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23/03/2000 | LUXEMBOURG | N°11696

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mars 2000, 11696


N° 11696 du rôle Inscrit le 30 novembre 1999 Audience publique du 23 mars 2000

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Recours formé par Monsieur … FONSECA MONTEIRO contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 1999 par Maître Patrick BIRDEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FONSECA MONTEIRO, déclarant demeurer à L-1618 Luxembourg, 1

6, rue Irmine, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 avril 199...

N° 11696 du rôle Inscrit le 30 novembre 1999 Audience publique du 23 mars 2000

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Recours formé par Monsieur … FONSECA MONTEIRO contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 1999 par Maître Patrick BIRDEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FONSECA MONTEIRO, déclarant demeurer à L-1618 Luxembourg, 16, rue Irmine, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 avril 1999, notifiée le 1er septembre 1999, lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui enjoignant de quitter le pays dès notification de l’arrêté;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 1999;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2000 ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Nathalie GILSON, en remplacement de Maître Patrick BIRDEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par arrêté du ministre de la Justice du 6 avril 1999, notifié à l’intéressé le 1er septembre 1999, Monsieur … FONSECA MONTEIRO, sans état, de nationalité capverdienne, déclarant demeurer à L-…, s’est vu refuser l’entrée et le séjour et a été invité à quitter le pays, au motif qu’il ne dispose pas de moyens d’existence, qu’il est en séjour illégal et que, par son comportement personnel, il constitue un danger pour l’ordre public.

Par requête déposée le 30 novembre 1999, Monsieur FONSECA MONTEIRO a introduit un recours en annulation contre l’arrêté ministériel du 6 avril 1999.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il est né le 7 octobre 1973 au Grand-Duché de Luxembourg et que depuis lors, il aurait toujours vécu au Luxembourg où résideraient également ses frères et sœurs.

1 Il relève que même si à l’heure actuelle il ne disposerait pas de revenus propres, il bénéficierait néanmoins de l’aide de ses frères et sœurs, ainsi que de celle de son amie, en précisant que les prédites personnes le soutiendraient financièrement. Il déclare en outre être apte à occuper un emploi salarié.

Quant à son séjour irrégulier au Luxembourg, il déclare avoir disposé d’une carte d’identité d’étranger jusqu’au 31 mai 1996 et qu’il aurait sollicité l’octroi d’une nouvelle carte d’identité d’étranger le 30 décembre 1997, de sorte que ce ne serait que « très récemment » qu’il se trouverait en séjour irrégulier au Luxembourg. Il précise encore que, dans le but de régulariser sa situation, il aurait fait renouveler son passeport capverdien en date du 4 novembre 1999.

Il affirme finalement qu’il ne constituerait pas un danger pour l’ordre public, étant donné que son casier judiciaire ne renseignerait qu’une condamnation en matière de circulation routière. Il conclut que « même si son comportement personnel fait preuve d’un certain pittoresque, il ne constitue pas pour autant une menace à l’ordre public ».

Le délégué du gouvernement fait valoir que l’arrêté de refus d’entrée et de séjour est basé sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, en ce que le demandeur ne disposerait pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, qu’il serait en séjour irrégulier depuis 1996 et qu’il serait susceptible de compromettre l’ordre public.

Il conteste par ailleurs que le demandeur aurait une vie familiale effective au Luxembourg, en relevant que le demandeur ne résiderait que sporadiquement auprès d’un membre de sa famille et que son père serait retourné en 1991 au Cap-Vert pour s’y installer définitivement.

En ce qui concerne l’aide matérielle dont le demandeur bénéficierait de la part de sa famille, le représentant étatique souligne que la loi précitée du 28 mars 1972 exigerait la possession de moyens personnels suffisants, indépendamment de l’aide que des tierces personnes pourraient fournir.

Il relève encore que le demandeur se trouverait en situation irrégulière depuis 4 ans, qu’il serait sans domicile fixe depuis plusieurs années et qu’il « semblerait fréquenter le milieu de la drogue », de sorte que ces faits établiraient qu’il constituerait un danger pour l’ordre public.

Dans son mémoire en réplique, le mandataire du demandeur rétorque qu’il « n’y a aucune preuve que [le demandeur] fréquente le milieu de la drogue », mais il avoue cependant que son mandant serait un peu « pittoresque » et qu’il « ne se comporte pas en parfait bourgeois ».

Il fait valoir que le demandeur n’aurait aucun rapport avec le Cap-Vert. Il affirme par ailleurs que le demandeur n’aurait pas de relation avec son père qui vivrait actuellement au Cap-Vert, à part le fait qu’il serait coassuré en maladie par ce dernier auprès de la Caisse de Maladie des Ouvriers.

2 Le recours en annulation, non autrement contesté sous ce rapport par le délégué du gouvernement, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il convient de prime abord de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). - En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Recours en annulation, n° 12, et autres références y citées).

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/2000, V° Etrangers, II Autorisation de séjour - Expulsion, n°81, et autres références y citées).

En l’espèce, il se dégage des pièces versées au dossier, que le demandeur ne disposait, au moment de la prise de la décision litigieuse, ni d’un permis de travail, de sorte qu’il ne pouvait pas légalement s’adonner à une occupation salariée et en percevoir des revenus, ni encore d’autres moyens personnels lui permettant de supporter personnellement les frais de son séjour au Luxembourg.

Il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a refusé l’entrée et le séjour en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels dans le chef du demandeur, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agit d’un ou de plusieurs membres de la famille, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, de sorte qu’il devient superfétatoire d’examiner les autres motifs de refus invoqués à l’appui de l’arrêté déféré, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur tiré du fait qu’il est au Luxembourg et que ses frères et sœurs résideraient au Luxembourg, moyen qui s’analyse en la violation de l’article 8 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée la « Convention européenne des droits de l’homme », dans la mesure où il estime globalement qu’il y aurait violation de son droit au maintien de sa vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972 en échec.

En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.

3 A ce sujet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites.

En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf. Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, No.183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mars 1991, A.201 §88). En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante.

Cette deuxième restriction requiert la mise en lumière de la distinction entre, d’une part, les décisions d’éloignement d’un étranger du territoire national et, d’autre part, les décisions relativement à des demandes d’entrée et de séjour au titre d’un regroupement familial. Les deux types de décisions impliquent des considérations de nature différente.

L’étranger qui invoque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour tenir en échec une mesure d’éloignement, vise à voir protéger la vie familiale qu’il a établie sur le territoire national et qui est menacée. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier l’existence d’une vie familiale effective et les effets que la mesure projetée risque d’avoir sur elle. Dans la deuxième hypothèse, un étranger entend accéder et séjourner sur le territoire national pour vivre ensemble avec sa famille, il vise partant à voir reconstitué son unité familiale. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier la préexistence à l’immigration d’une vie familiale effective (trib. adm. 13 décembre 1999, n° du rôle 10887).

En l’espèce, le demandeur vise à protéger sa vie familiale qu’il a établie sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et qui serait menacée dans la mesure où suite à la décision litigieuse, il serait obligé de quitter le territoire luxembourgeois pour s’installer dans un Etat tiers. Le tribunal est donc en premier lieu appelé à examiner la situation de l’intéressé au regard des principes sus-énoncés, à savoir l’existence d’une vie familiale effective.

Il se dégage du dossier administratif que le demandeur se trouve en situation irrégulière au Luxembourg depuis le 31 mai 1996, date à laquelle sa carte d’identité d’étranger a expiré ;

4 qu’il a été rayé d’office du registre de la population de l’administration communale de Pétange en date du 8 mai 1995 ; qu’à l’adresse à disposition du ministre de la Justice, à savoir 16, rue Irmine, Luxembourg, la cousine du demandeur, qui y habite, a déclaré, en date du 17 janvier 1997, que ce dernier n’y a jamais résidé ni a-t-il été inscrit à cette adresse et qu’elle ne savait pas où il résiderait actuellement ; qu’un signalement aux fins de découvrir la résidence du demandeur, émis le 27 janvier 1997 par le ministre de la Justice, a abouti au rapport de police de Luxembourg, ville-haute du 20 mars 1997, retenant que «FONSECA wurde am 20.02.97 gegen 16.00 Uhr in einem städtischen Bus aufgegriffen, als er ohne Fahrschein unterwegs war. Derselbe hat keinen festen Wohnsitz und geht keiner geregelten Arbeit nach » ; qu’en date du 1er octobre 1997, il a été refoulé par les autorités néerlandaises, étant donné qu’il ne disposait pas de papiers d’identité valables ; que le service de la police judiciaire lui a enjoint de régulariser sa situation, de sorte qu’en date du 30 décembre 1997, il a introduit une demande en obtention d'une autorisation de séjour ; que lors d’un contrôle d’identité effectué le 25 janvier 1999 à 9.45 heures à la gare de Wasserbillig, le demandeur a indiqué « dass er bereits seit Jahren nicht mehr über eine Fremdenkarte verfüge und zur Zeit auch nirgendwo amtlich angemeldet sei. Auf die Frage nach seiner augenblicklichen Beschäftigung erklärte er noch nie gearbeitet zu haben. Als jetzigen Aufenthaltsort gab er die Adresse L-1814 Luxembourg, 16, rue Irmine an. Dort wohne eine Tante von ihm ».

Lors de la notification en date du 1er septembre 1999 de l’arrêté attaqué du 6 avril 1999, à la suite d’un signalement émis par le ministre de la Justice étant donné que le demandeur ne dispose pas d’un domicile fixe au Luxembourg, le demandeur a déclaré qu’il se rendrait auprès de son amie P.Z. qui habiterait à Trèves. Il se dégage par ailleurs du dossier administratif que la mère du demandeur est décédée et que son père est retourné en 1991 au Cap-Vert.

Force est de constater que le demandeur n’habite pas auprès d’un membre de sa famille et qu’il n’a, par ailleurs, pas de domicile fixe au Luxembourg. Il n’a dès lors pas établi que le refus par le ministre de la Justice d’accorder une autorisation de séjour met fin à une vie familiale effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites entre lui-même et les membres de sa famille, à savoir ses frères et sœurs, tout en étant souligné que son père n’habite plus au Grand-Duché de Luxembourg.

L’arrêté ministériel lui refusant l’entrée et le séjour au Luxembourg n’est donc pas susceptible de porter atteinte à son droit au respect d’une vie familiale et privée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas ingérence au sens de l’article 8 alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le fait d’être né au Luxembourg ne lui confère non plus, à lui seul, un droit à l’obtention d’une autorisation de séjour.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé et doit être rejeté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 23 mars 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11696
Date de la décision : 23/03/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-03-23;11696 ?

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