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10/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11724

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mai 2000, 11724


N° 11724 du rôle Inscrit le 16 décembre 1999 Audience publique du 10 mai 2000 Recours formé par Madame … JUSUFI, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11724 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 1999 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Ma

dame … JUSUFI, née le … à … (Kosovo), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réfor...

N° 11724 du rôle Inscrit le 16 décembre 1999 Audience publique du 10 mai 2000 Recours formé par Madame … JUSUFI, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11724 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 1999 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … JUSUFI, née le … à … (Kosovo), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 novembre 1999, refusant de faire droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2000;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2000 par Maître Louis TINTI au nom de Madame … JUSUFI;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 avril 2000.

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En date du 2 juillet 1998, Madame … JUSUFI, née le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, présenta au Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

A la même date Madame JUSUFI fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le 22 octobre 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable au sujet de cette demande.

Par décision du 4 novembre 1999, notifiée le 16 novembre 1999, le ministre de la Justice informa Madame JUSUFI de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

“ Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.

Par requête déposée le 16 décembre 1999, Madame … JUSUFI a introduit un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 4 novembre 1999.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’elle remplirait les conditions prévues par la Convention de Genève. Elle expose à cet effet être originaire du Kosovo et y avoir été membre actif du parti d’opposition LDK pour avoir participé à de nombreuses manifestations contre le pouvoir en place, ainsi que contre la politique du président Milosevic, politique qui, à ses yeux, serait “ toujours aujourd’hui interprétée comme étant de nature à porter gravement atteinte à la sécurité du peuple musulman composant la région du Kosovo ”. Elle indique plus particulièrement avoir été le “ bras droit ” du président de la section locale de la LDK, ceci en raison de son dévouement particulier pour la cause défendue par la LDK, mais aussi parce qu’elle aurait disposé d’un véhicule permettant de faciliter le déplacement de certains membres lors des réunions et de déposer rapidement au siège du parti à Mitrovica les procès-verbaux des réunions qui étaient tenues. Elle signale encore que les nombreux déplacements ainsi allégués auraient été fréquemment interrompus par les contrôles de la police serbe et qu’un mois après son arrivée au Luxembourg, sans préjudice quant à la date exacte, cette même police serbe se serait déplacée à son domicile avec apparemment l’intention de la questionner précisément sur ses activités au sein de la LDK. Elle déduit de cet incident que l’ampleur de ses activités au sein de la LDK avait été portée à la connaissance des autorités serbes et que ce fait serait de nature à renforcer ses craintes de voir sa vie en danger dans son pays d’origine, ceci eu égard notamment à la considération que la localité de Mitrovica dont elle est originaire ferait toujours l’objet de “ règlements de comptes ” à connotation politique.

2 Dans la mesure où son activité au sein de la LDK trahirait de façon claire et non équivoque son engagement politique, celui-ci serait susceptible de lui être reproché en cas de retour dans son pays d’origine au point que sa vie serait mise en danger. Elle soutient que ce danger trouverait son origine dans les “ mesures de représailles ” émanant des personnes se revendiquant du “ clan serbe ” ou encore de celles se revendiquant de celui de l’UCK, de sorte que ce serait à tort que la qualité de réfugié au sens de la Convention de Genève lui a été refusée. La demanderesse fait encore valoir qu’il existerait à l’heure actuelle de nombreux foyers de tension dans son pays d’origine, notamment à Mitrovica, et que des personnes ayant joué un rôle actif dans la résistance seraient régulièrement assassinées, sans que l’on ne pourrait douter de la motivation de tels actes.

Le délégué du Gouvernement estime que c’est à juste titre que la commission consultative pour les réfugiés a constaté que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police sous le contrôle des autorités serbes, à l’origine des exactions et des répressions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire, qu’une force internationale agissant sous l’égide des Nations Unies s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile placée sous l’autorité des Nations Unies a été mise en place. Il en déduit que les activités de la demanderesse, même à les supposer établies, ne sauraient être perçues comme donnant lieu à des actes de persécution par les autorités serbes pour la simple raison qu’il n’y aurait plus d’autorités serbes au Kosovo et qu’il n’existerait dès lors plus d’agents répresseurs au sens de la Convention de Genève dans ce pays. Il relève en outre que ni le “ clan serbe ”, ni l’UCK ne sauraient être perçus comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci dans la mesure où les forces internationales ne pourraient être accusées de tolérer sciemment des persécutions au sens de la Convention de Genève au Kosovo. A titre subsidiaire, le représentant étatique estime que les activités de Madame JUSUFI au sein de la LDK, à les supposer établies, n’auraient pas été d’une importance telle qu’elle devrait craindre d’avoir des problèmes quelconques en cas de retour au Kosovo, alors qu’elle n’aurait été que simple chauffeur au sein de la LDK, poste qui devrait être qualifié d’une importance mineure.

Dans son mémoire en réplique la demanderesse insiste sur la nature des fonctions par elle exercées au sein de la LDK ayant consisté à transporter des documents émanant des autorités politiques du parti. Concernant plus particulièrement le degré de son implication dans les activités du LDK, elle précise que son rôle ne se serait pas limité à conduire un véhicule, mais aussi et surtout à transporter des documents qui, dans le contexte conflictuel qui régnait dans la province du Kosovo au moment de son départ, aurait présenté un caractère compromettant, de nature à mettre sa vie en péril. Elle estime dès lors qu’étant de confession musulmane, son double engagement, religieux et politique, serait raisonnablement à considérer comme ayant été de nature à mettre en danger sa vie, alors qu’il aurait été indubitablement interprété par les autorités en place comme une expression politique inacceptable. Quant au caractère actuel de la notion de danger, la demanderesse réplique que force serait de constater, notamment dans la région de Mitrovica, que les forces internationales seraient actuellement dans l’incapacité d’assurer une réelle sécurité pour les résidents de cette zone géographique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas 3 de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par Madame JUSUFI lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans les rapport et compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne les faits invoqués par la demanderesse permettant de justifier, à son avis, une crainte de persécution par les autorités serbes à la suite de son engagement politique au sein de la LDK, il échet de constater que cette crainte se rapporte essentiellement à une époque qui se situe avant l’intervention des forces des Nations Unies au Kosovo. Comme l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle.

Le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-

fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il statue (trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en réformation, n° 9).

A travers la motivation de son recours, la demanderesse se prévaut en substance d’un risque de persécutions de la part d’un groupe de la population à son encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine face à ces actes de persécution.

Une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est 4 qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo. Elle reste par ailleurs en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles elle pourrait à l’heure actuelle se voir reprocher son engagement politique anti-serbe et pour lesquelles elle risquerait de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.

La demanderesse se prévaut encore plus particulièrement de l’incapacité des forces internationales d’assurer une réelle sécurité dans la région de Mitrovica pour soutenir qu’elle ne pourrait pas rentrer dans sa ville d’origine, en raison des affrontements y ayant lieu actuellement. A cet égard, il y a lieu de relever que même s’il peut à l’heure actuelle être difficile pour un membre de la communauté musulmane et albanaise du Kosovo, originaire de la région de Mitrovica, de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité dans cette ville, la demanderesse reste en défaut d’établir des raisons pour lesquelles elle ne serait pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de Mitrovica, soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 2000 par:

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11724
Date de la décision : 10/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-10;11724 ?

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