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25/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11717

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 mai 2000, 11717


N° 11717 du rôle Inscrit le 15 décembre 1999 Audience publique du 25 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … SULEJMANI contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11717 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 1999 par Maître Barbara KOOPS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SULEJMANI, d

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N° 11717 du rôle Inscrit le 15 décembre 1999 Audience publique du 25 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … SULEJMANI contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11717 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 1999 par Maître Barbara KOOPS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SULEJMANI, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juin 1999 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative du 17 septembre 1999, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 28 février 2000 ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement le 13 mars 2000 ;

Vu le mémoire en triplique, intitulé “ mémoire ”, déposé au nom du demandeur le 22 mars 2000 ;

Vu le mémoire en quadruplique déposé par le délégué du gouvernement le 28 mars 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître João Nuno PEREIRA, en remplacement de Maître Barbara KOOPS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 6 janvier 1999, Monsieur … SULEJMANI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Il fut entendu en date des 6 janvier, 19 et 31 mars 1999 par un agent du service de police judiciaire sur l’itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg, sur son identité exacte ainsi sur ses antécédents judiciaires.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SULEJMANI, par lettre du 28 juin 1999, notifiée le 7 juillet 1999, de ce qui suit :

“ Il ressort de votre dossier administratif que vous avez fait l’objet de nombreuses condamnations pénales pour crimes graves en Allemagne, dont “ gemeinschaftlicher schwerer Raub ” (condamnation du 1.10.1992 par le Landgericht Berlin à 1 an et 9 mois d’emprisonnement), “ Beihilfe zur illegalen Einreise ” (condamnation du 26.08.1996 par l’AG Pasewalk à 12 mois d’emprisonnement) et “ gefährliche Körperverletzung in 2 Fällen und wegen vorsätzlichen Vollrausches ” (condamnation du 17.09.1994 par le Landgericht Berlin à 3 ans d’emprisonnement).

En outre, il ressort d’un rapport du 19.03.1999 du Service de Police Judiciaire, section police des étrangers et des jeux, que vous êtes connu en Allemagne pour différents crimes et délits graves.

Au vu de ce qui précède, je suis amené à faire application de l’article 1. F. b) de la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève, le 28 juillet 1951, qui dispose comme suit :

“ Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (…) b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ; (…) ”.

Par conséquent, vous êtes exclu de la procédure prévue par la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.

Vous êtes invité à quitter le territoire dans un délai d’un mois à partir de la notification de la présente ”.

Suite à un recours gracieux, introduit par le mandataire de Monsieur SULEJMANI, le 28 juillet 1999, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par lettre du 17 septembre 1999, adressée audit mandataire.

Par requête déposée en date du 15 décembre 1999, Monsieur SULEJMANI a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions ministérielles précitées des 28 juin et 17 septembre 1999.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation introduit à titre principal au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu par la loi en la présente matière.

2 Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, page 310 et autres références y citées).

Etant donné que ni la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ni aucune autre disposition légale ne prévoit expressément la possibilité d’introduire un recours en réformation contre des décisions rendues en matière de demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique par lesquelles des demandeurs d’asile ont été exclus de la procédure telle que prévue par la Convention de Genève, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Seul un recours en annulation a partant pu être introduit devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation, recours de droit commun, introduit en ordre subsidiaire, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Le tribunal constate qu’à la suite du mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal en date du 13 mars 2000, le demandeur a encore déposé un troisième mémoire au greffe en date du 22 mars 2000 suivi d’un mémoire en “ quadruplique ” de la part de l’Etat déposé en date du 28 mars 2000. Sur question afférente posée par le tribunal au cours des plaidoiries, le mandataire du demandeur a estimé que le dépôt d’un troisième mémoire par sa partie ne serait pas exclu par les dispositions légales en vigueur. Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à la question de savoir si les mémoires en “ triplique ” et en “ quadruplique ” devaient être pris en considération par le tribunal.

D’après l’article 7, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, chaque partie n’est autorisée à déposer que deux mémoires, y compris la requête introductive d’instance. Le mémoire additionnel, constituant un mémoire en “ triplique ”, déposé au greffe du tribunal le 22 mars 2000 au nom du demandeur n’est partant pas à prendre en considération et n’entrera pas en taxe. Le même sort devra être réservé au mémoire en “ quadruplique ” déposé par le délégué du gouvernement en date du 28 mars 2000 à la suite du mémoire en “ triplique ” précité (cf. trib. adm. 16 décembre 1999, n° 11503 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, VII. Echange de mémoires, n° 119, page 293).

Le demandeur reproche au ministre de la Justice de l’avoir exclu de la procédure telle que prévue par la loi précitée du 3 avril 1996 sans avoir soumis au préalable sa demande pour avis à la commission consultative pour les réfugiés, telle qu’instituée par l’article 3 de la loi en question. Ce faisant, il aurait non seulement violé l’article 3 précité mais également l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, qui exigerait, d’après lui, que les avis des organismes consultatifs qui doivent être obligatoirement sollicités, comme dans le cas d’espèce, devraient être mentionnés dans la décision rendue à la suite et sur base de ces avis, et communiqués au destinataire de la décision.

3 Il reproche encore au ministre de la Justice de ne pas avoir procédé à son audition préalable, telle que prévue à l’article 4 de la loi précitée du 3 avril 1996 et de ne pas l’avoir informé de son droit de choisir ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’Ordre des avocats.

Il soutient encore d’une manière générale que ce serait à tort que le ministre a décidé de l’exclure de la procédure telle que prévue par la loi précitée du 3 avril 1996 en se basant sur la clause d’exclusion prévue à l’article 1er, F. b) de la Convention de Genève. Tout en ne contestant pas les condamnations citées dans les décisions déférées, il estime toutefois que le ministre de la Justice aurait commis une appréciation erronée de la gravité des crimes en question, en estimant que ceux-ci ne devraient pas être considérés comme constituant des “ crimes graves ” au sens de la disposition de droit international précitée. En effet, en se référant au guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, édité par le haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au sujet de l’interprétation à donner aux dispositions de la Convention de Genève, dénommé ci-après “ le guide des procédures ”, et après avoir relevé que ledit guide se réfère aux “ meurtres ou à une autre infraction que la loi punit d’une peine très grave ” pour définir ce qu’il faut entendre par “ crimes graves ” au sens de la Convention de Genève, il soutient qu’il n’aurait commis ni de meurtre ni d’infraction d’une gravité similaire à celle du meurtre, et que par ailleurs, il n’aurait pas commis d’infraction que la loi punit d’une peine très grave. Les peines d’emprisonnement qui ont été prononcées à son encontre par les juridictions allemandes ne constitueraient en outre pas des peines criminelles au sens du droit pénal luxembourgeois.

Il estime encore que le ministre de la Justice aurait dû analyser plus en détail, au-delà du constat des peines d’emprisonnement prononcées à son encontre par les juridictions allemandes, son dossier pénal et tenir compte notamment du fait qu’au moment où les décisions litigieuses ont été rendues par le ministre, il avait purgé sa peine d’emprisonnement, dont l’exécution aurait été fixée du 16 septembre 1993 au 17 août 1998. Sur base de ce seul fait, l’article 1, F, b) de la Convention de Genève n’aurait pas pu trouver application à son cas d’espèce.

Il fait par ailleurs valoir que les infractions commises par lui et au sujet desquelles il a été condamné en Allemagne, seraient d’une gravité “ somme toute minime ” et l’exclusion de la Convention de Genève qui a été décidée par le ministre de la Justice sur base des infractions et condamnations précitées, serait manifestement disproportionnée par rapport à la persécution qu’il redouterait ensemble avec sa famille dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo.

Il reproche encore au ministre de la Justice de ne pas lui avoir communiqué préalablement un rapport daté du 13 (sic !) mars 1999 établi par le service de police judiciaire afin de recueillir sa prise de position par rapport au contenu dudit rapport et partant ce rapport n’aurait pas pu être invoqué par le ministre à l’appui de ses décisions. Il soutient encore que le rapport en question contiendrait de prétendues infractions commises par lui qu’il conteste formellement, d’autant plus qu’il n’aurait pas été condamné par un tribunal au sujet des infractions en question. Le ministre de la Justice violerait en effet le principe de la présomption d’innocence, tel que prévu par l’article 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après la “ Convention européenne des droits de l’homme ”, dans la mesure où il se serait basé sur des allégations “ vagues et imprécises ” contenues dans le rapport précité de la police judiciaire et 4 dans la mesure où il a fait référence, dans sa décision critiquée du 28 juin 1999, du fait qu’il serait prétendument “ connu en Allemagne pour différents crimes et délits graves ”.

Enfin, il fait état de ce qu’il a à sa charge une épouse ainsi que trois enfants mineurs, que ces derniers n’auraient pas été exclus de la procédure telle que prévue par la loi précitée du 3 avril 1996 et que le fait de l’obliger à quitter le territoire luxembourgeois reviendrait à le séparer de sa famille et constituerait partant un acte d’ingérence dans son exercice du droit au respect de sa vie familiale, prohibé par l’article 8.2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait à bon droit refusé d’appliquer la loi précitée du 3 avril 1996 au demandeur, au motif qu’en vertu de l’article 1.F de la Convention de Genève, le demandeur serait exclu du champ d’application de ladite convention et partant également de la loi précitée de 1996 prise en exécution de ladite convention. Il souligne encore, à titre subsidiaire, que de toute façon l’avis de la commission consultative pour les réfugiés ne devrait être sollicité que dans les hypothèses visées aux articles 10 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 et comme l’exclusion sur base de l’article 1.F de la Convention de Genève ne figurerait pas parmi les hypothèses en question, un avis de ladite commission n’aurait de toute façon pas dû être sollicité.

Quant au fait que le demandeur n’aurait pas été informé de son droit de se faire désigner un avocat, le représentant étatique rétorque, d’une part, qu’une telle affirmation ne serait nullement prouvée et ne ressortirait d’ailleurs d’aucun élément du dossier et, d’autre part, que le ministre n’aurait pas été obligé de l’informer de ce droit, alors qu’en l’espèce, comme la Convention de Genève ne serait pas applicable, le demandeur ne pourrait pas se prévaloir des dispositions afférentes de la loi précitée du 3 avril 1996.

En ce qui concerne l’appréciation de la gravité des infractions commises par le demandeur en Allemagne, le délégué du gouvernement, après avoir soutenu que le guide des procédures n’aurait aucune force obligatoire et que sa violation éventuelle ne saurait être invoquée comme moyen de nullité, estime que les infractions en question auraient le caractère de gravité tel qu’exigé par l’article 1.F. b) de la Convention de Genève permettant de l’exclure de ladite convention. Le représentant étatique, tout en admettant qu’en vue de l’évaluation de la gravité des infractions commises, il y aurait lieu de tenir compte des circonstances atténuantes éventuelles, estime qu’il y a également lieu de tenir compte des circonstances aggravantes dans le chef du demandeur établies en l’espèce par le fait qu’il aurait déjà des condamnations inscrites à son casier judiciaire.

En ce qui concerne le critère de proportionnalité à assurer entre les conséquences à subir par le demandeur du fait de son exclusion de la Convention de Genève et le risque de persécution qu’il peut craindre en cas de retour dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo, le délégué du gouvernement estime non seulement que le demandeur tenterait “ vainement de vouloir minimiser des crimes tels que “ schwerer Raub ” ou “ versuchter freiwilliger Totschlag ”, mais encore qu’au moment où les décisions litigieuses ont été prises, la guerre au Kosovo était terminée et que partant il ne pouvait craindre aucune persécution dans son pays d’origine en cas de retour éventuel.

Le délégué du gouvernement expose par ailleurs que le demandeur aurait à tout moment pu consulter son dossier administratif, comprenant notamment le rapport précité du 5 service de police judiciaire du 19 mars 1999, en soutenant encore que le ministre n’était soumis à aucune obligation légale de lui communiquer ce rapport en vue d’une prise de position éventuelle.

En outre, il expose que le ministre de la Justice pourrait se baser non seulement sur des faits ayant fait l’objet d’une condamnation pénale mais également sur d’autres éléments permettant d’évaluer la dangerosité du demandeur pour la sécurité et l’ordre publics.

Enfin, il sollicite le rejet du moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif qu’il serait “ sans pertinence aucune à l’égard de l’article 1.F de la Convention de Genève ”.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient que ce serait à tort que le délégué du gouvernement estime que la loi précitée du 3 avril 1996 ne serait pas applicable à son cas d’espèce, alors que celle-ci aurait vocation, en vertu de son article 1er, à s’appliquer exclusivement aux personnes qui sollicitent le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Le seul fait du dépôt d’une demande d’asile au sens de la loi en question, devrait lui rendre applicable la loi en question. Par ailleurs, la saisine obligatoire de la commission consultative pour les réfugiés permettrait d’éviter au ministre de la Justice de prendre des décisions “ fondées exclusivement sur des critères purement arbitraires et discrétionnaires ”.

Par ailleurs, l’absence de l’information lui donnée au sujet de son droit de se faire assister par un avocat ne devrait pas être prouvé par lui, alors qu’il s’agirait d’une preuve négative impossible à rapporter, mais il appartiendrait au contraire à l’administration de rapporter la preuve de l’accomplissement de l’obligation légale en question, d’autant plus qu’en vertu de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996, l’accomplissement de cette formalité devrait ressortir du dossier, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l’espèce.

En ce qui concerne le défaut de communication du rapport du service de police judiciaire du 19 mars 1999, il fait valoir qu’il n’aurait ni été informé par le ministre de la Justice de la faculté de consulter son dossier ni reçu communication des pièces faisant partie du dossier administratif en question, de sorte qu’il n’aurait pas pu y prendre position en connaissance de cause préalablement à la décision ministérielle. De ce fait, le ministre aurait violé les articles 9, 11 et 12 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.

D’après le demandeur, l’erreur d’appréciation commise par le ministre dans le cadre de l’évaluation de la gravité des infractions commises par lui résulterait en outre du fait qu’il n’aurait jamais été condamné par un tribunal pénal à une peine criminelle au sens du code pénal luxembourgeois et que depuis son entrée sur le territoire luxembourgeois, au courant du mois de janvier 1999, il se serait bien intégré dans la société luxembourgeoise et qu’il n’aurait pas eu le moindre comportement répréhensible. Partant, il ne saurait constituer un danger pour la sécurité et l’ordre publics.

Dans son mémoire en duplique, le représentant étatique relève d’abord qu’il n’existerait aucun texte légal en vertu duquel le ministre de la Justice serait obligé d’informer un administré de sa faculté de consulter son dossier.

Par ailleurs, en ce qui concerne une prétendue violation de l'article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, il soutient qu’en l’espèce le ministre n’aurait pas pris une 6 décision en dehors de l’initiative de la partie concernée, dans la mesure où le demandeur a sollicité pouvoir bénéficier d’une procédure relative à la détermination du statut de réfugié et que, de toute façon, il y aurait eu péril en la demeure, au vu des faits extrêmement graves commis par le demandeur, déchargeant le ministre de la Justice du respect de l’obligation prévue par l’article 9 en question.

En ce qui concerne une prétendue violation de l’article 11 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, le représentant étatique fait valoir qu’en l’absence d’une demande afférente présentée par le demandeur, le ministre de la Justice n’était pas obligé de lui faire parvenir une copie intégrale de son dossier administratif.

Les dispositions de l’article 12 du règlement grand-ducal précité de 1979 auraient été respectées par le ministre dans la mesure où celui-ci a indiqué dans ses décisions ministérielles déférées les éléments d’information sur lesquels il s’est basé.

Enfin, en ce qui concerne l’appréciation de la gravité des infractions commises par le demandeur, le délégué du gouvernement estime qu’il ne serait pas requis que le demandeur ait été condamné par un tribunal à des peines criminelles au sens du code pénal luxembourgeois et que par ailleurs les seules condamnations figurant dans l’extrait du casier judiciaire allemand daté du 23 juin 1999 suffiraient pour décider que le demandeur tombe sous le champ d’application de l’article 1.F. b) de la Convention de Genève, notamment en ce qu’il a commis les crimes de “ gefährliche Körperverletzung in 2 Fällen und wegen vorsetzlichen Vollrausches ” et “ gemeinschaftlicher schwerer Raub ”.

En vertu de l’article 1er, F. de la Convention de Genève, “ les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (…) b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ; (…) ”.

Cette disposition de droit international a pour objet d’exclure du champ d’application de la Convention de Genève les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays dans lequel ils ont introduit une demande en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de ladite convention. Au cas où cette exclusion est décidée par les autorités compétentes, qui doivent à cet effet vérifier si les conditions d’application dudit article 1. F. b) sont remplies dans le cas d’espèce, elle a pour effet de rendre inapplicable la loi précitée du 3 avril 1996 qui comprend, au niveau national, les mesures d’application de ladite convention, texte de droit international d’essence supérieure à la loi nationale, en déterminant la procédure qui est applicable aux personnes qui, d’après ladite Convention de Genève, ont valablement pu introduire une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique devant les autorités nationales. Cet objectif découle d’ailleurs de l’article 1er de la loi précitée de 1996, en ce que celui-ci dispose que “ les dispositions de la présente loi s’appliquent exclusivement aux personnes qui sollicitent le statut de réfugié au sens de la [Convention de Genève] ”. Partant, une personne qui, en vertu de la Convention de Genève elle-même, est exclue du champ d’application de celle-ci, ne saurait être visée par la loi précitée du 3 avril 1996.

Il échet partant d’analyser en l’espèce si c’est à bon droit que le ministre de la Justice a fait application de l’article 1. F. b) de la Convention de Genève. A cet effet, il a dû vérifier si les quatre critères prévus par la disposition en question étaient remplis au moment où il a 7 statué, à savoir, l’existence d’indices suffisants quant à la commission d’un crime grave, c’est-

à-dire l’existence d’une infraction punie par les juridictions compétentes d’un Etat autre que le Luxembourg par une peine d’une certaine gravité, la qualification du crime grave comme constituant une infraction de droit commun, à l’exclusion des infractions politiques, la commission de cette infraction en dehors du Luxembourg ainsi que le fait que l’infraction elle-

même doit avoir été commise avant la reconnaissance par le Luxembourg du statut de réfugié à la personne en question.

En l’espèce, seul le premier critère donne lieu à discussion par les parties à l’instance, et il n’est pas contesté que les trois autres critères ci-avant énumérés sont remplis dans le chef du demandeur. Le ministre de la Justice, pour retenir qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un demandeur d’asile a commis un crime grave, au sens de l’article 1. F. b) de la Convention de Genève, peut se baser, d’une part, sur des faits ayant fait l’objet d’une décision juridictionnelle retenant les faits en question comme constituant des infractions au sens des dispositions légales applicables et, d’autre part, sur d’autres éléments pertinents et concluants qui lui permettent d’en tirer une présomption de commission par le demandeur d’asile de crimes graves à l’étranger.

En l’espèce, il ressort de la décision critiquée du 28 juin 1999, que le ministre s’est référé aux “ nombreuses condamnations pénales pour crimes graves en Allemagne, dont “ gemeinschaftlicher schwerer Raub ”(condamnation du 1.10.1992 par le Landgericht Berlin à 1 an et 9 mois d’emprisonnement), “ Beihilfe zur illegalen Einreise ”(condamnation du 26.08.1996 par l’AG Pasewalk à 12 mois d’emprisonnement) et “ gefährliche Körperverletzung in 2 Fällen und wegen vorsätzlichen Vollrausches ” (condamnation du 17.09.1994 par le Landgericht Berlin à 3 ans d’emprisonnement) ”.

Il ressort du dossier administratif que les faits précités ressortent par ailleurs d’un extrait du casier judiciaire émis en date du 23 juin 1999 par le “ Generalbundesanwalt beim Bundesgerichtshof ”, avec toutefois la nuance que le jugement de l’Amtsgericht Pasewalk date non pas du 26 août 1996 mais du 26 août 1993 et que le jugement du Landgericht Berlin date non pas du 17 septembre 1994 mais du 19 mai 1994. Ledit extrait du casier judiciaire contient encore la mention qu’en date du 16 avril 1997, le demandeur a fait l’objet d’une décision d’expulsion par le “ Landeseinwohneramt Berlin ”, d’une décision de refoulement du même “ Landeseinwohneramt Berlin ” en date du 9 juillet 1998 ainsi que d’une condamnation en date du 24 février 1998 par le “ Amtsgericht Berlin-Tiergarten ” pour “ üble Nachrede ”.

Le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, se limite à la vérification de la légalité et de la régularité formelle de l’acte administratif attaqué.

L’appréciation des faits échappe au juge de la légalité, qui n’a qu’à vérifier l’exactitude matérielle des faits pris en considération par la décision. Le juge ne peut que vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute (trib. adm. 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, II Pouvoirs du juge, n° 8, page 305 et autres références y citées). La mission du juge de la légalité exclut le contrôle des considérations d’opportunité à la base de l’acte administratif attaqué (trib. adm. 11 juin 1997, n° 9583 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, II Pouvoirs du juge, n° 9, page 306, et autres références y citées).

8 En l’espèce, les condamnations pénales auxquelles s’est référé le ministre de la Justice dans sa décision du 28 juin 1999 ressortent à suffisance de droit de l’extrait du casier judiciaire précité et l’exactitude matérielle des faits en question ne saurait partant être mise en doute. Par ailleurs, le ministre de la Justice a valablement pu se baser sur ces faits pour décider l’exclusion d’une personne de la Convention de Genève, en vertu de l’article 1er, F. b) de celle-ci. Il n’a partant pas commis d’erreur manifeste d’appréciation des faits.

Les décisions ministérielles critiquées étant justifiées par la référence faite aux condamnations pénales y citées, il n’y a pas lieu de prendre position par rapport aux autres faits auxquels il est fait référence dans la décision du 28 juin 1999 par renvoi à un rapport du service de police judiciaire daté du 19 mars 1999 et aux moyens afférents développés par le demandeur.

Quant au moyen tiré d’une prétendue violation du guide des procédures notamment du point de vue de la définition du crime grave qui y serait prévue, en ce que le ministre a retenu des infractions en tant que crimes graves au sens de la Convention, alors que les infractions en question ne devraient pas être ainsi qualifiées dans la mesure où le guide des procédures qualifierait seulement de crimes graves le “ meurtre ou [toute] autre infraction que la loi punit d’une peine très grave ”, il échet de constater que le guide des procédures ne s’est pas vu conférer de force obligatoire, de sorte que sa violation éventuelle ne saurait être invoquée comme moyen de nullité d’une décision ministérielle portant exclusion d’un demandeur d’asile du champ d’application de la Convention de Genève (cf. trib. adm. 27 février 1997, n°9596 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, I Réfugiés, n° 11, page 102 et autres références y citées).

Par ailleurs, il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire, de droit international ou de droit national, en vertu de laquelle le ministre devrait mettre en balance la gravité du ou des crimes commis par le demandeur d’asile avec le risque de persécution que le demandeur d’asile peut craindre d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine.

Il ne ressort pareillement pas d’une disposition de droit international ou national que le ministre serait obligé de tenir compte du fait que le demandeur d’asile a purgé sa peine avant d’entrer sur le territoire luxembourgeois ou du fait que les peines auxquelles le demandeur d’asile a été condamné à l’étranger devraient constituer des peines criminelles au sens du code pénal luxembourgeois.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les moyens tirés, d’une part, de l’exclusion erronée du demandeur du champ d’application de la Convention de Genève, et, d’autre part, de la non application erronée de la loi précitée du 3 avril 1996 sont à rejeter.

Du fait de l’inapplicabilité de la loi précitée du 3 avril 1996, il y a également lieu de rejeter les moyens tirés de la violation des articles 3, 4 et 5 de la loi précitée de 1996.

Quant à une prétendue violation de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, il échet de constater que, d’une part, contrairement aux allégations du demandeur, cette disposition réglementaire n’exige ni la “ mention ” ni la communication des avis des organismes consultatifs et, d’autre part, cette question ne saurait se poser qu’au cas où un avis aurait dû être rendu par la commission consultative pour les réfugiés ce qui, du fait de 9 l’inapplicabilité de la loi précitée du 3 avril 1996, n’est pas le cas en l’espèce. Partant, ce moyen doit être rejeté.

En ce qui concerne la prétendue non communication du rapport du service de police judiciaire du 19 mars 1999, erronément qualifié par le demandeur comme portant la date du 13 mars 1999, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient qu’il n’existerait aucune prescription légale ou réglementaire exigeant la communication préalable d’un tel rapport en l’absence de toute demande afférente présentée par le demandeur qui, de toute façon, avait le droit de prendre connaissance de l’intégralité de son dossier administratif tenu par le ministre de la Justice, conformément à l’article 11 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.

Par ailleurs, en ce qui concerne le moyen soulevé par le demandeur et tiré d’une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de constater qu’il n’appartient pas au tribunal administratif d’analyser une éventuelle atteinte portée par le ministre de la Justice au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cadre d’un litige portant sur l’exclusion du demandeur du champ d’application de la Convention de Genève. En effet, le simple fait de tomber dans le champ d’application de la disposition de droit international précitée n’autorise une personne ni à se voir inclure dans le champ d’application de la Convention de Genève ni surtout à se voir reconnaître le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève en question. Ce moyen doit partant être rejeté alors qu’il est étranger à la matière faisant l’objet des décisions ministérielles incriminées.

Enfin, quant à la violation globale des articles 9, 11 et 12 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, en ce que le ministre de la Justice n’aurait pas informé le demandeur de sa faculté de consulter son dossier et ne lui aurait pas communiqué les pièces en faisant partie, tel que ce moyen a été soulevé dans le mémoire en réplique du demandeur, il échet de constater, d’une part, que l’article 9 ne saurait s’appliquer au cas d’espèce, alors que les décisions incriminées n’ont pas pour objet “ de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie ” et que le ministre n’avait pas l’intention “ de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée ”, alors que les décisions déférées constituent l’aboutissement d’une procédure initiée par le demandeur lui-même, dans la mesure où il a introduit une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, et partant les décisions sous analyse ne tombent pas sous le champ d’application de l’article 9 en question et, d’autre part, que les articles 11 et 12 ne contiennent aucune obligation à charge du ministre pour informer le demandeur de sa faculté de consulter son dossier administratif ou d’obtenir communication des pièces y figurant. Ce moyen doit donc également être rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

10 écarte des débats le mémoire déposé par le mandataire du demandeur au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2000 ainsi que le mémoire déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2000 ;

au fond déclare le recours en annulation non justifié et partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 25 mai 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11717
Date de la décision : 25/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-25;11717 ?

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