N° 11029 du rôle Inscrit le 16 décembre 1998 Audience publique du 2 février 2000
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Recours formé par la société à responsabilité limitée TRANSPORTS SCHIOCCHET EXCURSIONS Sàrl contre une décision de l'administration communale de X.
en matière de marchés publics
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Vu la requête déposée le 16 décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Didier SCHÖNBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit français TRANSPORTS SCHIOCCHET EXCURSIONS Sàrl, établie et ayant son siège à F-…, représentée par sa gérante actuellement en fonctions, tendant à 1) l’annulation d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de X. du 30 septembre 1998 portant rejet de son offre faite dans le cadre d'une soumission publique tendant à l'attribution du transport pour la cantine scolaire de l'école de … pour un terme de cinq ans à partir du 14 septembre 1998, 2) l'annulation de l'attribution du marché à la société VOYAGES Y. S.A., avec siège à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, 3) la suppression du cahier des charges des conditions linguistiques incompatibles avec les dispositions tirées de la législation européenne, 4) l'attribution du marché à la demanderesse, 5) la condamnation de l'administration communale de X. au paiement de … francs, outre les intérêts légaux, cette somme représentant la part du marché déjà exécuté à la date de l'introduction du recours, et 6) la condamnation de l'administration communale de X. aux frais et dépens de l'instance ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité de procédure de 100.000,- francs;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 15 décembre 1998, portant signification dudit recours à l'administration communale de X., représentée par son collège des bourgmestre et échevins, établie à L-…, et à la société anonyme VOYAGES Y., préqualifiée;
Vu le mémoire en réponse déposé le 3 mai 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, pour le compte de l'administration communale de X.;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-sur-
Alzette, du 5 mai 1999, portant signification dudit mémoire en réponse à la société TRANSPORTS SCHIOCCHET EXCURSIONS Sàrl;
Vu l'exploit du même huissier du 20 mai 1999, portant signification dudit mémoire en réponse à la société anonyme Z. AUTOCARS S.A., avec siège à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions;
2 Vu le mémoire en réponse déposé le 19 août 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Marie SANTINI, avocat à la Cour, pour le compte de la société anonyme VOYAGES Y., préqualifiée;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal le 1er octobre 1999 par Maître Didier SCHÖNBERGER au nom de la société TRANSPORTS SCHIOCCHET EXCURSIONS Sàrl;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 22 septembre 1999, portant signification dudit mémoire en réplique à l'administration communale de X. et à la société anonyme VOYAGES Y. S.A., préqualifiée;
Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Didier SCHÖNBERGER, Marc ELVINGER et Antoine STOLTZ, en remplacement de Maître Marie SANTINI, en leurs plaidoiries respectives.
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Suivant avis publié le 25 juillet 1998 dans trois quotidiens, l'administration communale de X., représentée par son collège des bourgmestre et échevins, établie à L-…, ci-
après dénommée "la commune", procéda à un appel d'offres en vue de l'adjudication publique, le 7 août 1998, du transport scolaire pour un terme de cinq ans.
Sur les deux offres remises dans le délai imparti par respectivement la société à responsabilité limitée de droit français TRANSPORTS SCHIOCCHET EXCURSIONS Sàrl, avec siège à F-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, en abrégé "la société SCHIOCCHET", et la société anonyme Z. AUTOCARS, avec siège à L-…, celle de la première était la moins disante.
Par lettre du 30 septembre 1998, la commune, sous la signature du secrétaire comunal, adressa à la société SCHIOCCHET un courrier de la teneur suivante:
"Madame, Veuillez trouver ci-joint l'avis de la commission de soumission demandé par M. le Commissaire de District de Luxembourg. La Commune se conformera à l'avis de M. le Ministre de l'Intérieur qui devra parvenir à la Commune dans les prochains jours." L'avis en question, émis le 9 septembre 1998 à l'unanimité des six membres présents, est de la teneur suivante:
"L'offre la moins chère a été remise par la firme Schiocchet d'Esch-sur-Alzette.
Le collège échevinal de X. a écarté cette offre pour les raisons suivantes:
1) La firme Schiocchet n'a pas pu présenter un certificat de non-obligation à l'égard de l'administration de l'Enregistrement, certificat qui a été demandé de produire pour le 2-9-1998 "sous peine de devoir écarter l'offre.".
3 2) Le soumissionnaire n'a pas présenté une assurance d'une compagnie d'assurances agréée au Luxembourg.
3) Les chauffeurs de la firme Schiocchet ne parlent pas le luxembourgeois, exigence demandée pour des raisons de sécurité des transports scolaires par le pouvoir adjudicateur.
Ad 1) C'est à raison que l'offre Schiocchet a été écartée.
Ad 2) La clause d'un certificat d'assurance d'une assurance agréée au Luxembourg n'est plus conforme au droit communautaire. Un certificat d'une compagnie d'assurances établie dans la Communauté Européenne est à considérer équivalent à celui d'une compagnie luxembourgeoise.
Ad 3) Cette clause ne présente aucune discrimination sur base du traité CEE car elle se réfère à des conditions linguistiques et ne constitue pas une discrimination sur base de la nationalité. On aurait pu accepter à la rigueur la proposition de la firme Schiocchet de faire accompagner les écoliers par une personne supplémentaire maîtrisant la langue luxembourgeoise.
En conclusion l'offre Schiocchet est à refuser en raison de la non-production en temps voulu du certificat de l'administration de l'Enregistrement.
Subsidiairement la Commission des Soumissions s'est rendue compte que la dépense dépasse largement le seuil de 206.022,- Ecus (contrevaleur 8.152.389) et que la directive marchés publics de services 92/50 transposée par le règlement grand-
ducal du 27 janvier 1994 n'a pas été appliquée par la Commune de X.." Par requête déposée le 16 décembre 1998, la société SCHIOCCHET a introduit un recours tendant à 1) "annuler la décision du 30 septembre 1998 prise par le collège des bourgmestre et échevins de la commune de X. portant rejet de l'offre de la requérante", 2) l'annulation de l'attribution du marché à la société VOYAGES Y. S.A., avec siège à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, 3) la suppression du cahier des charges des conditions linguistiques incompatibles avec les dispositions tirées de la législation européenne, 4) l'attribution du marché à la demanderesse, 5) la condamnation de l'administration communale de X. au paiement de … francs, outre les intérêts légaux, cette somme représentant la part du marché déjà exécuté à la date de l'introduction du recours, et 6) la condamnation de l'administration communale de X. aux frais et dépens de l'instance ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité de procédure de 100.000,- francs.
La commune soulève l'incompétence du tribunal administratif pour connaître de la demande en tant qu'elle tend à voir attribuer le marché à la société SCHIOCCHET et en tant qu'elle tend à l'allocation de dommages-intérêts à la demanderesse.
La loi ne prévoyant pas de recours en réformation en matière de marchés publics, le tribunal administratif, au-delà de sa compétence de droit commun lui permettant d'annuler l'attribution d'un marché qu'il estime illégale, est incompétent pour attribuer le marché à un soumissionnaire.
4 Le tribunal est pareillement incompétent pour allouer des dommages-intérêts, une telle compétence revenant aux seuls tribunaux de l'ordre judiciaire.
Le tribunal est encore incompétent pour faire supprimer dans le cahier des charges des clauses incompatibles avec le droit communautaire, ce pouvoir appartenant au seul président du tribunal statuant en référé, ainsi que cela se dégage des dispositions de la loi modifiée du 13 mars 1993 relative à l'exécution en droit luxembourgeois de la Directive n° 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de marchés publics. Dès l'attribution du marché, l'existence de telles clauses peut cependant justifier l'annulation du marché par le tribunal statuant en formation collégiale. Il s'agit alors d'un contrôle a posteriori qui n'affecte pas le cahier des charges, mais le marché dans son intégralité.
La commune soulève encore l'irrecevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre le courrier de la commune du 30 septembre 1998 informant la société SCHIOCCHET de ce que son offre avait été écartée, ledit courrier ne constituant pas une décision administrative faisant grief.
La société SCHIOCCHET rétorque que la lettre en question présenterait un aspect extérieur de régularité, étant accomplie par un agent de la hiérarchie administrative agissant dans l'exercice de ses fonctions.
La lettre précitée du 30 septembre 1998 ne constitue pas en elle-même un acte administratif de nature à faire grief. Elle ne fait que renseigner la société SCHIOCCHET sur les intentions de l'autorité communale compétente au sujet de la décision à intervenir concernant l'attribution du marché. Le fait qu'elle émane du secrétaire communal qui n'a aucune compétence pour prendre une décision en la matière, ne fait que corroborer le caractère non décisoire de la lettre du 30 septembre 1988.
Etant donné cependant que la lettre en question est le seul document ayant porté à la connaissance de la demanderesse l'information que le marché ne lui avait pas été attribué, il y a lieu de rechercher encore quelle a été la décision écartant son offre, le recours étant le cas échéant à considérer comme étant dirigé contre cette décision.
Dans ce contexte, la commune invoque d'abord une lettre du ministre de l'Intérieur du 25 septembre 1998 dans laquelle celui-ci, déclarant se rallier à l'avis de la commission des soumissions, fit savoir aux autorités communales qu'il n'était "pas en mesure d'aviser favorablement le présent marché," pour conclure que cette lettre constituerait la véritable décision administrative qu'il aurait fallu attaquer.
En tant que la lettre ministérielle doit constituer un acte de tutelle portant refus d'approbation du marché, ledit acte émane d'une autorité incompétente, l'article II, 7° de la loi modifiée du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures attribuant au Grand-Duc le pouvoir d'annuler les actes émanant des autorités communales qui sont contraires à la loi ou à l'intérêt général. La lettre du 25 septembre 1998 ne constitue partant pas la décision contre laquelle la société SCHIOCCHET est censée avoir dirigé son recours. En effet, n'étant pas de nature à produire un effet juridique sur l'attribution du marché litigieux, elle n'a pas pu lui faire grief.
5 La commune invoque encore une délibération du collège des bourgmestre et échevins du 9 avril 1999 par laquelle une décision d'adjudication du marché du 8 septembre 1998 ayant attribué le marché à la firme Y. de …, a été rétractée "pour autant que de besoin," pour conclure qu'aucune décision d'attribution du marché n'existerait actuellement et que le recours serait partant sans objet.
La société SCHIOCCHET estime que la délibération du 8 septembre 1998 ne concerne pas son recours. Elle ajoute que la loi ne prévoirait pas une rétractation telle qu'elle se dégage de la délibération du 9 avril 1999.
Il ressort pourtant des différentes décisions prises et discutées dans le cadre du présent litige que c'est précisément la décision du collège échevinal du 8 septembre 1998 portant attribution du marché non pas au moins disant, mais au second offrant, qui fait grief à la société SCHIOCCHET, qui avait présenté l'offre la moins chère.
Comme la société SCHIOCCHET déclare expressément ne pas diriger son recours contre cette délibération du 8 septembre 1998, le tribunal ne saurait en sanctionner l'éventuelle illégalité.
Il y a cependant lieu d'ajouter qu'ayant été prise en méconnaissance de l'article VII, par. 3, contenu au chapitre 4 "Marchés tombant dans le champ d'application des directives CEE relatives aux marchés publics de travaux, de fournitures et de services", de la loi modifiée du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures, la décision du 8 septembre 1998 est entachée d'illégalité et que c'est à bon droit que la décision afférente a été rétractée dans la suite, étant précisé que la seule partie qui aurait pu faire valoir des griefs contre la décision de rétractation aurait été l'adjudicataire, à savoir la société anonyme Z. AUTOCARS, la décision en question n'ayant pas pu causer un grief à la demanderesse.
En tant que la demande tend à annuler l'adjudication du marché à la société Z., le recours est à déclarer irrecevable pour défaut d'intérêt dans le chef de la société SCHIOCCHET, étant donné que ce marché a été rétracté par le pouvoir adjudicateur.
Il a été retenu plus haut que le tribunal est incompétent pour ordonner la suppression de certaines clauses du cahier des charges. Il y a lieu de relever, dans ce contexte, que la demande ne tend pas à l'annulation du marché en raison du fait qu'il contiendrait des clauses contraires au droit communautaire. Par ailleurs, le marché étant rétracté, la demanderesse n'aurait pas intérêt à solliciter son annulation pour contenir de telles clauses.
Le fait, relevé par la société SCHIOCCHET, que depuis septembre 1998, la société Z.
assure en fait le transport faisant l'objet du marché rétracté, est sans pertinence dans le présent litige, mais pourrait le cas échéant faire l'objet, devant la juridiction compétente, d'une demande en responsabilité pour cause de fonctionnement défectueux des services administratifs de la commune.
Il suit de ce qui précède que dans la mesure où le tribunal est compétent, le recours est irrecevable.
Eu égard à l'issue du recours, la demande en allocation d'une indemnité de procédure est à abjuger.
6 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en tant qu'il tend à voir déclarer la société SCHIOCCHET adjudicataire du marché litigieux, en tant qu'il tend à la suppression de certaines clauses du cahier des charges et en tant qu'il tend à l'allocation de dommages-
intérêts, le déclare irrecevable pour le surplus, déboute la demanderesse de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure, la condamne aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 2 février 2000 par:
M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani