La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/2000 | LUXEMBOURG | N°11377

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2000, 11377


Numéro 11377 du rôle Inscrit le 12 juillet 1999 Audience publique du 20 mars 2000 Recours formé par Madame … ANDRADE TEIXEIRA, Luxembourg contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro 11377 du rôle, déposée le 12 juillet 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Gérard A. TURPEL, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Madame … ANDRADE TEIXEIRA, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sin...

Numéro 11377 du rôle Inscrit le 12 juillet 1999 Audience publique du 20 mars 2000 Recours formé par Madame … ANDRADE TEIXEIRA, Luxembourg contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro 11377 du rôle, déposée le 12 juillet 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Gérard A. TURPEL, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ANDRADE TEIXEIRA, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 3 juin 1998 et d’une décision confirmative du même ministre du 16 avril 1999 rendue sur recours gracieux, les deux portant refus de lui délivrer le permis de travail pour un poste de garde d’enfants et d’aide ménagère;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 novembre 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Malika KHAYATI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par déclaration d’engagement datée au 4 mars 1998, parvenue à l’administration de l’emploi, ci-après appelée « ADEM », le 12 mars 1998, les époux X., demeurant à L-…, et Madame … ANDRADE TEIXEIRA, de nationalité capverdienne, demeurant à L-…, sollicitèrent en faveur de cette dernière un permis de travail pour un poste de « personnel de maison », l’entrée en service étant prévue « dès que possible » et la rémunération mensuelle pour ce poste fixée à 46.275 LUF, le tout en contre-partie de 40 heures de travail par semaine.

Par arrêté du 3 juin 1998, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre » refusa le permis de travail à Madame ANDRADE TEIXEIRA sur base des motifs suivants :

« - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2.337 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi ;

- priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) ;

- occupation irrégulière depuis le 01.03.1998 ;

- le travailleur n’est pas en possession d’une autorisation de séjour ;

- profil exigé non justifié compte tenu du fait que l’Etat luxembourgeois assure l’enseignement et la formation des élèves et étudiants ;

- augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi durant les cinq dernières années : 3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.257 en 1997 ».

Suite à cette décision ministérielle de refus, les époux X. demandèrent, suivant télécopie du 17 juin 1998, à l’ADEM de leur assigner d’urgence des candidats pour un poste défini comme « employée de maison (travaux de ménage et garde d’enfants), disposée à loger au foyer ». Sur les quelque 80 personnes assignées par l’ADEM, seules trois se déclarèrent disposées à loger au foyer des époux X., mais ne furent pas acceptées par ces derniers en raison respectivement de problèmes de langues, d’animaux domestiques intolérables et de problèmes psychologiques.

Un recours gracieux formé pour compte de Madame ANDRADE TEIXEIRA suivant courrier de son mandataire du 25 août 1998 fut rencontrée par une décision confirmative du 16 avril 1999.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles des 3 juin 1998 et 16 avril 1999, Madame ANDRADE TEIXEIRA fit introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 12 juillet 1999.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en matière de permis de travail, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La partie demanderesse reproche d’abord aux décisions attaquées le défaut de motivation se référant de manière suffisamment précise à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi et la formulation d’allégations vagues et imprécises qui ne seraient pas de nature à justifier un refus du permis de travail sollicité.

Une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

2 En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les complète a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm., 13 janvier 1998, Da Rocha Oliveira, n° 10243C, Pas. adm. 1/2000, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 28, et autres décisions y citées).

En l’espèce, l’arrêté du 3 juin 1998 énonce, de façon certes sommaire, cinq motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 prévisé, cette motivation ayant été utilement complétée par la décision confirmative du 16 avril 1999, ainsi que par le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement.

Il s’ensuit que le premier moyen laisse d’être fondé.

L’arrêté ministériel déféré du 3 juin 1998 est fondé notamment sur le motif de l’occupation irrégulière de Madame ANDRADE TEIXEIRA depuis le 1er mars 1998.

La partie demanderesse, sans contester les faits à sa base, considère que ce motif ne saurait lui être opposé en faisant valoir qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’autoriserait l’administration à refuser un permis de travail au motif que le travailleur a été occupé irrégulièrement.

L’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article premier du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2.

Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles » et dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer 3 et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, p. 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.

En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité capverdienne, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète de ressortissants de l’Espace Economique Européen, en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste. La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite avant l’entrée en service du travailleur. Faute par l’employeur de ce faire, l’ADEM est mise dans l’impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d’oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger censé occuper le poste de travail vacant (trib. adm. 30 avril 1998, Wagner et Skrijelj, confirmé par Cour adm. 20 octobre 1998, n° 10754C, Pas. adm. 1/2000, v° Travail, II., Permis de travail, n° 19 et autres références y citées).

En l’espèce, il résulte de l’arrêté ministériel du 3 juin 1998 et du mémoire du délégué du Gouvernement que la partie demanderesse était déjà au service des époux X. au moment de l’introduction de la déclaration d’engagement auprès de l’ADEM et qu’elle a conservé en fait ce poste dans la suite, ces éléments n’étant aucunement contestés par la partie demanderesse. Dans leur recours gracieux du 25 août 1998, les époux X. précisent encore « que Madame ANDRADE TEIXEIRA répond en tous points au profil prétracé et qu’elle accepte d’avoir à loger du lundi au samedi auprès de l’employeur » et ils renvoient au fait que la partie demanderesse est la cousine d’une autre personne ayant antérieurement occupé le même poste et qu’elle avait déjà fait la connaissance des époux X. et de leurs enfants.

Il résulte de ces éléments non autrement mis en cause que la partie demanderesse occupait déjà le poste au moment du dépôt de la déclaration d’engagement, de sorte que 4 l’ADEM a été mise dans l’impossibilité d’établir utilement la disponibilité concrète de demandeurs d’emploi par l’assignation de candidats au poste à pourvoir. La demande en assignation de demandeurs d’emploi formée par les époux X. le 17 juin 1998 et les assignations intervenues à sa suite ne sauraient régulariser ex post la procédure d’octroi du permis de travail, les dispositions du 3e alinéa de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 ne souffrant aucune exception en ce sens (cf. trib. adm. 19 février 1997, Planistat Europe, n° 9524, Pas. adm. 1/2000, V° Travail, n° 16).

Etant donné que l’arrêté déféré est légalement justifié par le seul constat de l’occupation illégale avant la remise de la déclaration d’engagement, le recours laisse d’être fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser plus loin les autres moyens soulevés par la partie demanderesse.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2000 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. DELAPORTE 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11377
Date de la décision : 20/03/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-03-20;11377 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award