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10/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11923

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2000, 11923


N° 11923 du rôle Inscrit le 13 avril 2000 Audience publique du 10 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … BABACIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11923 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABACIC, né le … à …, (Monténégro), de nationali...

N° 11923 du rôle Inscrit le 13 avril 2000 Audience publique du 10 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … BABACIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11923 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABACIC, né le … à …, (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2000, lui notifiée le 26 janvier 2000, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que, pour autant que de besoin, contre une décision confirmative du 15 mars 2000 intervenue sur recours gracieux du 26 février 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2000 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom de Monsieur … BABACIC ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2000.

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Le 30 novembre 1998, Monsieur … BABACIC, né le … à …, (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur BABACIC fut entendu en date du 2 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 20 septembre 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur BABACIC, par lettre du 5 janvier 2000, notifiée en date du 26 janvier 2000 que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ”.

Par courrier de son mandataire datant du 26 février 2000, Monsieur BABACIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 5 janvier 2000.

Ce recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative datant du 15 mars 2000, Monsieur BABACIC a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 5 janvier et 15 mars 2000.

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation est dès lors recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir quitté son pays d’origine, en l’occurrence le Monténégro, à la suite d’une crainte légitime d’avoir à subir des répressions violentes et injustes de la part des autorités policiaires et militaires serbes, ainsi que d’avoir à participer à des exactions auxquelles il refusait de s’associer et qui seraient par ailleurs condamnées par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires. Il expose à cet effet avoir réussi dans un premier temps de se soustraire provisoirement au service militaire moyennant le paiement d’une somme très importante au motif qu’il aurait été inapte au service, mais qu’il aurait été appelé à nouveau à l’armée quelques années plus tard et qu’en vue d’échapper à de mauvais traitement, subis de la part des autorités serbes en raison de son appartenance à la population bosniaque et de sa confession musulmane, tant au niveau de l’accès à l’emploi que de l’éducation, il aurait d’abord quitté son pays d’origine en destination du Kosovo. Il signale ensuite que quelques années plus tard, la police et l’armée serbes se seraient rendus régulièrement chez ses parents afin de l’enrôler à l’armée et qu’à ces occasions ses parents auraient fait l’objet de perquisitions domiciliaires, de menaces et d’intimidations de la part de la police serbe, au motif que leur fils aurait dû se rendre à l’armée. Il expose encore qu’après avoir été caché par ses amis, il aurait trouvé un nouveau travail dans une société de construction au Kosovo, mais que, par la suite, son patron serbe l’aurait licencié sans indemnisation et sans préavis et aurait menacé de le dénoncer à la police. Dans la mesure où ses parents lui auraient déconseillé de retourner dans sa ville natale, étant donné qu’en cas de retour il devrait se rendre à l’armée suite à une convocation afférente, il aurait pris l’initiative de venir au Luxembourg pour y présenter une demande en obtention du statut de réfugié politique.

Il fait valoir que son refus d’accomplir le service militaire et de participer à des actions militaires contraires à ses convictions politiques, religieuses ou des raisons de conscience valables, lui vaudrait un “ traitement dangereux, voire inimaginable en raison des représailles qu’exerceraient les autorités serbes ”, qu’en raison de son insoumission il risquerait d’être condamné à une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison et que sa désertion serait certainement analysée par les autorités de son pays d’origine comme l’expression d’une conviction politique contraire aux intérêts en place, de sorte que le risque d’être victime de persécutions susceptibles de lui rendre la vie intolérable dans son pays d’origine serait établi dans son chef.

Le délégué du Gouvernement relève que l’affirmation du demandeur de s’être soustrait dans un premier temps au service militaire, mais d’avoir été appelé de nouveau quelques années plus tard, se trouverait en flagrante contradiction avec ses déclarations lors de son audition du 2 août 1999, dans la mesure où il y affirme ce qui suit “ je n’ai pas dû faire mon service étant donné que je suis sourd sur l’oreille droite. On ne m’a pas pris ”. Il signale encore que le demandeur n’aurait pas invoqué lors de son audition son refus de s’associer à des actions militaires serbes, de sorte que là encore il serait difficilement crédible.

Concernant plus particulièrement les déclarations du demandeur relatives à son lieu de séjour avant son départ pour le Luxembourg, le représentant étatique relève que l’affirmation qu’il aurait vécu au Kosovo avant son départ se trouverait en flagrante contradiction avec ses déclarations antérieures, selon lesquelles il aurait vécu à Podgorica chez ses parents, qu’il y aurait fait des études d’électro-mécanique et qu’il n’aurait quitté cette ville qu’une semaine avant d’avoir déposé sa demande d’asile au Luxembourg.

Il déduit de ces considérations que ce serait dès lors à juste titre que la commission consultative pour les réfugiés a relevé que le demandeur a exposé avoir quitté son pays essentiellement à cause de problèmes économiques et politiques et qu’il estime que les nouveaux arguments avancés tant dans le cadre du recours gracieux qu’en phase contentieuse, qui seraient contredits en partie par le dossier administratif, ne seraient pas de nature à énerver cette conclusion.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir qu’un recours gracieux aurait pour vocation de compléter les moyens non invoqués par le demandeur dans sa demande initiale et de soumettre ceux-ci à la connaissance de l’autorité décisionnelle, de sorte que l’on ne pourrait lui reprocher de ne pas avoir porté d’emblée à la connaissance du ministre ses craintes liées à la convocation à l’armée serbe et le risque d’une condamnation à une peine de vingt ans d’emprisonnement par les tribunaux serbes. Il conteste par ailleurs le fait d’avoir vécu à Podgorica chez ses parents une semaine avant d’avoir déposé sa demande d’asile au Luxembourg, tel que cela est relaté dans le rapport d’audition du service de la police judiciaire daté du 2 décembre 1998 et il signale à cet égard que ledit rapport ne comporterait pas son contreseing.

Il estime encore que la décision déférée serait dépourvue de base légale en ce que l’appréciation de la notion d’une demande d’asile manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée devrait être analysée au sens des articles 3 et suivants du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, et il fait valoir par ailleurs que l’appréciation de la charge de la preuve dans son chef devrait se faire avec une extrême indulgence, eu égard à la situation globale en Yougoslavie et à la nature des faits à prouver.

Une décision administrative est motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, p. 261, n° 35 et autres références y citées).

Par conséquent, le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles attaquées seraient entâchées d’illégalité pour absence de motivation n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que les décisions du ministre de la Justice des 5 janvier et 15 mars 2000, ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, en en adaptant également les motifs, et qui a été annexé en copie à la décision initiale de manière à en faire partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. – Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 15 mars 2000 ne contient pas de motivation propre, étant donné qu’en l’absence d’éléments nouveaux, il a pu, à bon droit, se borner à renvoyer à la décision initiale, les deux décisions attaquées ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.

L’existence des motifs ayant été vérifiée, il convient encore d’examiner si les décisions ministérielles ne sont pas le résultat d’une mauvais appréciation de la situation personnelle du demandeur.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement (…) ”.

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou manifestement dénués de fondement.

Il convient en premier lieu de relever que le ministre, saisi d’un recours gracieux, statue au vu du dossier intégral qui lui est présenté et ne saurait faire abstraction, pour apprécier notamment la crédibilité des faits invoqués, des déclarations initiales faites par le demandeur, au motif que d’autres faits ont été portés à sa connaissance dans le cadre du recours gracieux.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir le Monténégro. – En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur BABACIC a affirmé avoir quitté son pays d’origine “ à cause de problèmes politiques et économiques ” en indiquant que “ les musulmans sont une minorité en Yougoslavie. Je n’ai par exemple pas trouvé de travail dans ma profession ”. Lorsque l’agent du ministère de la Justice lui a demandé s’il est principalement venu au Luxembourg pour des problèmes économiques il a répondu “ oui ”, et, interrogé sur la question de savoir s’il avait personnellement subi des persécutions, il a répondu clairement par la négative.

Eu égard au caractère clair et non équivoque de ces déclarations, le tribunal ne peut que constater que les nouveaux arguments présentés par le demandeur dans le cadre de son recours gracieux, ainsi qu’en cours de procédure contentieuse, se trouvent contredits par le dossier administratif globalement considéré, de manière à ne pas emporter sa conviction au regard de la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance à savoir le Monténégro.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur BABACIC comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 10 mai 2000 par le premier juge, délégué à cette fin, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Campill


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11923
Date de la décision : 10/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-10;11923 ?

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