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22/03/2000 | LUXEMBOURG | N°11659

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mars 2000, 11659


Numéro 11659 du rôle Inscrit le 12 novembre 1999 Audience publique du 22 mars 2000 Recours formé par les époux … DZOGOVIC et X., … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11659, déposée le 12 novembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux

… DZOGOVIC, ouvrier, et X., sans état, les deux étant de nationalité yougoslave, ...

Numéro 11659 du rôle Inscrit le 12 novembre 1999 Audience publique du 22 mars 2000 Recours formé par les époux … DZOGOVIC et X., … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11659, déposée le 12 novembre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … DZOGOVIC, ouvrier, et X., sans état, les deux étant de nationalité yougoslave, agissant en leur nom propre et en qualité d’administrateurs légaux de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant tous ensemble à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 septembre 1999 ayant rejeté leur demande en obtention du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2000 par Maître Marc WALCH au nom des époux DZOGOVIC-X.;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc WALCH, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 15 juin 1998, les époux … DZOGOVIC, ouvrier, et X., sans état, les deux étant de nationalité yougoslave, agissant en leur nom propre et en qualité d’administrateurs légaux de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux DZOGOVIC-X. furent entendus par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile en date du 11 mars 1999.

Le 16 septembre 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit à l’unanimité un avis défavorable.

Par décision du 29 septembre 1999, notifiée le 13 octobre 1999, le ministre de la Justice informa les époux DZOGOVIC-X. de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».

Par requête déposée le 12 novembre 1999, les époux DZOGOVIC-X., agissant en leur nom propre et en leur qualité d’administrateurs légaux de leurs enfants prévisés, firent introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 29 septembre 1999 et sollicitèrent, par la même requête, le sursis à l’exécution de la même décision.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du Kosovo, mais appartenir à l’ethnie serbe et utiliser la langue serbo-croate, tout en pratiquant la religion musulmane. Face à la majorité albanaise du Kosovo « ayant pris le pouvoir à l’heure actuelle », les Serbes musulmans seraient largement minoritaires et seraient confrontés, en raison des événements récents dans la région, à un risque réel de répression.

Les demandeurs font valoir, quant à leur situation personnelle, que Monsieur DZOGOVIC travaillait dans une brasserie à Pec et refusait de s’associer à des initiatives de boycott à l’encontre de l’administration serbe, de manière à se trouver en confrontation permanente avec ses collègues kosovars et albanais. Ils affirment s’être trouvés constamment exposés à des menaces de représailles en raison de leur refus de boycotter les élections organisées par les autorités serbes. Ayant exploité à côté de son emploi à la brasserie un petit garage automobile, Monsieur DZOGOVIC aurait été « clairement mis en garde que dans le futur et sous autorité albanaise il n’y aurait dans cette région plus de place pour la famille DZOGOVIC » pour avoir accepté de réparer des voitures de police ou des voitures appartenant à des ressortissants serbes. Les demandeurs font encore valoir que Monsieur 2 DZOGOVIC et son fils … auraient refusé de servir sous les drapeaux de l’armée fédérale yougoslave et risqueraient dès lors d’être traités comme des déserteurs par les autorités serbes.

Ils renvoient finalement au fait que les parents de Monsieur DZOGOVIC, après s’être enfuis au Monténégro, seraient retournés vers le Kosovo dans leur région d’origine où ils auraient été si violemment agressés et frappés par des albanais qu’ils auraient dû être hospitalisés d’urgence.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la demande initiale des demandeurs était fondée sur la présence des autorités serbes au Kosovo et que la décision déférée serait pleinement justifiée par rapport aux arguments initiaux afférents, l’armée fédérale et les forces de police serbes ayant quitté le Kosovo et fait place à une administration civile sous l’égide d’une force armée internationale. Concernant les moyens avancés dans le cadre du recours contentieux sous analyse, le représentant étatique soutient que, si des incidents au Kosovo ne peuvent être niés, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève en l’absence de persécutions systématiques organisées par les pouvoirs en place au Kosovo. Les forces onusiennes, dont la tâche ne serait certainement pas des plus faciles, ne pourraient par ailleurs pas être accusées de participer, voire de favoriser une quelconque persécution des non-albanais au Kosovo. A titre subsidiaire, le représentant étatique fait valoir que les demandeurs ne renvoient qu’à la seule situation au Kosovo sans établir une persécution au Monténégro faisant toujours partie de la République Fédérale yougoslave et où ils avaient déjà trouvé refuge.

Les demandeurs font répliquer, quant à l’agression portée à l’encontre des parents de Monsieur DZOGOVIC, que les agresseurs étaient des militants de formations paramilitaires albanaises et que le père de Monsieur DZOGOVIC serait décédé des suites de cette agression tandis que sa mère souffrirait toujours de séquelles physiques et psychiques. Ils insistent pour dire que ces actes barbares ne sauraient être qualifiés autrement que comme actes de persécution et que leurs auteurs seraient nécessairement des agents de persécution, tout en soutenant que le même sort les attendrait en cas de retour dans leur pays d’origine. La situation au Monténégro serait sans relevance à cet égard d’après les demandeurs, étant donné qu’eux-mêmes n’y auraient pas trouvé refuge, mais seulement leurs parents et qu’on ne pourrait pas les forcer à aller s’y installer, alors qu’ils seraient en droit de retourner dans leur propre patrie et non pas dans un pays ou une région choisie par les autorités luxembourgeoises. Les demandeurs soutiennent finalement que les événements se passant encore actuellement dans leur patrie rendraient tout retour impossible.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur audition en date du 11 mars 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

S’il est bien vrai que l’avis de la commission consultative pour les réfugiés du 16 septembre 1999 indique de façon erronée que les demandeurs sont « de langue albanaise et de religion musulmane », cette incohérence avec l’appartenance ethnique et religieuse effective des demandeurs n’est néanmoins pas de nature à affecter la régularité des conclusions dégagées par la commission dans le dit avis, et partant la légalité de la décision entreprise, ces mêmes conclusions étant suffisamment précises pour prendre en considération la situation particulière des demandeurs.

A travers la motivation de leur recours, les demandeurs se prévalent en substance de persécutions de la part d’un groupe de la population à leur encontre et d’un défaut de protection de la part des autorités de leur pays d’origine face à ces actes de persécution.

Une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs établissent des actes de violence commis à l’encontre de membres de leur famille, mais ne démontrent ni avoir concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine ni le défaut de toute poursuite de ces actes de la part de ces dernières. S’y ajoute que les demandeurs ne prouvent point que les forces onusiennes et l’administration civile actuellement en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à la population du Kosovo.

Le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-

fondé et l’opportunité d’une décision entreprise d’après la situation existant au moment où il 4 statue (trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2000, v° Recours en réformation, n° 9). En l’espèce, les demandeurs restent en défaut d’établir une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine subsistant à l’heure actuelle.

Il y a lieu d’ajouter que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève (Cour adm. 11 février 1999, Kurpejovic, n° 10976C, Pas. adm. 1/2000, v° Etrangers, n° 30 et autres références y citées).

En l’espèce, les demandeurs n’allèguent aucun élément susceptible de justifier pour quelle raison leur désertion ou leur insoumission seraient de nature à entraîner dans leur chef des persécutions pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Le recours est partant à rejeter comme non fondé.

Quant à la demande en octroi de l’effet suspensif formulée dans le cadre du recours sous analyse et adressée à la formation collégiale du tribunal administratif, force est de constater que l’article 11 (3) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives attribue compétence exclusive au président du tribunal administratif pour y statuer, de manière à ce que le tribunal siégeant en formation collégiale est incompétent pour en connaître (trib. adm. 29 décembre 1999, Prum, n° 7340A, Pas. adm.

1/2000, v° Procédure contentieuse, n° 83). Par ailleurs cette même demande est de toute façon sans objet, l’article 13 de la loi précitée du 3 avril 1996 conférant l’effet suspensif à tout recours introduit à l’encontre d’une décision de refus du statut de réfugié politique.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, se déclare incompétent pour statuer sur la demande en octroi de l’effet suspensif, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mars 2000 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

5 s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11659
Date de la décision : 22/03/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-03-22;11659 ?

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