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10/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11748

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2000, 11748


N° 11748 du rôle Inscrit le 28 décembre 1999 Audience publique du 10 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … MUSLIU contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11748 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 1999 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, assisté par Maître Olivier TAMAIN, avocat, inscrits tous les deux au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUSLIU, de nationalité yougoslave, originaire du...

N° 11748 du rôle Inscrit le 28 décembre 1999 Audience publique du 10 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … MUSLIU contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11748 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 1999 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, assisté par Maître Olivier TAMAIN, avocat, inscrits tous les deux au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUSLIU, de nationalité yougoslave, originaire du Kosovo, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 novembre 1999 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative du 15 décembre 1999, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2000 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, déposé par le demandeur le 24 février 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Olivier TAMAIN, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 10 novembre 1998, Monsieur … MUSLIU, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Il fut entendu en date du 10 novembre 1998 par un agent du service de police judiciaire sur l’itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg, ainsi qu’en date du 10 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 22 octobre 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur MUSLIU, par lettre du 4 novembre 1999, notifiée le 11 novembre 1999, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

“ Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ”.

Suite à un recours gracieux, introduit par le mandataire de Monsieur MUSLIU le 3 décembre 1999, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par lettre du 15 décembre 1999, adressée audit mandataire.

Par requête déposée en date du 28 décembre 1999, Monsieur MUSLIU a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées des 4 novembre et 15 décembre 1999.

Le tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Le demandeur estime que les décisions entreprises devraient être réformées “ pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits ”, au motif que le ministre de la Justice aurait procédé à un examen superficiel des faits se trouvant à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, en ce qu’il n’aurait pas pris en considération ses craintes réelles de persécution “ résultant de sa désertion de l’armée de libération du Kosovo ”. Il déclare encore avoir été recherché par la police à la suite de sa participation à des manifestations anti-serbes. Il expose enfin que, d’une manière générale, la situation “ d’après-guerre ” demeurerait très instable, malgré la présence d’une force internationale, et que de ce fait il demeurerait inquiet pour sa sécurité.

Le délégué du gouvernement fait valoir, en reprenant une partie de la motivation se trouvant à la base de l’avis précité de la commission consultative pour les réfugiés, “ que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police sous le contrôle des autorités serbes, à l’origine des exactions et des répressions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire ” et qu’ “ une force internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et [qu’] une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place ”. Il estime que de ce fait il n’y aurait plus d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève au Kosovo et que partant le demandeur ne pourrait plus faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs prévus dans cette même Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient encore, à titre subsidiaire, pour le cas où le tribunal devait estimer qu’il existerait encore des agents de persécution au Kosovo, que le demandeur 2 n’aurait pas invoqué de façon crédible des faits permettant d’établir une crainte de persécution personnelle au sens de la Convention de Genève. Ainsi, le simple fait d’affirmer qu’il aurait été recherché par la police ne suffirait pas pour établir une telle crainte de persécution personnelle, d’autant plus que les affirmations du demandeur faites dans ce contexte seraient peu crédibles, alors qu’il a indiqué au cours de son audition par un agent du ministère de la Justice qu’il n’aurait pas été membre d’un parti politique et qu’il n’aurait pas eu d’opinion politique. Enfin, en ce qui concerne la prétendue désertion du demandeur de l’armée de libération du Kosovo, le représentant étatique estime, d’une part, que cette affirmation serait contredite par les informations fournies par le demandeur au cours de son audition précitée du 10 septembre 1999 et, d’autre part, que cette indication à elle seule ne suffirait pas pour établir une crainte de persécution.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur expose qu’avant de fuir son pays d’origine, il aurait habité dans la ville de Mitrovica, dans un “ quartier actuellement occupé par la désormais nouvelle minorité serbe ” et qu’il serait “ dès lors très difficile pour [lui] d’imaginer revivre dans ce quartier ”, étant donné que la ville de Mitrovica ferait l’objet de confrontations entre les populations serbe et albanaise qui se disputeraient “ une partition de la ville ”. La situation resterait de ce fait très instable dans sa ville d’origine, alors même qu’une force internationale tenterait de contrôler cette zone.

En ce qui concerne sa situation particulière, il soutient avoir “ plusieurs ennemis potentiels ”, en ce que, d’une part, il ne parlerait pas la langue des Serbes et ne partagerait pas leur culture ainsi que leur conviction religieuse et, d’autre part, les Albanais le considéreraient comme un traître “ pour les avoir abandonnés ”.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur MUSLIU lors de son audition du 10 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de 3 son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne les faits invoqués par le demandeur permettant de justifier, à son avis, d’une part, une crainte de persécution par les autorités serbes à la suite de sa participation à des manifestations anti-serbes et, d’autre part, une crainte de persécution de la part des partisans de l’armée de libération du Kosovo à la suite de sa “ désertion ” de ladite armée, il échet de constater que ces faits se sont passés avant son départ du Kosovo en date du 1er novembre 1998 et partant avant l’intervention des forces des Nations Unies au Kosovo.

Comme, à l’heure actuelle, l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle et sous ce point de vue, le demandeur n’explique pas les raisons pour lesquelles il pourrait à l’heure actuelle se voir reprocher devoir participé à des manifestations anti-serbes et pour lesquelles il risquerait de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant à sa prétendue crainte de persécution de la part des partisans de l’armée de libération du Kosovo, le demandeur n’établit ni des actes de persécution commis à son encontre à la suite de sa prétendue désertion de ladite armée ni en quoi il risquerait de subir de tels actes de persécution ni les raisons pour lesquelles il ne pourrait pas rechercher, au cas où il devrait subir de tels actes de persécution, la protection des autorités en place dans son pays d’origine ni encore des éléments de fait permettant d’établir que ces autorités ne seraient pas en mesure ou n’auraient pas la volonté de poursuivre de tels actes. S’y ajoute que le demandeur ne prouve pas que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capable d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo.

Le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-

fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il statue (trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9, p. 310).

En l’espèce, le demandeur allègue qu’il ne pourrait pas rentrer dans sa ville d’origine, à savoir Mitrovica, en raison des affrontements y ayant lieu actuellement entre les populations serbe et albanaise. Toutefois, le demandeur n’apporte dans ce contexte aucun élément ou motif permettant au tribunal de conclure que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place dans la ville de Mitrovica ne soient pas capables d’assurer au demandeur un niveau de protection suffisant dans le cadre de ces affrontements. Par ailleurs, même s’il peut être à l’heure actuelle difficile pour un membre de la communauté albanaise et musulmane du Kosovo habitant dans les quartiers occupés majoritairement par la population serbe de Mitrovica de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité dans cette ville du Kosovo, le demandeur n’apporte toutefois aucun élément permettant d’établir des raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de Mitrovica soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 10 mai 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s.

Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11748
Date de la décision : 10/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-10;11748 ?

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