N° 11283 du rôle Inscrit le 10 mai 1999 Audience publique du 14 février 2000
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Recours formé par Monsieur …TRAN, ..
contre une décision du bureau d’imposition X. de l’administration des Contributions directes et une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal
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Vu la requête inscrite sous le numéro 11283 du rôle et déposée en date du 10 mai 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilbert HELLENBRAND, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur …TRAN, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année 1993 lui notifiés en date du 13 juillet 1998, ainsi que d’une décision de rejet par le silence, ainsi qualifiée, du directeur de l’administration des Contributions directes de sa réclamation introduite en date du 16 septembre 1998 à l’encontre des dits bulletins ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2000 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stephane MAAS, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 janvier 2000.
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Le bureau d’imposition de X., section personnes physiques, de l’administration des Contributions directes émit en date du 13 juillet 1998 les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour l’année 1993 à l’encontre de Monsieur …TRAN, demeurant à L-… Lesdits bulletins font état dans le chef de Monsieur …TRAN d’un bénéfice commercial de l’ordre de … LUF. Il est précisé au détail concernant l’établissement de la base d’assiette globale que “ le bénéfice se base sur un rapport de l’administration de l’Enregistrement suite à un contrôle de la société Y. S.A. Le bénéfice a été établi par comparaison de fortune ”. Il est encore précisé que l’imposition sur le revenu litigieuse “ diffère de la déclaration sur les points suivants : bénéfice commercial - l’imposition du bénéfice tient compte de l’intégralité de 1 l’impôt commercial qui découle de ce bénéfice ”.
Par l’intermédiaire de son mandataire, Monsieur TRAN a fait introduire par lettre du 16 septembre 1998 une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après appelé “ le directeur ”, contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal 1993 prévisés, par laquelle il conteste notamment “formellement avoir retiré un bénéfice de … Luf de la société Y. S.A. en 1993, alors qu’il a démissionné comme administrateur de ladite société avec effet au 31 décembre 1991 et qu’il a été licencié en qualité d’employé en date du 2 août 1993 par celle-ci” .
Cette lettre de réclamation étant restée sans suite, Monsieur TRAN a fait déposer en date du 10 mai 1999 un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins critiqués.
Le tribunal étant appelé, en vertu des dispositions combinées de l’article 8 (3), alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, dite “ Abgabenordnung ”, ci-après appelée “ AO ”, à statuer comme juge du fond en la matière, il a compétence pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les bulletins déférés de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année 1993.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation, ainsi qu’à celle du recours contre la décision implicite de rejet du directeur comme ne rentrant pas dans les prévisions de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 précitée.
Concernant plus particulièrement le recours dirigé contre le bulletin de l’impôt commercial communal déféré, le délégué du Gouvernement fait remarquer qu’en application du paragraphe 232, alinéa 2 AO, le bénéfice d’exploitation ne peut en principe être valablement critiqué que par une réclamation dirigée contre le bulletin de la base d’assiette.
Il se dégage à cet égard du libellé de la réclamation préalable du 16 septembre 1998, que Monsieur TRAN, en contestant les cotes respectives d’impôt, a entendu réclamer contre la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu de l’année 1993 et plus particulièrement contre le bulletin d’établissement du bénéfice commercial.
S’il est bien vrai que tant le bulletin de l’impôt sur le revenu que celui de la fixation de l’impôt commercial communal ne sont pas susceptibles d’être attaqués par des moyens relatifs à ce qui est tranché par un bulletin de la base d’assiette, il en est autrement si le bulletin de la base d’assiette se trouve réuni au bulletin de l’impôt commercial communal dans un même support matériel. Plutôt que de se limiter au sens littéral des termes employés, il convient d’analyser dans ce cas le recours du contribuable selon l’intention qu’il a clairement manifestée, à savoir celle d’agir contre la base d’assiette de l’impôt communal (cf. trib. adm. 20 mai 1998, n°s 10163 et 10164 du rôle, Ville de Luxembourg, Pas. adm. 2/99 V° Impôts, n° 180).
Le recours de Monsieur TRAN tendant formellement à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année 1993 est partant recevable dans cette mesure pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
2 A l’appui de son recours le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le bureau d’imposition a décidé de lui imputer un bénéfice commercial de 3.667.969.- LUF, alors qu’il ne pourrait “ être imposé pour les bénéfices de la société elle-même en l’absence de toute distribution ”, que par ailleurs il n’aurait plus été actif au sein de la société pendant l’année d’imposition litigieuse et que, de plus, il se dégagerait des bilans de la société Y. S.A. que celle-ci n’aurait pas réalisé de bénéfices, de sorte qu’il ne saurait en tout état de cause être imposé sur des sommes qu’il n’aurait nullement touchées.
Il se dégage des pièces versées au dossier que le bureau d’imposition de X. a imputé à Monsieur TRAN un bénéfice commercial de … LUF en procédant par voie de taxation et en se basant sur les conclusions d’un rapport du service du contrôle extérieur de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, établi en date du 22 juillet 1994, relatant notamment le résultat d’une comparaison de fortune à laquelle il fut procédé dans le chef du demandeur.
La procédure d’instruction fiscale préalable est dominée par le principe de l’examen et de l’instruction d’office des cas d’imposition, ancré dans le paragraphe 204, alinéa 1er AO qui dispose que “ das Finanzamt hat die steuerpflichtigen Fälle zu erforschen und von Amts wegen die tatsächlichen und rechtlichen Verhältnisse zu ermitteln, die für die Steuerpflicht und die Bemessung der Steuer wesentlich sind. Es hat Angaben der Steuerpflichtigen auch zugunsten des Steuerpflichtigen zu prüfen”.
Concernant l’instruction fiscale, il est encore patent que conformément au paragraphe 205 AO, qui dispose dans ses deux premiers alinéas que“ (1) Das Finanzamt hat die Steuererklärungen (§166) zu prüfen. Soweit nötig, hat es tunlichst durch schriftliche Aufforderung zu veranlassen , dass Lücken ergänzt und Zweifel beseitigt werden.
(2) Trägt das Finanzamt Bedenken gegen die Richtigkeit der Erklärung, so hat es, wenn nötig, Ermittlungen vorzunehmen. Es kann den Steuerpflichtigen, falls eine Aufforderung zu schriftlicher Erklärung nicht angezeigt ist oder keinen Erfolg hat, vorladen und ihn nach den §§ 170 ff. zu Auskunft und weiteren Nachweisungen anhalten. ”, le bureau d’imposition, lorsqu’il est amené à douter raisonnablement du caractère véridique et complet des déclarations d’un contribuable, doit, en cas de nécessité objectivement vérifiée, procéder à des investigations supplémentaires, étant entendu que dans l’exercice de sa mission d’investigation, le bureau est en premier lieu amené à faire appel à la coopération du contribuable, tel que retenu au paragraphe 170 AO qui dispose à cet égard notamment que “ (1) Im Fall des § 205 Absätze 1 und 2 hat der Steuerpflichtige nach schriftlicher Mitteilung der Punkte, über die er sich äussern soll, vor dem Finanzamt zu erscheinen, wenn er nicht durch triftige Gründe daran verhindert ist. Er hat ihm wahrheitsgemäss nach bestem Wissen und Gewissen Auskunft zu geben. Kann er nicht aus dem Gedächtnis Auskunft geben, so hat er Schriftstücke und Geschäftsbücher, die ihm zur Verfügung stehen, einzusehen und, soweit nötig, Aufzeichnungen daraus zu entnehmen.) (2) Das Finanzamt kann schrifliche Auskunft verlangen. ” Au vœu du paragraphe 171 AO, il incombe au contribuable de collaborer avec le bureau d’imposition en vue d’étayer, dans les hypothèses posées, l’exactitude de ses déclarations. Ledit paragraphe précise encore que “ Wo seine Angaben zu Zweifel Anlass geben, hat er sie zu ergänzen, den Sachverhalt aufzuklären und seine Behauptungen, soweit ihm dies nach den Umständen zugemutet werden kann, zu beweisen, zum Beispiel, den 3 Verbleib von Vermögen, das er früher besessen hat ”.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier qui sont à la disposition du tribunal que c’est par une juste appréciation des circonstances de fait que le bureau d’imposition a pu avoir des doutes raisonnables sur le caractère complet et véridique des déclarations du demandeur, ceci rien qu’au regard des conclusions du rapport précité du service du contrôle extérieur de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines du 22 juillet 1994.
Si les doutes ainsi relevés ont dès lors pu justifier, dans le chef de l’autorité compétente, la décision de procéder à des mesures d’instruction supplémentaires, notamment au sujet d’un éventuel bénéfice commercial non déclaré par Monsieur TRAN, il demeure que cette investigation doit être effectuée de manière contradictoire et dans le respect des principes inscrits dans la loi générale des impôts, prise plus particulièrement dans ses paragraphes 204 et 205 AO précités.
Or, force étant de constater qu’au-delà du seul rapport précité du service du contrôle extérieur de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines du 22 juillet 1994, justifiant certes, tel que dégagé ci-avant, un doute raisonnable concernant la déclaration de revenu du demandeur, aucun élément du dossier ne permet d'établir qu’il fut procédé en l’espèce à une instruction contradictoire préalable à l’imposition litigieuse.
Il s’ensuit que le bureau d’imposition, en s’adressant, en ce qui concerne le poste litigieux du bénéfice commercial, directement à Monsieur …TRAN par lettre du 7 avril 1998 dans les termes suivants : “ En conformité au paragraphe 205 (3) AO nous vous informons que pour l’année 1993 un montant de … flux devra être imposé comme bénéfice commercial suite à un renvoi nous fourni par le b.i. Sociétés II concernant la société Y. S.A.
Ce montant sera soumis et à l’impôt sur le revenu et à l’impôt commercial communal.
Nous vous prions de bien vouloir prendre position quant à ce qui précède pour le 28 avril 1998 au plus tard. (…)”, sans procéder au préalable à d’autres mesures d’instruction, n’a pas respecté la chronologie des obligations investigatives lui incombant et s’est positionné, au regard du libellé même de la lettre précitée, au-delà de la phase d’investigation visée par les alinéa (1) et (2) du paragraphe 205 AO, en se plaçant immédiatement sur le terrain du troisième alinéa dudit paragraphe 205 AO en ce qu’il est libellé comme suit : “ Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigem die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zu vorheriger Äusserung mitzuteilen ”.
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Aussi, face à la lettre prérelatée du préposé du 7 avril 1998, le demandeur, loin de se soustraire au devoir de collaboration lui incombant par ailleurs à travers les dispositions précitées de la loi générale des impôts, a rencontré la demande lui adressée par courrier de son mandataire du 21 avril 1998 en exposant d’abord sa situation au sein de la société Y. S.A. et en signalant que“ dans les circonstances données, (mon client) ne comprend ni qui devrait être imposé, ni sur quel montant, ni les origines d’un tel montant. Il lui est donc en fait impossible de prendre position à l’heure actuelle.
Sur base de ce qui précède, je vous saurais gré de bien vouloir me donner les précisions nécessaires afin que je puisse conseiller mon mandant et prendre position comme vous le demandez. Mon client et moi-même restons bien évidemment à votre disposition pour 4 examiner et discuter du problème à vive voix dans vos bureaux ”.
Le paragraphe 217 AO, en disposant que “ (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschliesslich solcher Besteuerungsgrundlagen, für die eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, so hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.
Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung auf Eides Statt verweigert. Das gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollstänig oder formell oder sachlich unrichtig sind ”, ne permet aux instances d’imposition de procéder à la taxation que sous condition d’avoir épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition.
Face à l’attitude du demandeur qui a signalé par courrier de son mandataire précité du 21 avril 1998, sur base de considérations que le tribunal partage, que les informations lui communiquées par le bureau d’imposition en application du paragraphe 205 (3) AO étaient insuffisantes pour le mettre en mesure de présenter utilement ses observations au sujet de l’instruction menée sur son cas, le bureau d’imposition, en omettant de faire droit à la demande lui adressée de se voir communiquer de plus amples renseignements, a procédé à la taxation du bénéfice commercial du demandeur sans avoir épuisé toutes les possibilités d’instruction fixées par la loi comme étant préalables.
Dans la mesure où il se dégage en effet des éléments du dossier que Monsieur TRAN était disposé à prêter son concours aux mesures d’instruction, mais que le bureau d’imposition ne l’a pas mis en mesure de participer utilement à l’établissement de la vérité, l’imposition par voie de taxation litigieuse ne s’inscrit pas, en l’état actuel du dossier, dans les cas d’ouverture prévus par le paragraphe 217 AO précité.
Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent il y a dès lors lieu de prononcer, dans le cadre du recours en réformation, l’annulation des bulletins déférés de l’impôt sur le revenu et de la base d’assiette de l’impôt commercial de l’année 1993 et de renvoyer l’affaire dans cette mesure à l’autorité compétente.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en réformation irrecevable en tant que dirigé contre une décision implicite par le silence du directeur et recevable pour le surplus ;
au fond le dit justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule les bulletins de l’impôt sur le revenu et de la base d’assiette de l’impôt commercial déféré de l’année d’imposition 1993 ;
5 renvoie l’affaire dans cette mesure au directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d’imposition compétent ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 février 2000 par :
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Delaporte 6