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05/04/2000 | LUXEMBOURG | N°11704

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 avril 2000, 11704


N° 11704 du rôle Inscrit le 7 décembre 1999 Audience publique du 5 avril 2000

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Recours formé par Monsieur … OMEROVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11704 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 1999 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OMEROVIC, de nationalité bosniaque, demeurant ...

N° 11704 du rôle Inscrit le 7 décembre 1999 Audience publique du 5 avril 2000

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Recours formé par Monsieur … OMEROVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11704 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 1999 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OMEROVIC, de nationalité bosniaque, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 1999, notifiée le 27 septembre 1999, lui refusant le statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise par le prédit ministre en date du 3 novembre 1999, notifiée le 8 novembre 1999, suite à un recours gracieux introduit le 22 octobre 1999 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 1999 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur en date du 25 janvier 2000 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 25 mars 1999, Monsieur … OMEROVIC, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, introduisit au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur OMEROVIC fut entendu en date du 21 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 14 juillet 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur OMEROVIC, par lettre du 20 septembre 1999, notifiée le 27 septembre 1999, que sa demande d’asile avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».

Un recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur OMEROVIC, par lettre du 22 octobre 1999, à l’encontre de la décision précitée du 20 septembre 1999 fut rejeté par une décision confirmative du ministre de la Justice du 3 novembre 1999, notifiée le 8 novembre 1999.

Par requête du 7 décembre 1999, Monsieur OMEROVIC a introduit un recours tendant à la réformation des décisions déférées des 20 septembre et 3 novembre 1999 pour « violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

Le tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il serait de religion musulmane et ressortissant de la République de Bosnie et Herzégovine, qu’il aurait dû fuir sa ville natale Kusonje faisant partie de la commune de Kalesija en 1992 - qui est passée sous l’administration des Serbes suite à la signature des Accords de Dayton en 1995 - à la suite des violences qui y auraient été commises par des groupes paramilitaires serbes, qui auraient notamment eu pour conséquence qu’une partie de sa maison aurait brûlé et qu’une autre partie de la maison aurait été expropriée au profit des « Serbes ». Il expose ensuite avoir trouvé refuge « sur le territoire libre de la Bosnie », à Bojanica, d’abord dans une maison ayant appartenu à des musulmans, puis dans une maison ayant appartenu à des Serbes, qu’il aurait réparée, mais qu’en 1995, il aurait dû quitter cette maison, étant donné que les autorités serbes le lui auraient enjoint, au motif que les propriétaires serbes désireraient retourner dans leur ancienne maison. En mars 1998, sous l’égide de l’UNHCR, il serait retourné dans son village natal pour visiter sa maison. Il aurait été provoqué par des policiers serbes qui auraient dit que ce serait bien qu’il verrait que sa maison aurait brûlée et qu’une vie en commun entre Serbes et musulmans bosniaques ne serait plus possible. Au bout de deux heures, les policiers serbes auraient décidé de mettre fin à cette visite au cours de laquelle il aurait pu constater qu’un retour dans son village natal ne serait plus possible. Il indique encore que sa famille, à savoir sa femme et ses deux enfants, vivraient actuellement auprès de la famille de sa femme à Bojanica, à deux kilomètres de la maison que les autorités serbes auraient repris.

Le demandeur fait encore valoir qu’en date du 1er juin 1992, les milices serbes l’auraient arrêté, en présence de sa famille et de son frère, que sa femme aurait été violée devant les yeux de sa famille, que son frère, qui se serait insurgé « face à ce crime horrible », aurait alors été abattu sur place par trois balles dans la tête, qu’il aurait ensuite été transféré, ensemble avec une soixantaine d’hommes de son village aux camps de Susica à Vlasenica et 2 de Batovice à Bijelijna, où il aurait été enfermé du 1er juin 1992 au 21 juillet 1993. Il soutient avoir rejoint l’armée bosniaque de novembre 1993 jusqu’en juillet 1994, date à laquelle les autorités bosniaques auraient décidé d’exclure les musulmans qui ont été prisonniers de guerre de l’armée bosniaque. Dans ce contexte, le demandeur estime que sa participation dans l’armée bosniaque serait « certainement analysée par les autorités de son pays comme l’expression d’une conviction politique, contraire aux intérêts en place. Que la notion de persécution au sens de la Convention de Genève est donc parfaitement vérifiée en l’espèce ».

Il estime que s’il devait retourner dans son pays d’origine, il serait sujet à un traitement discriminatoire « d’une sévérité disproportionnée de la part des Serbes de Bosnie ». Le demandeur rappelle encore une fois qu’il a dû quitter son village natal à la suite des hostilités des milices serbes et qu’il « s’est réfugié dans la partie musulmane de la Bosnie jusqu’au moment où il a réussi à la quitter avant d’arriver le 25 mars 1999 au Grand-Duché de Luxembourg ». Il serait « inimaginable et impossible » de retourner dans sa ville natale Kusonje, où les autorités serbes exerceraient une politique de purification ethnique systématique à l’égard des minorités d’origine musulmane.

Lors de son audition en date du 21 juin 1999, le demandeur a encore indiqué que « im Lager damals wurden wir gezwungen den Serben an der Front zu helfen zum Beispiel beim Transport von Munition oder Verwundeten. Ich habe Angst davor, dass meine moslemischen Landsleute sich an mir rächen wollen, da sie davon ausgehen, dass die Lagerinsassen den Serben freiwillig geholfen haben ». Interrogé sur la question de savoir de qui et de quoi il avait peur, le demandeur a répondu que « im Moment gibt es kaum Serben, aber Sie sind dabei zurückzukehren. Ich habe Angst vor ihnen. Als ich Bosnien verliess hatte ich eher finanzielle Probleme, da ich das Haus verlassen musste ».

Le délégué du gouvernement rétorque que ce serait à juste titre que la commission consultative a retenu que le demandeur n’aurait pas prouvé qu’il a été exposé à des persécutions de la part de la communauté serbe. Il n’aurait par ailleurs pas prouvé qu’en tant que musulman ayant vécu depuis la fin de la guerre en Bosnie, il a actuellement une crainte fondée sur des persécutions pour des faits remontant à 1992 et 1993. Le délégué du gouvernement ne conteste pas que la vie est difficile pour un musulman bosniaque vivant dans la partie serbe de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, mais on ne saurait cependant automatiquement conclure à une persécution systématique dans le sens de la Convention de Genève pour tout musulman vivant dans cette partie de ladite Fédération.

A titre subsidiaire, le représentant étatique estime que si le tribunal retenait que le demandeur aurait fait l’objet de persécutions dans la partie serbe de la Bosnie-Herzégovine, il conviendrait encore d’analyser si le requérant risquait une persécution dans la partie musulmane de la Bosnie-Herzégovine. Il estime qu’un tel risque ne ressortirait nullement du dossier, de sorte que le demandeur disposerait d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … OMEROVIC lors de son audition du 21 juin 1999, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il échet de retenir, d’une part, qu’en ce qui concerne les faits et motifs relatifs à son départ en 1992 de son village natal Kusonja, se trouvant actuellement dans la République serbe de Bosnie et Herzégovine et à son incarcération subséquente dans des camps, ceux-ci sont sans relation causale directe avec son départ de la ville de Bojanica, où le demandeur a pu trouver refuge avec sa famille jusqu’à son départ en mars 1999. D’autre part, les éléments qui ont motivé son départ de Bojanica en mars 1999 s’analysent en substance en l’expression d’un sentiment général d’insécurité en raison de la mauvaise situation en Bosnie-

Herzégovine et en raison du fait qu’il ne disposait plus de la maison qu’il avait occupée en l’absence des propriétaires serbes. Ces raisons d’ordre matériel et économique sont encore confirmées par l’affirmation du demandeur selon laquelle : « Als ich Bosnien verliess hatte ich eher finanzielle Probleme, da ich das Haus verlassen musste ». Par ailleurs, il n’a pas établi que du fait des travaux forcés effectués sur instruction des autorités serbes dans les camps d’emprisonnement, il risquerait des persécutions de la part de ses compatriotes musulmans.

Enfin, les éléments ayant trait à une prétendue persécution à cause de son appartenance à la communauté musulmane, à défaut par le demandeur d’avoir établi des circonstances particulières dans son chef, ne s’analysent pas en une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

4 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 5 avril 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s.

Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11704
Date de la décision : 05/04/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-04-05;11704 ?

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