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03/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11657

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 mai 2000, 11657


N° 11657 du rôle Inscrit le 11 novembre 1999 Audience publique du 3 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … SHALA et Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11657 du rôle, déposée le 11 novembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SHAL

A et de son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave et ressortissants albana...

N° 11657 du rôle Inscrit le 11 novembre 1999 Audience publique du 3 mai 2000

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Recours formé par Monsieur … SHALA et Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11657 du rôle, déposée le 11 novembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Zohra BELESGAA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SHALA et de son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave et ressortissants albanais du Kosovo, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 septembre 1999, notifiée le 11 octobre 1999, ayant rejeté leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 1999 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Zohra BELESGAA ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 22 juin 1998, Monsieur … SHALA et son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave et ressortissants albanais du Kosovo, demeurant actuellement à L-

…, introduisirent au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

Monsieur SHALA et son épouse, Madame … furent entendus en date du 11 février 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile. Une audition complémentaire de Monsieur SHALA eut lieu en date du 18 février 1999.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 16 septembre 1999, le ministre de la Justice informa les époux SHALA-…, par lettre du 29 septembre 1999, notifiée le 11 octobre 1999, que leur demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.

Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.

Par requête déposée le 11 novembre 1999, Monsieur et Madame SHALA-… ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 septembre 1999.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal. Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est partant à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs estiment en premier lieu que la décision du ministre de la Justice serait insuffisamment motivée en droit et en fait, en ce qu’elle ne reposerait pas sur des motifs clairs et précis, dans la mesure où elle serait basée “ sur des affirmations sommaires non autrement circonstanciées ”.

Une décision administrative est motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, p. 261, n° 35 et autres références y citées).

En l’espèce, le moyen d’annulation invoqué par les demandeurs consistant à soutenir que la décision ministérielle critiquée serait entachée d’illégalité pour absence de motivation, n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que la décision du ministre de la Justice du 29 septembre 1999, ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, en en adoptant également les motifs, et qui a été annexé en copie à la décision en question, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.

2 L’existence de motifs ayant été vérifiée, il convient encore d’examiner si la décision ministérielle n’est pas le résultat d’une mauvaise appréciation de la situation personnelle des demandeurs.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice a retenu qu’ils n’auraient pas invoqué des craintes sérieuses de persécution pour une des raisons visées par la Convention de Genève, alors qu’en leur qualité de ressortissants albanais du Kosovo, ils auraient fait l’objet de brutalités et de mauvais traitements de la part des autorités serbes, depuis l’année 1992, “ en raison de leur opposition à la volonté des autorités serbes de faire cesser la poursuite des études prodiguées en langue albanaise, respectivement des études de médecine ”. Ils font exposer dans ce contexte que malgré ces persécutions, ils auraient suivi ces cours universitaires en clandestinité, ce qui aurait notamment entraîné pour Monsieur SHALA d’avoir été à plusieurs reprises arrêté par les forces de l’ordre et battu par celles-ci notamment en sa qualité de vice-président de “ l’Union Indépendante des Etudiants de l’Université de Pristina ”. Ces brutalités commises par la police serbe auraient notamment eu pour conséquence qu’à la suite de l’arrestation de Monsieur SHALA pour avoir participé à des manifestations organisées “ pour la paix ” au cours des mois d’octobre et novembre 1997, l’hospitalisation ainsi qu’une intervention chirurgicale subies par celui-ci.

Ils font encore valoir que du fait de l’engagement du demandeur en faveur de l’indépendance du Kosovo et de ses connaissances en médecine, il se serait engagé volontairement pour soigner “ les blessés albanais, dont la plupart appartenaient au parti clandestin de l’UCK, dans la zone de combat et ce dès février 1998 ”. En raison de ses activités, il aurait à plusieurs reprises été contrôlé par la police serbe qui aurait à ces occasions découvert des médicaments dans ses bagages. Comme il aurait refusé de donner des indications quant à l’utilisation de ces médicaments, il aurait à nouveau été battu par les agents de police.

Ils font par ailleurs valoir que leur domicile, situé à Pec au Kosovo, propriété commune des deux époux, aurait été incendié par les Serbes.

Ils estiment, d’une manière générale, que la seule présence au Kosovo d’une force internationale ne leur garantirait pas qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils ne risqueraient plus aucune persécution. Par ailleurs, comme il n’existerait pour le moment aucun “ gouvernement autonome Kosovar dans la région ”, il n’y aurait pas d’autorité à laquelle ils pourraient s’adresser en vue d’obtenir une protection appropriée. Enfin, comme ils ne possèderaient “ plus rien au Kosovo ”, leur avenir y serait “ menacé ” et serait “ dès plus incertains ”.

Le délégué du gouvernement estime que les demandeurs ne démontreraient pas en quoi ils courraient un risque actuel de persécution en cas de retour au Kosovo, en soutenant que les autorités serbes se seraient retirées du Kosovo et que par conséquent les demandeurs ne pourraient plus faire valoir des craintes raisonnables de persécution au sens de la Convention de Genève. Le représentant étatique admet toutefois qu’il n’existerait pas une sécurité totale au Kosovo, alors qu’il y demeureraient des conflits entre les ethnies en place, et que d’autres dangers pourraient provenir notamment de la présence de mines anti-personnelles. On ne saurait cependant en conclure à une persécution systématique au sens de la Convention de Genève.

3 Enfin, il soutient que le simple fait d’avoir perdu leurs biens mobiliers et immobiliers au Kosovo ne permettrait pas aux demandeurs de remplir les conditions prévues par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de leurs déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SHALA ainsi que par son épouse, Madame …, lors de leurs auditions respectives en date des 11 et 18 février 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, s’il est vrai que les faits invoqués par les demandeurs en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique ont pu constituer des persécutions ou justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève au moment où ces faits ont eu lieu, c’est-à-dire au cours des années 1992 à 1998, avant l’intervention au printemps 1999 de forces militaires internationales, il n’en reste pas moins que le tribunal doit apprécier la situation des demandeurs ainsi que leurs craintes éventuelles de persécution au moment où il statue. Or, il s’avère qu’à l’heure actuelle, il n’existe plus au Kosovo de pouvoir oppresseur serbe, étant donné que l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, de sorte qu’un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle et sous ce point de vue, les demandeurs n'expliquent pas les raisons pour lesquelles ils risqueraient à l’heure actuelle de subir de mauvais traitements en cas de retour dans leur pays d’origine.

Par ailleurs, le fait qu’ils ne possèdent plus, d’après leurs dires, de maison au Kosovo susceptible de leur servir de domicile familial ne s’analyse pas non plus en une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

4 Le recours est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argument invoqué par les demandeurs et tiré d’une prétendue violation des droits garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant, étant donné que les demandeurs n’ont aucunément précisé en quoi et pour quel motif il y aurait eu violation de cette convention et, le cas échéant, quelle en serait l’influence sur les critères de reconnaissance du statut de réfugié politique, régis par la seule Convention de Genève.

Cette conclusion n’est pas non plus ébranlée par le moyen tiré d’une prétendue violation des droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, étant donné que , d’une part, les faits auxquels les demandeurs se réfèrent pour conclure à une violation de ladite déclaration se situent tous avant l’intervention de la force militaire internationale au printemps 1999 au Kosovo et qu’ils ne peuvent plus être pris en considération, comme il a été retenu ci-avant, pour conclure à une persécution actuelle ou un risque de persécution actuel des demandeurs au sens de la Convention de Genève au jour où le tribunal statue et que, d’autre part, la simple violation par des autorités étatiques ou par des groupes de personnes contrôlées ou tolérées par elles de droits garantis par la prédite déclaration ne saurait à elle seule justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique, régie par la seule Convention de Genève. En effet, le simple fait de tomber dans le champ d’application de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose dans son article 14 que devant la persécution toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays, n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique. Ce principe général doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas et notamment à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève (trib. adm. 15 juillet 1998, n° 10654 du rôle, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, I. Réfugiés, A. Généralités, n° 3, p. 101).

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge 5 et lu à l’audience publique du 3 mai 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11657
Date de la décision : 03/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-03;11657 ?

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