999, Kurpejovic, n° 10976C du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Etranger, n° 30 et autres références y citées).

En l’espèce, les demandeurs n’allèguent aucun élément susceptible de justifier pour quelle raison la désertion ou l’insoumission de Monsieur KOLIC seraient de nature à entraîner dans son chef des persécutions pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 mai 2000 par:

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11841
Date de la décision : 29/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-29;11841 ?

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