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24/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11958

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 mai 2000, 11958


N° 11958 du rôle Inscrit le 28 avril 2000 Audience publique du 24 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11958 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2000 par Maître Pierre FELTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Nathalie BORON, avocat, inscrit au prédit tableau, au

nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuel...

N° 11958 du rôle Inscrit le 28 avril 2000 Audience publique du 24 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11958 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2000 par Maître Pierre FELTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Nathalie BORON, avocat, inscrit au prédit tableau, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 17 novembre 1999, notifiée le 27 janvier 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 27 mars 2000 intervenue sur recours gracieux du 24 février 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2000 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Franca ALLEGRA, en remplacement de Maître Pierre FELTGEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … AGOVIC, né le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit en date du 31 mai 1999 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du 31 mai 1999 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 1er juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 20 juillet 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur AGOVIC, par lettre du 17 novembre 1999, notifiée en date du 27 janvier 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par courrier de son mandataire datant du 24 février 2000, Monsieur AGOVIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 17 novembre 1999.

Ce recours gracieux fut rejeté par une décision confirmative de la décision initiale, datée du 27 mars 2000.

Par requête du 28 avril 2000, Monsieur AGOVIC a introduit un recours en annulation contre les décisions précitées des 17 novembre 1999 et 27 mars 2000. - Il convient de relever que, dans le dispositif de sa requête introductive, le demandeur sollicite en outre l’octroi du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il tend à la réformation des décisions attaquées au motif que la loi ne prévoirait pas un recours au fond en matière de demandes d’asile refusées comme étant manifestement infondées.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Il s’ensuit que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande formulée par le demandeur tendant à l’octroi du statut de réfugié politique, laquelle s’analyse en une demande en réformation des décisions ministérielles litigieuses. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib.

2 adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 5, page 310, et autres références y citées).

Le recours en annulation à l’encontre des décisions ministérielles litigieuses ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur sollicite l’annulation des décisions attaquées « pour violation de la loi, et pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir quitté son pays d’origine, en l’occurrence le Monténégro, parce « qu’il avait peur que le Monténégro ne connaisse la même crise que le Kosovo, la Croatie et la Bosnie ». Dans ce contexte, il expose qu’il aurait été chassé par l’armée de l’université qu’il fréquentait et « que cette situation de fortes pressions lui est apparue dangereuse [et l’a] contraint de quitter son pays ». - Il ajoute qu’il craindrait pour sa personne, d’une part, en raison « de son appartenance à la population musulmane, d’ailleurs il ne peut plus pratiquer librement sa religion sans crainte de représailles » et, d’autre part, parce qu’il serait inscrit sur la liste des réservistes et qu’il a fui son pays. Quant à ce dernier point, il estime « que le fait de quitter son pays dans de telles circonstances alors qu’il savait pertinemment qu’il pourrait être appelé par l’armée serait à qualifier de désertion [et] que de tels faits, qui sont dans tous les pays punissables, sont certainement sanctionnés avec plus de disproportions par le régime en place à l’heure actuelle ».

Sur ce, il reproche au ministre d’avoir fait un examen superficiel et insuffisant des faits, d’avoir omis de prendre en considération les craintes réelles de persécution alléguées résultant à la fois de son appartenance à la population musulmane et également de sa désertion.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

Il soutient encore que le demandeur ferait uniquement état de la situation générale régnant dans son pays d’origine et omettrait de faire état d’un quelconque élément subjectif en rapport avec sa crainte de persécution et que la prétendue désertion ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

3 Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou manifestement dénués de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur AGOVIC a affirmé avoir quitté son pays d’origine parce que « dans mon village qui se trouve à 10-15 kilomètres du Kosovo, on a vu tous les réfugiés, les réservistes, l’armée qui ont traversé notre village. J’ai peur que ma région connaisse la même crise que celle du Kosovo, de la Croatie, de la Bosnie. Je suis conscient que je serai obligé de faire le service militaire si j’étais encore en Yougoslavie et ni moi ni mes frères ne voulons faire l’armée ». Il a encore affirmé qu’il avait peur de la guerre. Interrogé sur la question de savoir si cette peur était liée à ses opinions politiques, religieuses ou à son groupe social ou national, il a répondu qu’il avait peur parce qu’il est musulman « habitant cette région du Monténégro ».

Lors de son audition, le demandeur a en outre exposé qu’il a été étudiant en électro-

technique section électrotechnique et télécommunication à Pristina, qu’il a fait son service militaire en 1994-1995 en Serbie dans l’artillerie, qu’il était inscrit sur la liste de la réserve, qu’il n’avait pas encore reçu d’appel à la réserve ou de convocation devant un tribunal militaire et concernant les sanctions qu’il craignait, il a répondu que « je risque sûrement quelque chose mais je ne sais pas exactement quoi ».

Le tribunal constate, d’une part, que le demandeur base ses craintes de persécution sur la situation générale existant dans son pays d’origine, à savoir le Monténégro, respectivement dans le pays voisin, à savoir le Kosovo, et sur sa religion musulmane, sans apporter davantage de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de cette situation et de sa religion. Ainsi, il ne précise pas en quoi sa situation particulière ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il ferait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. Les autorités luxembourgeoises ont partant été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant au Monténégro, sa situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement s’il a raison de craindre d’être persécuté.

D’autre part, en ce qui concerne sa prétendue désertion, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que la qualité de déserteur du demandeur restait purement 4 hypothétique, étant donné qu’elle n’est établie par aucun élément du dossier et que le demandeur a lui même admis qu’il est parti du Monténégro avant d’avoir reçu un appel à la réserve et qu’il a précisé ne pas en avoir reçu par la suite. - Par ailleurs, ni la désertion ni l’insoumission ne constituent, à elles seules, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur AGOVIC comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par lui est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions attaquées;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 24 mai 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11958
Date de la décision : 24/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-24;11958 ?

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