Numéro 11592 du rôle Inscrit le 18 octobre 1999 Audience publique du 2 février 2000 Recours formé par Monsieur … KALENDER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11592, déposée le 18 octobre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KALENDER, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 1999, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 14 septembre 1999, les deux portant rejet de sa demande en obtention du statut de réfugié politique;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 1999 par Maître Guy THOMAS au nom de Monsieur KALENDER;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Guy THOMAS, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
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Le 4 mai 1998, Monsieur … KALENDER, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.
Monsieur KALENDER fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile en date du 7 juillet 1998.
Le 1er juillet 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit à l’unanimité un avis défavorable.
Par décision du 23 juillet 1999, notifiée le 30 juillet 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur KALENDER de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :
“ Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ”.
Suite à un recours gracieux daté du 28 août 1999 et parvenu au ministère de la Justice le 31 août 1999, introduit par le mandataire de Monsieur KALENDER, le ministre réitéra son refus par décision du 14 septembre 1999.
Par requête déposée le 18 octobre 1999, Monsieur KALENDER fit introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées des 23 juillet et 14 septembre 1999.
L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Tout délai de recours qui expirerait normalement un jour férié légal ou un jour férié de rechange étant prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. En l’espèce, les parties ont été en accord lors des plaidoiries pour admettre que le lundi 30 août 1999, jour de kermesse à Luxembourg, le ministère de la Justice était fermé, de sorte que le recours gracieux introduit au nom du demandeur à l’encontre de la décision ministérielle déférée, lui notifiée le 30 juillet 1999 et parvenu par la voie postale, au dit ministère en date du 31 août 1999 fut introduit dans le délai de recours légal. Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du Gouvernement et basé sur la tardiveté du recours gracieux est à abjuger comme n’étant pas fondé.
Le recours en réformation est dès lors recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique serait justifiée en ce qu’il remplirait les conditions prévues par la 2 Convention de Genève. Il expose à cet effet appartenir à l’ethnie des Bochniaques du Sandjak et reproche au ministre de méconnaître tant la situation de ce groupe ethnique et sa situation particulière.
Quant à la situation générale ainsi visée, il renvoie au fait, documenté par plusieurs articles de presse, qu’environ 65.000 à 70.000 Bochniaques du Sandjak, sur un total de quelques 237.000, auraient dû fuir la Yougoslavie pour chercher refuge dans d’autres pays européens suite aux persécutions dont ce groupe de population aurait fait l’objet en raison de son appartenance à l’ethnie slave et sa religion musulmane. Face à cette politique criminelle de purification ethnique pratiquée par les dirigeants de la Yougoslavie et les motifs invoqués par le gouvernement luxembourgeois pour participer aux opérations militaires pour mettre fin à la guerre du Kosovo, ce dernier devrait “ rester logique avec soi-même ” et apporter à la population bochniaque pour le moins la protection prévue par la Convention de Genève pour la mettre à l’abri des exactions et persécutions systématiques dans son pays d’origine. Le demandeur ajoute que la situation des Bochniaques aurait empiré depuis l’intervention des forces de l’OTAN en Yougoslavie, vu qu’ils parlent la langue serbo-croate et seraient dès lors considérés comme alliés potentiels des Serbes.
Le demandeur fait valoir relativement à sa situation particulière qu’il aurait habité à quelques kilomètres seulement de la frontière kosovare et aurait fait l’objet d’un ordre de conscription de l’armée yougoslave. N’y ayant pas donné suite pour avoir déjà trouvé refuge au Luxembourg à ce moment, il serait actuellement considéré comme déserteur dans son pays d’origine.
Le demandeur fait finalement état des sévices qu’il aurait subi lors de son service militaire dans l’armée yougoslave en sa qualité de seul musulman parmi 87 soldats et des harcèlements et menaces journaliers des ressortissants serbes.
Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il serait insuffisant de se référer à la situation générale dans une partie de la Yougoslavie, mais qu’il faudrait examiner en plus la situation particulière de la personne en question. A cet égard, le demandeur resterait en défaut de prouver pour quelle raison il devrait avoir plus de craintes qu’un autre musulman du Monténégro. Le représentant étatique dénie encore le caractère pertinent de la convocation pour rejoindre l’armée yougoslave au Kosovo, qui ne serait établie par aucun élément du dossier, et relève qu’en tout état de cause la désertion ne constituerait pas à elle seule un motif valable pour la reconnaissance du statut de réfugié politique.
Le demandeur fait répliquer que tous les gouvernements regroupés derrière l’OTAN auraient largué des tracts au-dessus des militaires serbes lors de la guerre du Kosovo les exhortant à déserter de l’armée et que le gouvernement luxembourgeois ferait dès lors preuve d’hypocrisie en refusant de reconnaître les déserteurs yougoslaves comme réfugiés politiques et en les exposant à la Cour militaire serbe.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme “ réfugié ” s’applique à toute personne qui “ craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ”.
3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l'espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 7 juillet 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés dans son recours gracieux ainsi qu'au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Le recours est partant à rejeter comme non fondé.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 février 2000 par:
Mme LENERT, premier juge, Mme LAMESCH, juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
s. SCHMIT s. LENERT 4