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29/03/2000 | LUXEMBOURG | N°11700

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 mars 2000, 11700


N° 11700 du rôle Inscrit le 3 décembre 1999 Audience publique du 29 mars 2000

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Recours formé par Monsieur … AJDARPASIC et Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11700 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 1999 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … A

JDARPASIC et de Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave, ressortissants du Monténégro,...

N° 11700 du rôle Inscrit le 3 décembre 1999 Audience publique du 29 mars 2000

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Recours formé par Monsieur … AJDARPASIC et Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11700 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 1999 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AJDARPASIC et de Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave, ressortissants du Monténégro, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er septembre 1999, notifiée le 4 novembre 1999, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Claude DERBAL et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 3 mai 1999, Monsieur … AJDARPASIC et Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave, ressortissants du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 18 août 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur … AJDARPASIC, par lettre du 1er septembre 1999, notifiée le 3 septembre 1999, que leurs demandes avaient été rejetées aux motifs suivants: « Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

1 En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».

Suite à un recours gracieux, introduit en nom et pour compte de Monsieur AJDARPASIC et de sa mère Madame …, par leur mandataire, le 1er octobre 1999, relevant notamment que la décision du 1er septembre 1999 n’aurait pas été signifiée régulièrement à Madame AJDARPASIC-…, le ministre de la Justice procéda à une nouvelle signification de la prédite décision à Monsieur AJDARPASIC et à Madame AJDARPASIC-… en date du 4 novembre 1999.

Par requête déposée en date du 3 décembre 1999, Monsieur AJDARPASIC et Madame AJDARPASIC-… ont introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 1er septembre 1999, signifiée le 4 novembre 1999 pour défaut de motifs – leurs demandes n’auraient été traitées que sommairement - respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont de religion musulmane et ressortissants du Monténégro, qu’en raison de la guerre opposant la Serbie à la population kosovare, il serait actuellement procédé à un enrôlement immédiat des monténégrins en âge de combattre, qu’estimant ne pas à avoir à combattre « ses frères de confession kosovare en révolte contre un régime qu’il réprouve, le sieur Mirsad AJDARPASIC a préféré prendre la fuite sans même attendre un appel de la réserve, voire d’être enrôlé de force comme cela fut le cas de nombreux jeunes de son village ». Ils estiment que même si l’insoumission ne constitue pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique, néanmoins, dans le contexte général du Monténégro où la « police serbe recrute de force les jeunes pour les conduire à une guerre qu’ils réprouvent », l’insoumission devrait être considéré comme étant constitutif d’un tel motif. Ils se réfèrent par ailleurs à une recommandation n°1042 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative aux déserteurs et réfractaires de l’ex-Yougoslavie.

Ils font encore valoir qu’il serait de jurisprudence constante que la notion de « crainte avec raison » d’être persécuté au sens de la Convention de Genève « implique à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui doivent tous les deux être pris en considération », mais que ni la commission consultative pour les réfugiés ni le ministre de la Justice n’auraient pris en considération dans leur avis et décision respectif la situation générale régnant au Monténégro, de sorte que l’avis de la commission consultative précitée et la décision ministérielle du 1er septembre 1999 serait donc viciés.

Ils invoquent finalement une violation des articles 8 et 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, 2 approuvée par la loi du 29 août 1953, ci-après dénommée « la Convention des droits de l’homme », en ce qu’il ne serait pas « reconnu au requérant le droit de vivre au côté des siens étant déjà établis au Luxembourg ».

Madame … ne fait pas valoir de motifs propres de persécution.

Le délégué du gouvernement conteste l’affirmation contenue dans le recours contentieux selon laquelle Monsieur AJDARPASIC serait un « objecteur de conscience », étant donné que ce dernier n’aurait pas invoqué ce motif lors de son audition. Ce serait dès lors à juste titre que l’avis de la commission consultative, et par entérinement de cet avis, la décision du ministre de la Justice, auraient retenu que « l’intéressé invoque, non pas sa volonté de ne pas participer à la guerre de Kosovo, mais dans des termes assez vagues, des risques pour les musulmans liés à l’instabilité politique au Monténégro ». Il rappelle encore qu’actuellement il n’y aurait plus d’opérations de guerre menées au Kosovo par l’armée serbe.

Quant au reproche que le ministre n’aurait pas tenu compte de la situation générale au Monténégro, le représentant étatique soutient que l’avis de la commission consultative ainsi que la décision ministérielle auraient pris en considération la situation générale au Monténégro, ce qui résulterait notamment du passage de l’avis qui retient que « il expose être de religion musulmane et que la situation des musulmanes au Monténégro est difficile même sous le régime du Président Dukanovic ». Il conclut dès lors au non fondé de ce reproche.

Il conclut également au rejet du moyen tiré de la violation des articles 8 et 9 de la Convention, au motif que les textes visés seraient étrangers aux contestations relatives au statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur AJDARPASIC et Madame AJDARPASIC-… lors de leurs auditions respectives du 5 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance des droit de raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée de persécution du fait de 3 leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les demandeurs ont quitté leur pays en raison de la mauvaise situation économique et de l’insécurité général au Monténégro. En ce qui concerne l’affirmation dans le recours contentieux que Monsieur AJDARPASIC serait un « objecteur de conscience », il y a lieu de relever que même si certaines jurisprudences étrangères ont décidé que « la désertion permet de regarder l’intéressé comme entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève », néanmoins, à défaut par les demandeurs d’avoir établi des circonstances particulière dans leur chef, il y a lieu de conclure que la désertion dans le cas d’espèce ne s’analyse pas en une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, comme l’armée yougoslave a quitté le Kosovo et comme une force internationale de paix y est installée, un risque pour les Monténégrins de devoir participer à une guerre contre le peuple kosovar n’existe plus à l’heure actuelle.

Le recours est dès lors à rejeter comme étant non fondé.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argument tiré d’une prétendue violation des droits garantis par la Convention des droits de l’homme, étant donné que les demandeurs n’ont aucunement précisé en quoi et pour quels motifs il y aurait eu violation de cette convention et, le cas échéant, quelle en serait l’influence sur les critères de reconnaissance du statut de réfugié politique, régis par la seule Convention de Genève.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, 4 et lu à l’audience publique du 29 mars 2000, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11700
Date de la décision : 29/03/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-03-29;11700 ?

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