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16/02/2000 | LUXEMBOURG | N°11491

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 février 2000, 11491


N° 11491 du rôle Inscrit le 23 août 1999 Audience publique du 16 février 2000

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Recours formé par la …, contre le règlement grand-ducal du 31 mai 1999 modifiant le règlement grand-ducal du 14 décembre 1994 concernant la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11491C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative en date du 23 ao

t 1999 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avo...

N° 11491 du rôle Inscrit le 23 août 1999 Audience publique du 16 février 2000

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Recours formé par la …, contre le règlement grand-ducal du 31 mai 1999 modifiant le règlement grand-ducal du 14 décembre 1994 concernant la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11491C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative en date du 23 août 1999 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la …, société coopérative, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 31 mai 1999 modifiant le règlement grand-ducal du 14 décembre 1994 concernant la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, publié au Mémorial A, n° 69 du 11 juin 1999, pris en tant qu’acte administratif à caractère réglementaire sur base de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 24 août 1999 portant signification de ce recours à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu l’article 71 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et modification de certaines dispositions législatives, suivant lequel le recours introduit sous le numéro 11491C du rôle a été transmis au tribunal administratif sans autre forme de procédure pour y revêtir le numéro 11491 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 1999 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 1999 par Maître Albert RODESCH pour compte de la … ;

Vu les pièces versées au dossier ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Albert RODESCH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 janvier 2000.

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Par requête déposée au greffe de la Cour administrative en date du 23 août 1999, la …, société coopérative, établie et ayant son siège social à L-…, ci-après désignée par “ la … ”, a formé un recours en annulation enrôlé sous le numéro 11491C du rôle et basé sur l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, contre le règlement grand-ducal du 31 mai 1999 modifiant le règlement grand-ducal du 14 décembre 1994 concernant la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, publié au Mémorial A, n° 69 du 11 juin 1999.

Conformément à l’article 71 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et modifiant un certain nombre de dispositions légales y plus amplement mentionnées, ledit recours portant le numéro 11491C du rôle, pour lequel le rapport du magistrat-rapporteur n’avait pas encore été présenté devant la Cour administrative à la date du 16 septembre 1999, a été transmis au tribunal administratif sans autre forme de procédure pour y revêtir le numéro 11491 du rôle.

Avant de procéder à l’examen de la recevabilité et du bien-fondé du recours, le tribunal est amené à examiner en premier lieu la question de sa compétence pour connaître de l’acte déféré.

D’après l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996, le tribunal administratif est actuellement appelé à statuer “ sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent ”.

Il se dégage à travers notamment la genèse du texte de loi en question reflétant l’intention du législateur que la notion y retenue d’acte administratif à caractère réglementaire ne couvre pas toutes les décisions qui sont arrêtées sous la forme d’une norme réglementaire.

Le critère de distinction souligné par les auteurs du texte devenu loi impose en effet que le recours en annulation prévu par l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 précitée “ ne peut entrer en ligne de compte que s’il s’agit d’actes que l’autorité administrative émet en tant que puissance publique dans un domaine où la loi l’habilite à fixer d’autorité des situations juridiques par la voie d’actes administratifs à caractère général qui affectent directement des intérêts privés, sans qu’il soit nécessaire de prendre des actes administratifs individuels ” (cf. deuxième avis complémentaire du Conseil d’Etat du 14 juin 1996, doc. parl. 3940A4 – Examen des amendements; p. 3), étant entendu que la commission des institutions et de la révision constitutionnelle de la Chambre des Députés, dans son rapport du 5 juillet 1996, a précisé à ce sujet que si un administré faisant l’objet d’une décision prise sur la base d’une disposition réglementaire illégale peut se défendre en exhibant de cette illégalité, il n’en resterait pas moins qu’il existe des cas d’actes réglementaires qui créent des droits et devoirs subjectifs sans devoir recourir à l’entremise des décisions d’exécution (doc. parl. 3940A7, p. 23).

Il y a partant lieu d’admettre que le législateur luxembourgeois n’a pas prévu dans le chef des juridictions de l’ordre administratif un recours en annulation ouvert directement contre toute disposition à caractère réglementaire, mais a limité le recours direct en annulation à l’encontre d’un acte administratif à caractère réglementaire aux seuls actes de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés d’une ou de plusieurs personnes dont ils affectent immédiatement la situation sans nécessiter pour autant la prise d’un acte administratif individuel d’exécution (cf.

trib. adm. 31.1.2000, n° 11432 du rôle, Fortes).

En l’espèce la … fait valoir qu’elle serait directement touchée par le règlement grand-ducal du 31 mai 1999 déféré, du fait que dans le cadre de ses activités elle exerce le commerce de produits phytopharmaceutiques et serait partant obligée de se conformer aux exigences inscrites à l’article 3 paragraphe 2 sous b) du règlement grand-ducal du 14 septembre 1994 concernant la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans sa version lui conférée par le règlement grand-ducal litigieux.

Le règlement grand-ducal déféré du 31 mai 1999 dispose dans son article 1er que “ le règlement grand-ducal du 14 décembre 1994 concernant la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est modifié comme suit :

A l’article 3 les paragraphes 1 et 2 sont remplacés par le texte suivant :

“ 1. L’introduction sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, la production, le transport, le stockage, la détention, la mise sur le marché au Grand-Duché de Luxembourg, l’offre pour la vente et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, qui ne sont pas agréés suivant les dispositions prévues par le présent règlement ou qui contiennent une ou plusieurs des matières actives énumérées à l’annexe II sont interdits.

Cette disposition ne concerne pas les produits phytopharmaceutiques dont l’usage est couvert par les dispositions de l’article 24.

2. Par dérogation aux dispositions du paragraphe précédent et sans préjudice d’autres dispositions légales concernant la production, le stockage ou le transport des substances dangereuses, les produits phytopharmaceutiques, non-agréés au Grand-Duché de Luxembourg, peuvent être produits, stockés temporairement ou circuler sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, s’ils sont destinés à être utilisés dans un autre Etat membre, dans la mesure où :

a) le produit est autorisé dans un autre Etat membre b) dans le but du contrôle permettant d’assurer le respect des dispositions du présent règlement, la personne responsable, avant de produire ou de stocker ces produits sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en a informé le service en indiquant les informations suivantes :

- nom commercial exact et complet du produit, - numéro d’autorisation dans le pays d’origine, - numéro d’autorisation dans le pays de destination, - numéros de référence ou du lot figurant sur les étiquettes des produits, - nom et concentration des matières actives, - nom et adresse complète du destinataire, - date d’arrivée et date de sortie des lots, - lieu du stockage ou de la production, - quantité du produit entreposé (nombre et contenance des emballages) ”.

Dans la mesure où l’article 3 ainsi modifié énonce dans son point 1 une interdiction de principe concernant un certain nombre de produits et impose, dans son point 2 sub b), directement à la personne responsable qui entend produire, stocker ou circuler les produits y plus particulièrement visés sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, une obligation d’information concrète et directe, à laquelle cette personne ne peut se soustraire sous peine d’enfreindre la loi, ledit règlement grand-ducal constitue un acte administratif à caractère réglementaire de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés de la partie demanderesse dont il affecte immédiatement la situation sans nécessiter pour autant la prise d’une décision administrative individuelle d’exécution.

Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours sous examen dans cette mesure.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant plus particulièrement la procédure d’adoption du règlement grand-ducal déféré, la partie demanderesse fait d’abord valoir que le texte réglementaire en cause serait vicié dans la mesure où l’urgence invoquée pour voir dire, conformément à l’article 2 (1) de la loi du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat, que la saisine de ce dernier n’était pas requise, n’aurait pas pu être valablement invoquée en l’espèce.

Elle se prévaut à cet égard des dispositions de l’article 1er de la loi modifiée du 9 août 1971 concernant l’exécution et la sanction des règlements des Communautés européennes en matière économique, technique, agricole, forestière, sociale et en matière de transport pour soutenir que la transposition d’une directive ayant trait à l’une des matières ainsi visées en droit national devrait se faire par voie de règlement d’administration publique à prendre sur avis obligatoire du Conseil d’Etat, après avoir demandé l’avis des chambres professionnelles et après avoir reçu l’assentiment de la commission de travail de la Chambre des députés. Elle estime que dans la mesure où le règlement grand-ducal déféré aurait été adopté au mépris de la procédure ainsi prévue par la loi, il serait entaché d’illégalité pour vice de procédure.

Le délégué du Gouvernement rencontre ce moyen en faisant valoir que la loi modifiée du 9 août 1971 ainsi invoquée, ne servirait de base légale à la transposition d’une directive des Communautés européennes que dans l’hypothèse où la législation nationale ne disposerait d’aucune réglementation en la matière.

Il signale à cet égard que les produits phytopharmaceutiques sont réglementés au Luxembourg par la loi du 20 février 1968 ayant pour objet le contrôle des pesticides et des produits phytopharmaceutiques, qui prévoit dans son article 2 que “ le Grand-Duc est autorisé à réglementer, le collège médical entendu en son avis, la détention, la fabrication, l’importation, la livraison ou le transport en vue de la vente, l’offre en vente, la vente, la délivrance et l’acquisition à titre onéreux ou à titre gratuit, l’échange, ainsi que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ”. Il soutient qu’il s’agirait en l’occurrence de la loi-cadre en la matière concernée, de sorte que ce serait à juste titre que cette loi du 20 février 1968 a servi de base légale au règlement grand-ducal déféré et que partant l’avis du Conseil d’Etat n’aurait pas été obligatoire en l’espèce, étant entendu qu’il n’aurait pas été demandé en raison de l’urgence qu’a revêtu la transposition de la directive communautaire concernée.

Il est constant que le règlement grand-ducal déféré modifie celui du 14 décembre 1994 précité ayant pour objet la transposition en droit national de la directive du Conseil 91/414/CEE du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, ceci suite à une série d’observations formulées par la Commission européenne par courrier du 31 juillet 1995 tendant à relever que la directive en question, par ailleurs modifiée par la suite par la directive 97/57/CE du 22 septembre 1997, n’avait pas été correctement transposée en droit luxembourgeois.

A travers la modification que le règlement grand-ducal déféré opère, il participe dès lors à la transposition d’une directive communautaire relative à l’une des matières couvertes par la loi du 9 août 1971 précitée, qui dispose dans son article 1er que “ l’exécution et la sanction des décisions et des directives ainsi que la sanction des règlements des Communautés européennes en matière économique, technique, agricole, forestière, sociale et en matière de transport se feront par règlement d’administration publique à prendre sur avis obligatoire du Conseil d’Etat, après avoir demandé l’avis des chambres professionnelles intéressées et reçu l’assentiment de la commission de travail de la Chambre des députés. Seront toutefois exceptées de cette réglementation, qui peut déroger aux lois existantes, les matières réservées à la loi par la Constitution. ” La loi du 9 août 1971 précitée tend partant, à travers son libellé non équivoque à cet égard, à investir l’exécutif de la compétence de prévoir, suivant une procédure assortie d’un certain nombre de garanties procédurales, toute mesure nécessaire à l’exécution notamment des directives communautaires y visées, avec par ailleurs la faculté exorbitante de déroger aux lois existantes, en vue d’uniformiser, à travers une procédure simplifiée par rapport à la procédure législative proprement dite, la transposition en droit national desdites directives.

Dans la mesure où l’article 1er de la loi du 9 août 1971 précité énonce les garanties procédurales retenues autour du mode d’exécution des directives y prévu, qui sont en l’occurrence l’avis obligatoire du Conseil d’Etat, après demande de l’avis des chambres professionnelles intéressées et réception de l’assentiment de la commission de Travail de la Chambre des députés, d’une manière impérative et sans prévoir de dérogation afférente, lesdites garanties constituent le standard minimum que le législateur a entendu voir respecter lorsque l’exécutif est appelé à agir dans le cadre tracé par cette loi.

Il s’ensuit que le cas d’urgence déjà prévu à l’époque dans les mêmes termes à l’article 31 de la loi du 8 février 1961 portant organisation du Conseil d’Etat et actuellement inscrit à l’article 2 (1) de la loi du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat, en ce qu’il dispose qu’ “ aucun projet ni aucune proposition de loi ne sont présentés à la Chambre de députés et, sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand-Duc, aucun projet de règlement pris pour l’exécution des lois et des traités ne sont soumis au Grand-Duc qu’après que le Conseil d’Etat a été entendu en son avis ”, n’a pas pu être invoqué utilement en l’espèce dès lors que le règlement grand-ducal déféré ne tend ni simplement à l’exécution d’une loi, ni encore d’un traité, mais, en participant à la transposition d’une directive communautaire, s’inscrit plus particulièrement dans l’une des hypothèses expressément visées par la loi du 9 août 1971 précitée qui n’investit l’exécutif à agir que sous certaines conditions déterminées, et ne permet aucune dérogation au caractère obligatoire de l’avis du Conseil d’Etat y retenu.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la considération que la loi modifiée du 20 février 1968 invoquée par le représentant étatique au titre de loi-cadre en la matière concernée, investit le Grand-Duc d’un pouvoir général à agir dans le cadre par elle tracé, étant donné que la loi de 1971 est à considérer comme une loi spéciale, de surcroît postérieure à celle invoquée de 1968, en ce que de par son objet, elle tend à une fin bien spécifique, en l’occurrence la mise en oeuvre et la sanction au niveau national des décisions et des directives, ainsi que la sanction des règlements des Communautés européennes en matière économique, technique, agricole, forestière, sociale et de transport, activité non prévue en tant que telle par la loi du 20 février 1968 précitée.

C’est partant à bon droit que la partie demanderesse conclut à l’annulation du règlement grand-ducal déféré pour avoir été adopté au mépris de la procédure inscrite à l’article 1er de la loi du 9 août 1971 précitée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule le règlement grand-ducal déféré du 31 mai 1999 ;

ordonne la publication de ce jugement conformément aux dispositions de l’article 7 (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 février 2000 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11491
Date de la décision : 16/02/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-02-16;11491 ?

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