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02/05/2000 | LUXEMBOURG | N°11597

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2000, 11597


N° 11597 du rôle Inscrit le 20 octobre 1999 Audience publique du 2 mai 2000

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Recours formé par les époux … TYMI et …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11597 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 1999 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TYMI, né le … à … (Albanie) et de son épouse Mada...

N° 11597 du rôle Inscrit le 20 octobre 1999 Audience publique du 2 mai 2000

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Recours formé par les époux … TYMI et …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11597 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 1999 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TYMI, né le … à … (Albanie) et de son épouse Madame …, née le … à … (Albanie), les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juillet 1999, confirmée le 17 septembre 1999, refusant de faire droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 1999 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc ELVINGER, ainsi que Messieurs les délégués du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH et Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 17 janvier et 5 avril 2000.

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Le 3 mai 1998, Monsieur … TYMI, né le … à … (Albanie), et son épouse Madame …, née le … à …(Albanie), tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, introduisirent au Luxembourg une demande de reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

En date du 10 mars 1999, les époux TYMI-… furent entendus par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le 12 juillet 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable au sujet de cette demande.

1 Par décision du 29 juillet 1999, notifiée le 10 août 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur et Madame TYMI-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : “ Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.

Le recours gracieux introduit par les époux TYMI-… suivant courrier de leur mandataire daté du 13 septembre 1999 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 17 septembre 1999, ils ont introduit un recours tendant à la réformation de la décision ainsi confirmée par requête déposée le 20 octobre 1999.

Le tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Dans le cadre de l’instruction de leur demande d’asile, les demandeurs ont déclaré qu’après avoir présenté une première demande d’asile en Allemagne en 1993, ils seraient retournés volontairement en Albanie et que Monsieur TYMI aurait alors travaillé, sous le régime du parti démocratique, pour la police secrète de 1996 à 1997. Dans le cadre de ce travail comme policier en civil auprès du “ service informatif de l’ordre ”, ainsi qualifié, du commissariat de police à Shkoder, il aurait eu pour mission, en sa qualité de photographe, de découvrir des personnes faisant de la propagande contre le parti démocratique, lesquelles personnes il aurait alors renseignées sur des listes aux fins de transmission à ses supérieures et sur base desquelles le service informatif national aurait décidé de mettre certaines de ces personnes en prison.

Les demandeurs indiquent avoir à nouveau quitté l’Albanie en raison des turbulences politiques de 1997 pour demander encore une fois l’asile politique en Allemagne. Cette demande n’ayant pas été accueillie favorablement, ils seraient retournés volontairement en Albanie, pour aller habiter chez la tante de Monsieur TYMI, mais ils auraient à nouveau quitté le pays un mois plus tard pour se diriger cette fois-ci vers le Luxembourg, alors qu’ils craignaient, d’un côté, des actes de vengeance de la part notamment des personnes emprisonnées sur base des listes dressées à l’époque par Monsieur TYMI, ceci eu égard à la considération que lors des turbulences de mars 1997, les prisons auraient été ouvertes et ces gens auraient pu sortir, ainsi que, d’un autre côté, des persécutions de la part des autorités albanaises et plus particulièrement du parti socialiste actuellement au pouvoir, en raison également des activités antérieures de Monsieur TYMI.

A l’appui de ces dernières craintes, ils font état de ce qu’une personne ayant travaillé avec Monsieur TYMI pour la police secrète aurait été arrêtée et convoquée devant le juge d’instruction probablement à cause du travail effectué à l’époque, ainsi que d’une affirmation du frère du demandeur suivant laquelle Monsieur TYMI aurait également été accusé par le parti socialiste. Ils font encore valoir qu’en mai 1998, alors qu’ils habitaient chez la tante de 2 Monsieur TYMI, deux hommes seraient venus à sa recherche dans sa maison. Ces derniers auraient menacés son frère, ils auraient fouillé la maison et ils seraient repartis en disant qu’un jour ils le trouveraient et qu’alors il disparaîtrait..

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’ils rempliraient les conditions prévues par la Convention de Genève. Ils critiquent la décision déférée en faisant valoir que l’avis négatif de la Commission consultative pour les réfugiés, entériné par le ministre, se limiterait à retenir que les faits par eux invoqués s’inscriraient “ dans un contexte de criminalité répandue en Albanie ”, que “ les menaces invoquées par les demandeurs (seraient) à considérer, au regard de leur nature, comme des infractions de droit commun ” et que “ de tels actes ne (pourraient pas), sauf circonstances particulières tenant à la motivation des commanditaires, au but poursuivi et à l’attitude des pouvoirs publics, être assimilés à des persécutions politiques dont le Gouvernement albanais porterait la responsabilité ”, sans que cette conclusion ne soit autrement confortée par des éléments du dossier, de sorte que la décision ministérielle déférée, en procédant par entérinement de cet avis, ne serait pas légalement motivée.

Si une décision administrative est certes motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n° 35 et autres références y citées), il n’en reste pas moins que la décision ministérielle, ensemble l’avis qui en fait partie intégrante, doivent en principe indiquer de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait qui justifient la décision de refus.

En l’espèce, tant la décision ministérielle déférée du 29 juillet 1999 que l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés du 12 juillet 1999 y annexé, indiquent la base légale du refus encouru par les demandeurs. Aussi, en retenant “ que les menaces invoquées par les demandeurs sont à considérer, au regard de leur nature, comme des infractions de droit commun. De tels actes ne peuvent, sauf circonstances particulières tenant à la motivation des commanditaires, au but poursuivi et à l’attitude des pouvoirs publics, être assimilés à des persécutions politiques dont le gouvernement albanais porterait la responsabilité. La commission note, à cet égard, que les demandeurs se bornent à faire des suppositions ou des allégations non autrement étayées relatives à l’identité des auteurs des actes et à leur motivation politique ”, la commission a suffisamment précisé les faits par elle retenus pour justifier la décision déférée.

Il s’ensuit que le premier moyen tenant à une insuffisance de motivation en droit et en fait de la décision déférée est à abjuger.

Les demandeurs estiment que les faits par eux déclarés ne relèveraient par la criminalité de droit commun, mais qu’ils se comprendraient par contre aisément lorsqu’on prendrait connaissance de tous les éléments dont ils ont fait état lors de leur audition et qui sont relatifs aux activités de Monsieur TYMI au bénéfice des services secrets albanais à l’époque où le parti démocratique était encore au pouvoir.

Ils soutiennent qu’il se dégagerait par ailleurs des pièces du dossier, et plus particulièrement de la carte de membre de la ligue anticommuniste et du certificat de membre actif de cette même ligue de Monsieur TYMI, que les menaces par eux invoquées répondraient 3 aux exigences du particularisme des circonstances tenant à la motivation des commanditaires des actes de persécution, mise en avant par l’avis précité de la Commission consultative, au but poursuivi, en l’occurrence des menaces de vengeance émanant de personnes qui avaient été arrêtées sur la base des informations collectées par Monsieur TYMI au profit de la police albanaise, ainsi qu’à l’attitude des pouvoirs publics qui ne lui offrirait aucune protection, de sorte que les menaces invoquées seraient à assimiler à des persécutions politiques dont l’actuel gouvernement albanais porterait la responsabilité.

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Le délégué du Gouvernement rétorque que les pièces invoquées documentant l’adhésion de Monsieur TYMI à la ligue anticommuniste, ainsi que la qualité de membre actif dans cette même ligue, datent de 1990 et que Monsieur TYMI, interrogé sur son appartenance à un parti politique ou groupe social défendant les intérêts de personnes, a répondu négativement, de sorte que les pièces par lui produites n’auraient plus aucune pertinence à l’heure actuelle. Concernant plus particulièrement les menaces invoquées, il signale que Monsieur TYMI a exprimé, lors de son audition du 10 mars 1999, la crainte que “ des personnes privées qui ont été arrêtées ou condamnées et qui ont purgé une partie de leur peine veulent se venger ”, de sorte que ces menaces, à les supposer établies, ne répondraient pas à l’un des motifs de la Convention de Genève, mais s’inscriraient dans le cadre d’une criminalité de droit commun en Albanie à cet égard. Le représentant étatique fait valoir en outre que l’attitude des pouvoirs publics serait sans pertinence et soutient qu’en tout état de cause un défaut de protection appropriée, voire une indifférence de la part des pouvoirs politiques ne ressortirait pas du dossier. Il estime qu’il appartiendrait aux demandeurs d’établir que les faits par eux allégués relèvent de la Convention de Genève et non pas de la criminalité de droit commun et qu’une telle preuve ferait défaut en l’espèce, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre aurait considéré les faits en question comme relevant d’une criminalité de droit commun en Albanie.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, les déclarations de Monsieur TYMI relatives à son activité au sein de la police secrète albanaise à Shkoder de janvier 1996 à mars 1997, présentées de manière cohérente et confortées par ailleurs par le contenu d’un article de presse, versé en original au dossier et paru en date du 16 décembre 1999 au journal “ Shkodra ”, sont à considérer comme crédibles.

4 La même considération s’impose en ce qui concerne l’information même qu’une autre personne ayant travaillé à l’époque avec Monsieur TYMI pour la police secrète, en l’occurrence Paul PRENDUSHI, a fait l’objet d’une poursuite pénale et fut condamné à une peine d’emprisonnement de 7 ans.

Concernant plus particulièrement l’affirmation, telle que traduite à partir de l’article de presse prévisé, que la condamnation pénale en question serait intervenue seulement parce que la personne concernée était démocrate, force est cependant de constater que cette affirmation n’est pas suffisamment précise pour permettre de conclure au regard notamment des chefs d’accusation effectivement portés contre la personne concernée que cette peine revête un caractère disproportionné et s’analyse de ce fait effectivement en un acte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Cet élément de preuve n’emporte dès lors pas la conviction du tribunal en tant qu’indice suffisamment précis pour corroborer utilement le caractère justifié de la crainte éprouvée par le demandeur relative à des poursuites disproportionnées à son égard de la part du pouvoir en place en raison de son activité à connotation politique au sein de la police secrète sous le régime du parti démocratique.

Quant à la menace de mort, accompagnée d’intimidations, de la part de personnes privées invoquée par les demandeurs, elle ne peut s’analyser qu’en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne saurait dès lors être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celle ci serait incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARDIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

S’il est en l’espèce certes crédible que la motivation des personnes privées ayant commis l’acte de persécution allégué est susceptible d’avoir trait à l’activité professionnelle à connotation politique du demandeur à l’époque où le parti démocratique était au pouvoir, il n’en demeure cependant pas moins que ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi de statut de réfugié politique, mais que l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

En l’espèce, les éléments du dossier ne permettent de retenir ni que les demandeurs ont concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni 5 l’incapacité de ces dernières pour leur assurer un niveau de protection suffisante, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à leur encontre.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 2 mai 2000 par le premier juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11597
Date de la décision : 02/05/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-05-02;11597 ?

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