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17/02/2000 | LUXEMBOURG | N°11641

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 février 2000, 11641


N° 11641 du rôle Inscrit le 29 octobre 1999 Audience publique du 17 février 2000

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Recours formé par Monsieur … KOTOBELLI et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11641 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 1999 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de Monsieur … KOTOBELLI, de Madame … X., de Mademoiselle … KOTOBELLI et de Monsieu...

N° 11641 du rôle Inscrit le 29 octobre 1999 Audience publique du 17 février 2000

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Recours formé par Monsieur … KOTOBELLI et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11641 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 1999 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOTOBELLI, de Madame … X., de Mademoiselle … KOTOBELLI et de Monsieur … KOTOBELLI, tous les quatre de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 août 1999, ainsi que d’une décision confirmative du 28 septembre 1999, rendue sur recours gracieux, les deux portant rejet de leur demande en obtention du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 1999 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Marc ELVINGER, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 août 1998, Monsieur … KOTOBELLI, né le … à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, introduisit au Luxembourg auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.

L’épouse de Monsieur KOTOBELLI, Madame … X., née le … à Tirana introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève auprès du service compétent du ministère de la Justice en date du 14 décembre 1998, après être arrivée au Luxembourg la veille.

Les enfants des époux KOTOBELLI-X., à savoir Mademoiselle … KOTOBELLI, née le 12 août 1979 à Tirana, ainsi que Monsieur … KOTOBELLI, né le 6 février 1981 à Tirana, ont présenté des demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, respectivement en dates des 23 décembre 1998 et 11 janvier 1999.

Monsieur … KOTOBELLI fut entendu en dates des 14 avril et 9 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande. Son épouse Madame … X. fut entendue en dates du 14 avril, 9 et 10 juin 1999 aux mêmes fins. Leurs enfants Mademoiselle … KOTOBELLI et Monsieur … KOTOBELLI furent également entendus par un agent dudit ministère, à savoir, en ce qui concerne leur fille, en dates des 14 avril et 10 juin 1999 et en ce qui concerne leur fils, en date du 14 avril 1999, chaque fois lors d’auditions séparées.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 20 juillet 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur … KOTOBELLI, par lettre du 16 août 1999, notifiée le 19 août 1999, que leurs demandes respectives avaient été rejetées aux motifs suivants : “ Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ”.

Suite à un recours gracieux daté du 21 septembre 1999 et parvenu au ministère de la Justice le même jour, introduit par le mandataire de la famille KOTOBELLI-X., le ministre réitéra son refus par décision du 28 septembre 1999.

Par requête déposée en date du 29 octobre 1999, Monsieur et Madame … KOTOBELLI-X., ainsi que leurs enfants Mademoiselle … KOTOBELLI et Monsieur … KOTOBELLI, ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées des 16 août et 28 septembre 1999.

Le tribunal étant compétent, en vertu des dispositions de l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que contrairement aux conclusions retenues par la commission consultative pour les réfugiés dans son avis précité du 20 juillet 1999, les faits invoqués par eux en vue de justifier leurs craintes de persécution ainsi que leurs persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine ne s’inscrivaient pas dans un contexte de criminalité répandue en Albanie mais qu’au contraire, les persécutions dont ils auraient fait l’objet en Albanie justifieraient la reconnaissance du statut de réfugié politique. Le ministre aurait partant commis une erreur d’appréciation des faits lui soumis par eux au cours de leurs différentes auditions en ce qu’il n’aurait notamment pas pris en considération “ l’arrière-fond factuel du dossier ”.

2 Ils exposent plus particulièrement dans leur requête introductive d’instance que la famille de Monsieur … KOTOBELLI aurait “ un long passé d’opposition à l’ancien régime communiste, dont les “ héritiers ” sont revenus au pouvoir après les troubles de 1997, étant rappelé que suite à l’emprisonnement de son père en 1985, considéré comme ennemi de l’Etat et à qui il a été reproché de vouloir tuer Enver Hoxha, Monsieur KOTOBELLI a lui même perdu son emploi antérieur et a été affecté à un travail forcé dans les mines ”. Les demandeurs font encore valoir que dès le renversement du régime communiste en 1990, Monsieur … KOTOBELLI aurait immédiatement rejoint le parti démocratique dont il aurait été l’un des membres fondateurs, et qu’il aurait été actif dans la section de Tirana. Par ailleurs, Monsieur … KOTOBELLI aurait dénoncé publiquement ceux qui sous le régime communiste ayant gouverné en Albanie avant 1990, auraient été responsables de l’emprisonnement, de la condamnation et du mauvais traitement de son père, ce qui aurait eu pour conséquence que lui-

même et sa famille auraient été harcelés et qu’ils auraient dû souffrir d’actes commis à leur encontre, comme notamment des “ vols mineurs accompagnés de menaces n’ayant aucun arrière fond, ni aucune finalité financière ”, et qui n’auraient aucun sens si on les analysait sous le point de vue de la criminalité de droit commun, mais qui, au contraire, pourraient aisément se comprendre si on prenait en considération le “ rôle d’opposant politique actif de Monsieur KOTOBELLI [ainsi que] son passé familial ”.

En ce qui concerne la fille des époux KOTOBELLI-X., à savoir Mademoiselle … KOTOBELLI, les demandeurs exposent que celle-ci aurait constamment eu des problèmes à l’école et qu’elle n’aurait pas été admise à l’université, sans que ce refus ne soit justifié pour des raisons “ valables ”. Ses problèmes scolaires ne pourraient pas non plus être liés à un problème de criminalité de droit commun. Dans ce contexte, les demandeurs soutiennent encore que déjà Monsieur … KOTOBELLI n’aurait jamais eu accès à des études universitaires, du fait de l’engagement politique de son père.

En conclusion, les demandeurs estiment que sur base du passé familial d’opposition politique de leur famille, des activités politiques de Monsieur … KOTOBELLI au sein du parti démocratique, ainsi que sur base des actes de persécution qu’ils ont dû souffrir après le retour au pouvoir du parti socialiste, ils pourraient légitimement et raisonnablement craindre de faire l’objet de persécutions pour des motifs retenus par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que contrairement aux affirmations des demandeurs, la commission consultative pour les réfugiés n’aurait pas fait abstraction de l’arrière-fond factuel du dossier, en ce qu’elle aurait apprécié à leur juste valeur les faits qui ont été soumis au ministre de la Justice par les différents demandeurs.

Le représentant étatique estime que la demande des membres de la famille KOTOBELLI-X. serait basée sur de “ pures suppositions ” et que certaines menaces resteraient à l’état de pures allégations ou d’hypothèses qui ne seraient étayées par aucun élément du dossier. Il n’existerait, à son avis, aucune persécution systématique de la part de l’Etat albanais rendant toute vie impossible en Albanie pour les demandeurs. Il retient, à la suite des conclusions de la commission consultative pour les réfugiés, que les faits invoqués par les demandeurs s’inscriraient dans un cadre de criminalité de droit commun. Par ailleurs, certains des actes commis à l’égard des membres de la famille KOTOBELLI-X. constitueraient “ tout au plus des actes d’intimidation isolés provenant de personnes privées et qui ne sauraient en aucun cas être attribués aux autorités albanaises ”.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en dates des 14 avril, 9 et 10 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés dans leur recours gracieux ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs ont su établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence de craintes justifiées de persécution du fait de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève. En effet, s’il est vrai que les demandeurs n’invoquent, ni a fortiori ne prouvent, des menaces concrètes ou des mauvais traitements envers leur personne de la part des autorités albanaises, il n’en reste pas moins que les demandeurs peuvent légitimement craindre, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, d’être persécutés dans leur pays d’origine en raison de leurs convictions politiques telles que prévues par l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les demandeurs ont en effet fourni des explications cohérentes et crédibles, dont il se dégage qu’ils font partie d’une famille d’opposants, qui a souffert sous le régime communiste en Albanie en raison des opinions et prises de position politiques de ses membres. Dans ce contexte, il y a lieu de relever le fait que le père de Monsieur … KOTOBELLI a été arrêté en 1985, à la suite des accusations portées contre lui en ce qu’il aurait été un “ ennemi de l’Etat ”, que les autorités publiques lui ont reproché d’avoir voulu tuer Monsieur Enver HOXHA et qu’il a été condamné à 25 ans de prison pour les faits ainsi qualifiés.

Les demandeurs ont encore déclaré au cours de leurs auditions respectives qu’à la suite de cet emprisonnement, Monsieur … KOTOBELLI serait activement intervenu auprès des autorités en vue d’obtenir la libération de son père notamment en raison de son état de santé et qu’à la suite de ces interventions, il aurait été licencié en 1985, quelques mois après l’emprisonnement de son père, et qu’il aurait été obligé à travailler dans les mines.

Il ressort encore des explications des demandeurs corroborées par une pièce – dans l’authenticité n’a pas été mise en doute – que Monsieur … KOTOBELLI a été membre fondateur du parti démocratique en janvier 1991 et qu’il a activement collaboré au sein de la 4 présidence de la section n° 11 de la filiale de Tirana dudit parti démocratique en ce qu’il aurait collaboré à la résolution de certains “ problèmes ” ayant trait à la “ Verstärkung von Parteistrukturen und neue Mitglieder gearbeitet. Er hat auch bei der Wahlkommissionen gearbeitet ”.

En tant que membres d’une famille d’activistes d’un mouvement d’opposition, à la suite de la reprise du pouvoir, en 1997, par le parti socialiste composé des anciens dirigeants communistes ayant dirigé le pays jusqu’en 1990, les demandeurs peuvent craindre à raison d’être exposés à des représailles, sinon de la part des autorités en place, du moins de groupements “ paramilitaires ”, indépendamment de la question de savoir si ces groupements sont sciemment utilisés par les autorités ou s’ils échappent à leur contrôle. Ces représailles sont notamment établies par le fait que la fille des époux KOTOBELLI-X., à savoir Mademoiselle … KOTOBELLI n’a pas été admise à suivre des cours à l’université et qu’elle a eu des problèmes à l’école en raison de son refus de participer à des manifestations dirigées contre le pouvoir en place avant la reprise du pouvoir par le parti socialiste en 1997. Ces craintes de persécution sont encore établies par le fait que non seulement avant le départ de Monsieur … KOTOBELLI de sa maison familiale en Albanie pour se rendre au Luxembourg mais également après ledit départ, des membres de sa famille ont fait l’objet de menaces et de pressions de la part de différentes personnes qui, d’après les explications fournies par les demandeurs, sont vraisemblablement liées à deux juges d’instruction, qui ont été dénoncés après le changement politique intervenu en Albanie en 1991 par Monsieur … KOTOBELLI dans le cadre de l’arrestation de son père. Dans ce contexte, il y a lieu de se référer à la déclaration faite par Madame … X., lors de ses auditions des 14 avril et 9 et 10 juin 1999, dont il ressort qu’elle a été directement menacée par une personne qu’elle qualifie elle-même d’“ ancien membre de la police secrète, qui venait à l’époque pour emmener mon beau-père chez le juge d’instruction pour qu’il soit interrogé ”. Cette personne lui aurait par ailleurs dit que son mari “ allait finir comme son père ”.

D’autres menaces ont été proférées à l’égard de la famille de Monsieur KOTOBELLI lors d’une visite à son domicile vers la mi-août 1998, quelques jours après son départ de l’Albanie.

Il se dégage de l’ensemble des renseignements fournies et des pièces versées au tribunal que les demandeurs peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à une famille d’opposants à l’ancien régime communiste et, en tant que militants actifs du parti démocratique, aux autorités actuellement en place. – Eu égard à leur situation, non seulement l’épouse de Monsieur KOTOBELLI, mais également leurs enfants … et … KOTOBELLI peuvent avoir des craintes identiques d’être persécutés. Les demandeurs remplissent partant les conditions posées par l’article 1er, A, 2. de la Convention de Genève pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié politique.

Il s’ensuit que les décisions ministérielles de rejet de leurs demandes d’asile politique sont à réformer en ce sens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

5 au fond le déclare justifié ;

partant réforme les décisions ministérielles des 16 août et 28 septembre 1999 et accorde le statut de réfugié politique à Monsieur … KOTOBELLI, à Madame … X., à Mademoiselle … KOTOBELLI, ainsi qu’à Monsieur … KOTOBELLI ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 17 février 2000 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11641
Date de la décision : 17/02/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-02-17;11641 ?

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