La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/03/2000 | LUXEMBOURG | N°11264

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 mars 2000, 11264


N° 11264 du rôle Inscrit le 27 avril 1999 Audience publique du 22 mars 2000

==============================

Recours formé par Madame … MONTEIRO BIAS, … contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Vu la requête inscrite sous le numéro 11264 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 1999 par Maître Anja REISDOERFER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MONTEIRO BIAS, de nationalité cap-verdienne, deme...

N° 11264 du rôle Inscrit le 27 avril 1999 Audience publique du 22 mars 2000

==============================

Recours formé par Madame … MONTEIRO BIAS, … contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Vu la requête inscrite sous le numéro 11264 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 1999 par Maître Anja REISDOERFER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MONTEIRO BIAS, de nationalité cap-verdienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 27 janvier 1999 lui refusant le permis de travail sollicité pour un emploi de femme de charge auprès de la société anonyme X. S.A., établie et ayant son siège social à L-… ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 1999 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries à l’audience publique du 21 février 2000.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

--

Suivant déclaration d’engagement tenant lieu de demande en obtention du permis de travail datée au 27 octobre 1998 et entrée le lendemain à l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée “ l’ADEM ”, la société anonyme X. S.A., établie et ayant son siège social à L-… et Madame … MONTEIRO BIAS, de nationalité cap-verdienne, demeurant à L-…, introduisirent une demande en obtention d’un permis de travail pour cette dernière pour un poste de “ femme de charge ”. La prédite déclaration indique comme date d’entrée en service le 26 octobre 1998.

Le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé “ le ministre ”, refusa de faire droit à cette demande par arrêté du 27 janvier 1999 “ pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

-

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 1.938 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi ;

-

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur ;

-

occupation irrégulière depuis le 26 octobre 1998 ;

-

augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi durant les cinq dernières années : 3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.357 en 1997 ”.

Par requête déposée le 27 avril 1999, Madama … MONTEIRO BIAS a fait introduire un recours en annulation contre ledit arrêté ministériel du 27 janvier 1999.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que l’arrêté ministériel déféré ne serait pas suffisamment motivé en ce qu’il se limiterait à communiquer le nombre de demandeurs d’emplois non qualifiés ressortissants de l’Union Européenne disponibles, sans pour autant préciser si le secteur d’activité par elle envisagé connaît un surcroît de demandes, et sans fournir de renseignements sur les activités pour lesquelles les demandeurs d’emplois visés inscrits à l’ADEM peuvent postuler. Elle soutient en outre que l’omission par l’employeur de déclarer vacant le poste par elle occupé ne pourrait justifier de plein droit le refus d’un permis de travail, alors que le ministre aurait fait une appréciation générale de la situation de l’emploi au Grand-Duché, mais n’aurait pas fait une appréciation concrète, particulière de son dossier. La demanderesse signale encore que son contrat de travail avec lequel l’X. a été conclu le 27 octobre 1998 avec effet au 26 octobre 1998 et fait valoir à cet égard qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’autoriserait l’Administration à refuser un permis de travail au motif que le travailleur a été occupé irrégulièrement. La partie demanderesse estime qu’il y aurait encore lieu de noter qu’à l’heure actuelle où le Gouvernement du Grand-Duché s’apprêterait à accorder à des réfugiés kosovars une autorisation de travailler, il serait, en vertu du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, juridiquement inconcevable qu’elle même, en tant que ressortissante cap-verdienne dotée d’une autorisation de séjour, se voie refuser le bénéfice d’un permis de travail à titre d’ouvrier non qualifié.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.

Une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la 2 demande de l’intéressée doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm. 13 janvier 1998, Pas. adm.

1/2000, V° Travail, II. Permis de travail, n° 26 et autres références y citées).

En l’espèce, l’arrêté ministériel du 27 janvier 1999 énonce cinq motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, de manière à suffire aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation ayant par ailleurs été utilement complétée en cours d’instance contentieuse par le représentant étatique, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision attaquée.

L’article 10 (1) du règlement du grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que “ l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ”.

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que “ 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2.

Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ” et dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que “ l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ”.

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, p. 2).

Il est constant que la demanderesse, en tant que ressortissante cap-verdienne, n’est pas bénéficiaire de la priorité à l’embauche ainsi énoncée et il se dégage des pièces versées au 3 dossier qu’elle n’était pas non plus, au moment de la prise de la décision litigieuse, détenteur d’un permis de travail valable.

Il s’ensuit que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles des ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen est en l’espèce justifiée, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles des ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète, en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste.

La déclaration de poste vacant, si elle peut certes ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit en tout état de cause être faite avant l’entrée en service de l’employeur. Faute par l’employeur de ce faire, l’ADEM est mise dans l’impossibilité de lui attribuer utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d’œuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger censé occuper le poste de travail vacant (trib. adm. 30 avril 1998, Pas. adm. 1/2000, V° Travail, II, Permis de travail n° 19, p. 326 et autres références y citées).

En l’espèce, c’est à juste titre que le représentant étatique a relevé que la déclaration d’engagement tenant lieu de demande en obtention du permis de travail datant du 27 octobre 1998, présentée par X. S.A. pour un poste de femme de charge, mentionne comme date d’entrée en service de Madame … MONTEIRO BIAS le 26 octobre 1998, soit une date antérieure à la date d’introduction de la déclaration d’engagement auprès de l’ADEM. Il s’ensuit que dans la mesure où la demande d’embauche est de surcroît limitée à une seule personne, l’administration n’était pas tenue d’assigner d’autres candidats à l’employeur qui n’avait manifestement pas l’intention d’engager une autre personne que celle nommément visée et d’ores et déjà entrée en service.

Dans ces circonstances, le ministre n’a pas été mis en mesure d’établir concrètement l’existence de travailleurs appropriés et disponibles sur place, qui auraient pu bénéficier d’une priorité d’emploi en leur qualité de ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen, avant l’entrée en service effective du demandeur.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations de la demanderesse basées sur le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, étant donné qu’elle reste en défaut de fournir des éléments suffisamment concrets sur lesquels elle se base aux fins de voir 4 établir l’illégalité alléguée. Le demandeur, dans le cadre d’un recours en annulation, doit en effet formuler les moyens à la base de son recours avec une précision telle que le tribunal appelé à statuer soit mis en mesure d’analyser in concreto la légalité de la décision déférée, celle-ci restant en effet acquise jusqu’à l’établissement d’éléments de fait et de droit permettant au tribunal de prononcer son annulation dans le cadre des cas d’ouverture prévus par la loi (trib. adm. 9 décembre 1998, n° 9683 du rôle, Da Graca Alves, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure contentieuse, IV. Requête introductive d’instance, n° 68 et autres références y citées).

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle de refus se trouve légalement justifiée par les motifs ainsi analysés et que le recours en annulation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant entièrement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent ni représenté à l’audience des plaidoiries est indifférent. Du moment que, tel le cas en l’espèce, la requête introductive d’instance a été déposée et que la partie défenderesse a déposé un mémoire en réponse, le jugement est rendu contradictoirement entre parties (trib. adm. 19 février 1997, Pas. adm. 1/2000, v° Procédure contentieuse, n° 132 et autres références y citées).

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mars 2000 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11264
Date de la décision : 22/03/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-03-22;11264 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award