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24/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11956

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 mai 2000, 11956


Numéro 11956 du rôle Inscrit le 28 avril 2000 Audience publique du 24 mai 2000 Recours formé par Madame … SABOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11956 du rôle, déposée le 28 avril 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SABOTI

C, de nationalité yougoslave, née le … à … (Monténégro), demeurant actuellement à ...

Numéro 11956 du rôle Inscrit le 28 avril 2000 Audience publique du 24 mai 2000 Recours formé par Madame … SABOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11956 du rôle, déposée le 28 avril 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SABOTIC, de nationalité yougoslave, née le … à … (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 mars 2000 confirmant sur recours gracieux sa décision du 5 janvier 2000 déclarant sa demande d’octroi du statut de réfugié politique manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2000;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 20 janvier 1999, Madame … SABOTIC, née le … à … (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame SABOTIC fut entendue en date du 23 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 20 septembre 1999, le ministre de la Justice informa Madame SABOTIC, par lettre du 5 janvier 2000, notifiée en date du 31 janvier 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par courrier de son mandataire datant du 22 février 2000, Madame SABOTIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 5 janvier 2000.

Ce recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative datant du 27 mars 2000, Madame SABOTIC fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 27 mars 2000.

Etant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse soutient en premier lieu que la décision litigieuse serait contraire à l’article 8 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 29 août 1953, ci-après dénommée « la Convention », en ce que seuls ses parents vivraient encore en ex-Yougoslavie sous l’observation stricte des autorités serbes, tandis que son frère Edin SABOTC résiderait avec sa famille au Luxembourg. Elle affirme qu’elle souhaiterait rester avec sa famille qui se trouve sur le territoire du Grand-Duché et que son frère serait en mesure d’assurer sa subsistance et son hébergement, vu qu’elle résiderait d’ores et déjà chez lui.

Le délégué du Gouvernement rétorque que ce moyen serait sans pertinence, étant donné que la décision ministérielle déférée fut prise sur base de la seule Convention de Genève et que la circonstance que la demanderesse ait pu retrouver son frère au Luxembourg ne saurait dès lors énerver la légalité du refus matérialisé par la décision déférée du 27 mars 2000.

L’article 8 de la Convention dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Les décisions en matière de statut de réfugié politique sont relatives à la reconnaissance d’une protection personnelle en faveur de personnes justifiant de craintes raisonnables de persécution au sens de la Convention de Genève. Tandis qu’une décision de reconnaissance du statut de réfugié politique a l’effet de conférer à son bénéficiaire un titre pour séjourner sur le territoire luxembourgeois, une décision de refus de reconnaissance de ce même statut, pour défaut de satisfaire aux critères y afférents prévus par la Convention de Genève, ne saurait entraîner per se pour la personne concernée l’obligation de quitter le Grand-Duché. Si la reconnaissance du statut de réfugié politique est en effet une des bases possibles pour une personne qui est ressortissant d’un Etat non membre de l’Espace Economique Européen afin d’obtenir le droit de séjourner dans le pays, ce même droit est régi par d’autres dispositions légales et réglementaires, dont notamment la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère. L’article 8 de la Convention, relatif au droit de séjour en raison du regroupement familial, ne saurait dès lors influer en principe sur les critères de reconnaissance du statut de réfugié politique, régis par la seule Convention de Genève.

Il n’en reste pas moins que l’unité de la famille est aussi prise en compte dans le cadre de la Convention de Genève en ce sens que, dès lors que le chef de famille satisfait aux critères fixés par ladite convention, les membres de sa famille qui font partie de son ménage et qui se trouvent à sa charge sont susceptibles de se voir également reconnaître le statut de réfugié politique (trib. adm. 12 janvier 2000, Sabotic, n° 11585, non encore publié).

En l’espèce, la demanderesse, actuellement âgée de 28 ans, n’établit pas que l’unité familiale dont elle fit partie dans son pays d’origine fut dissoute et que son frère devrait être considéré comme le chef de cette unité familiale, étant donné que ses parents, voire d’autres membres de sa famille vivent toujours en Yougoslavie. Elle laisse également de prouver qu’elle se trouverait à charge de son frère en raison de son incapacité de subvenir à ses propres besoins, la simple cohabitation sous le même toit étant insuffisante pour considérer une personne comme étant à charge d’un autre membre de sa famille.

Il s’ensuit que l’article 8 de la Convention ne saurait énerver la légalité de la décision entreprise et que le premier moyen laisse d’être fondé.

La demanderesse affirme en second lieu avoir fait l’objet de lettres de menaces quand elle résidait encore en Yougoslavie en raison de son appartenance à la minorité de la religion musulmane et avoir dû quitter l’école sans pouvoir trouver un emploi ou une place d’apprentissage, de manière à ne pas avoir pu subvenir à ses besoins et être restée à charge de ses parents. Elle relève encore que les autorités serbes lui auraient retiré son passeport en vue de son remplacement, mais qu’elle ne se serait jamais vue attribuer un nouveau passeport.

Elle conclut dès lors avoir établi dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou des opinions politiques et pouvoir prétendre au statut de réfugié politique, et indique ne pas souhaiter retourner dans un pays où elle serait menacée et où le libre exercice de sa religion ne serait pas assuré.

3 Le délégué du Gouvernement estime que la demanderesse se réfère à la situation générale régnant dans son pays d’origine, qui ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié politique, sans invoquer de crainte réelle de persécution pour une des raisons visées par la Convention de Genève, de manière à ce que le ministre aurait fait une saine appréciation de la demande d’asile lui soumise en la rejetant comme manifestement infondée.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou manifestement dénués de fondement.

Il convient en premier lieu de relever que le ministre, saisi d’un recours gracieux, statue au vu du dossier intégral qui lui est présenté et ne saurait faire abstraction, pour apprécier notamment la crédibilité des faits invoqués, des déclarations initiales faites par le demandeur, au motif que d’autres faits ont été portés à sa connaissance dans le cadre du recours gracieux.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro.

En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, la demanderesse a affirmé avoir quitté son pays d’origine en raison de sa « peur que la guerre va éclater là-bas. Dans ma ville, il y a beaucoup de serbes qui ont déjà fait la guerre en Bosnie et au Kosovo. Ils ont raconté partout que pendant ces guerres ils avaient violé les femmes, maltraité les gens etc. ». Alors même qu’elle a déclaré avoir peur des serbes et que cette peur serait liée à ses opinions politiques, religieuses ou à son appartenance à un groupe social ou national en ce que « les serbes veulent que les musulmans quittent la région », elle a répondu clairement par la négative à la question si elle avait personnellement subi des persécutions. Les affirmations de la demanderesse quant aux menaces proférées à son encontre, à l’arrêt de sa scolarité et sa situation professionnelle et 4 patrimoniale, ainsi qu’au retrait de son passeport restent à l’état de pure allégation et sans relation dûment établie avec un des motifs de persécution visés par la Convention de Genève.

Il résulte de l’ensemble des éléments soumis au tribunal, tels qu’ils résultent de l’audition de la demanderesse, de son recours gracieux, ainsi que de la procédure contentieuse que la demanderesse reste en défaut d’invoquer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance à savoir le Monténégro.

La demande d’asile ne reposant dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par la demanderesse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mai 2000 par:

Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11956
Date de la décision : 24/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-24;11956 ?

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