N° 11207 du rôle Inscrit le 23 mars 1999 Audience publique du 26 janvier 2000
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Recours formé par les époux … CONSTANT et X., … contre des décisions d’imposition du bureau Luxembourg 9 de l’administration des Contributions directes en matière de classe d’impôt
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Vu la requête inscrite sous le numéro 11207 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mars 1999 par Monsieur … CONSTANT, réviseur d’entreprises, et son épouse Madame X., fonctionnaire à la Commission européenne à Luxembourg, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1992 à 1996 incluse émis par le bureau d’imposition Luxembourg 9 de l’administration des Contributions directes, ainsi que, pour autant que de besoin, contre le silence du directeur de l’administration des Contributions directes suite à leur réclamation introduite à l’encontre desdits bulletins;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Monsieur … CONSTANT en ses observations, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en ses plaidoiries à l’audience publique du 15 décembre 1999.
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Les époux … CONSTANT, de nationalité française, et X., de nationalité allemande, demeurant ensemble actuellement à L-…, après avoir résidé jusqu’en 1975 à La Rochelle en France, sont venus s’installer au Luxembourg à la suite de l’entrée de Madame X. au service de traduction de la Commission européenne à Luxembourg. A la même époque, Monsieur CONSTANT a sollicité et obtenu son transfert au bureau d’expertise comptable de son employeur à Longwy. En 1977, il quitta son emploi à Longwy pour venir travailler dans une fiduciaire au Luxembourg.
Après avoir rangé Monsieur … CONSTANT pour les années d’imposition 1977 à 1991 dans la classe d’impôt 2.02 et ensuite 2.03, le bureau d’imposition Luxembourg 9, suivant bulletins d’imposition émis respectivement en dates des 2 décembre 1993, 30 octobre 1997 et 20 novembre 1997, le rangea dans la classe d’impôt 1A.03 pour l’imposition de son revenu pour les années 1992 à 1996 incluse. Par courrier datant du 10 janvier 1994, complété au niveau de la motivation par une lettre du 10 octobre 1994, Monsieur CONSTANT a introduit une réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé “ le directeur ”, contre le bulletin de l’impôt sur le revenu relatif à l’année 1992. Suivant courrier du 31 décembre 1997, il a introduit une réclamation devant le directeur contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 1993 à 1996 incluse.
En l’absence d’une décision directoriale intervenue à la suite des susdites réclamations, il a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins d’imposition ayant fait l’objet de ces réclamations, ainsi que, pour autant que de besoin, contre le silence du directeur à la suite desdites réclamations.
Au vœu des dispositions combinées de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, communément appelée “ Abgabenordnung ”, ci-après dénommée “ AO ”, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Quant à la recevabilité Dans la mesure où le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours subsidiaire en annulation est en tout état de cause irrecevable.
Le délégué du Gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours en tant qu’exercé au nom de Madame X., en faisant valoir qu’en toute matière et à toute hauteur d’instance, le mari doit justifier d’un mandat ad litem, exprès et spécial, pour exercer les actions et recours de sa femme et que par ailleurs Madame X. n’aurait pas été touchée par les bulletins litigieux dont elle n’aurait pas eu connaissance par une notification individuelle et auxquels elle ne serait pas partie, alors qu’ils auraient pour objet l’imposition du seul sieur CONSTANT.
Il se dégage des pièces versées au dossier que l’ensemble des bulletins d’imposition déférés, à l’exception de celui émis en date du 2 décembre 1993 pour l’année d’imposition 1992, furent adressés à Monsieur … CONSTANT pris isolément. Par ailleurs tous les bulletins litigieux, y compris celui de l’année 1992, ont pour objet l’imposition du seul revenu de Monsieur CONSTANT, étant entendu que les déclarations d’impôt afférentes affichent sa seule signature, qu’elles ne comportent aucune indication sur les revenus de son épouse pris en tant que tels et que les réclamations contre les bulletins litigieux ont été introduites par le seul sieur … CONSTANT.
Il s’ensuit que nonobstant l’indication de Monsieur et Madame CONSTANT-X. en tant que destinataires du bulletin de l’impôt sur le revenu 1992, le recours n’est pas recevable dans le chef de Madame X..
Le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est en revanche recevable dans le chef de Monsieur … CONSTANT.
Quant au fond Le demandeur reproche aux décisions déférées de ne pas reconnaître à son épouse la qualité de résidente fiscale du Luxembourg et de rompre ainsi avec une pratique établie et continue de quinze années, alors même qu’aucun changement ne serait intervenu dans son 2 foyer. Il signale que les bulletins litigieux ne font référence à aucun texte légal pour justifier le changement d’attitude qu’ils traduisent et soutient que cette lacune serait de nature à vicier lesdits bulletins déférés quant à la forme et à justifier à elle seule leur annulation.
Le premier bulletin déféré relatif à l’impôt sur le revenu 1992 indique au titre du détail concernant l’imposition que “ l’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants :
pas d’imposition collective avec votre épouse ; en tant que fonctionnaire européen elle est traitée fiscalement comme non-résidente ”, tandis que les bulletins déférés subséquents énoncent au même titre que “ vu que votre épouse est à considérer fiscalement comme non-
résident, une imposition collective ne peut pas avoir lieu. Partant la classe d’impôt 2.03 ne peut pas être octroyée et vous êtes rangé en classe 1A.03 ”.
Aux termes du paragraphe 211 (2) AO, le bureau d’imposition est obligé d’indiquer au contribuable les éléments sur lesquels l’imposition diffère, en sa défaveur, par rapport aux déclarations déposées. Aucun texte ne faisant obligation au bureau de justifier un changement d’attitude dans son chef par rapport aux impositions précédentes et tant la légalité que le bien-
fondé de l’imposition s’appréciant par ailleurs suivant le principe de l’annualité de l’impôt par rapport à la seule loi applicable à l’année d’imposition considérée et non par rapport à des précédents administratifs, les décisions déférées sont motivées à suffisance de droit et de fait en ce qu’elles indiquent clairement le point litigieux sur lequel les impositions en question diffèrent des déclarations de Monsieur CONSTANT.
Il s’ensuit que le premier moyen tenant à l’insuffisance de la motivation des décisions déférées n’est pas fondé.
Quant au fond, le demandeur soutient que ce serait à tort que le bureau d’imposition s’est basé sur l’article 14 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, annexé au Traité du 8 avril 1965 instituant un conseil et une commission uniques, désigné ci-après par “ PPI ”, pour retenir que son épouse serait à considérer comme non-
résidente du Luxembourg, en faisant valoir que cette considération serait contredite tant par une interprétation correcte du PPI que par la réalité de la résidence de son foyer.
Le délégué du Gouvernement fait valoir qu’aux termes formels de l’article 119 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après appelée “ LIR ”, tel que cet article a été modifié par la loi du 6 décembre 1990, le bénéfice dit du “ splitting ” serait réservé aux seuls époux imposables collectivement, ce qui supposerait qu’ils soient tous les deux contribuables résidents ou bien tous les deux contribuables non résidents. Dans la mesure où il résulterait des termes mêmes de la requête introductive d’instance que Madame X. aurait quitté la France en raison de son entrée au service des Communautés européennes à Luxembourg, elle serait à considérer comme résidente française par application de l’article 14 PPI, celui-ci ne prenant en considération que l’époque de l’entrée en service.
En l’espèce, il n’est pas contesté que les époux … CONSTANT et X. se sont effectivement établis, à partir de 1976, à Luxembourg où Madame X. travaille pour le compte des institutions des Communautés européennes.
Il est encore constant que l’article 2 LIR détermine, dans son paragraphe (1), les conditions à remplir par une personne physique afin d’être considérée comme contribuable résident au Luxembourg au titre d’une année d’imposition considérée en ce sens que “ sont considérés comme contribuables résidents ou comme contribuables non résidents, (les personnes physiques) suivant qu’elles ont ou qu’elles n’ont pas leur domicile fiscal ou leur 3 séjour habituel au Grand-Duché ”, de sorte que les époux CONSTANT-X. seraient en principe à considérer, au regard de la législation nationale applicable, comme des contribuables résidents susceptibles, par voie de conséquence, de ranger dans la classe d’imposition 2.
Si les parties sont encore en accord pour admettre qu’il est dérogé à la détermination du domicile fiscal en droit national par le PPI qui dispose dans son article 14 que “ pour l’application des impôts sur le revenu et sur la fortune, des droits de succession, ainsi que des conventions tendant à éviter les doubles impositions conclues entre les pays membres des Communautés, les fonctionnaires et autres agents des Communautés qui, en raison uniquement de l’exercice de leur fonction au service des Communautés, établissent leur résidence sur le territoire d’un pays membre autre que le pays du domicile fiscal qu’ils possèdent au moment de leur entrée au service des Communautés, sont considérés, tant dans le pays de leur résidence que dans le pays du domicile fiscal, comme ayant conservé leur domicile dans ce dernier pays si celui-ci est membre des Communautés. Cette disposition s’applique également au conjoint dans la mesure où celui-ci n’exerce pas d’activité professionnelle propre, ainsi qu’aux enfants à charge et sous la garde des personnes visées au présent article ”, leurs positions sont divergentes quant à l’interprétation à conférer à cette disposition d’ordre supranational.
Le demandeur, estimant que l’article 14 PPI précité accorderait un privilège, partant une faveur, aux fonctionnaires européens afin qu’ils ne soient pas pénalisés par un déplacement de leur lieu de résidence imposé par leur entrée au service des Communautés, fait en effet valoir que la présomption générale de domicile ainsi énoncée, serait une présomption non pas irréfragable mais simple, susceptible d’être renversée par le fonctionnaire européen concerné moyennant la preuve que le déplacement de sa résidence aurait d’autres causes que l’entrée au service des Communautés.
Il expose dans cet ordre d’idées que tant son épouse que lui-même auraient élu résidence au Luxembourg non pas uniquement en raison de l’entrée en fonction de Madame X.
auprès des Communautés, mais en raison du fait que le cadre de vie leur y paraissait plus attrayant que celui de Longwy pourtant plus proche du travail de Monsieur CONSTANT et tout aussi facile d’accès pour son épouse.
Il signale en outre que son épouse étant d’origine allemande, ils auraient également pu choisir de résider du côté allemand de la frontière, mais que le choix de résider au Luxembourg aurait concilié au mieux les intérêts franco-allemands de la famille, en particulier le souci de donner aux enfants communs une éducation bilingue. Pour souligner encore la réalité de l’existence d’autres raisons ayant guidé le choix de s’établir au Luxembourg, le demandeur expose qu’il s’est établi lui-même professionnellement au Luxembourg en 1977, que lui-même et son épouse ont entrepris de construire une maison au Luxembourg et que leurs trois enfants n’ont pas suivi les cours de l’école européenne comme le feraient la quasi-totalité des enfants de fonctionnaires européens, mais qu’ils ont effectué toute leur scolarité dans les écoles primaires et secondaires luxembourgeoises.
Il estime dès lors que le bureau d’imposition, en faisant abstraction de l’existence de cette multitude de raisons ayant guidé le choix de résider au Luxembourg, accorderait plus d’importance à la forme qu’au fond pour apprécier une situation fiscale et se livrerait ainsi à une interprétation tendancieuse et préjudiciable de l’article 14 PPI qui se résumerait en un obstacle de fait à la libre circulation des travailleurs au sein de la communauté.
4 Il soutient en outre que l’article 14 PPI précité, en accordant un privilège aux fonctionnaires européens, leur accorderait nécessairement aussi le droit de pouvoir y renoncer purement et simplement sans autre justification, lorsque, comme dans son cas personnel, le privilège accordé causerait un préjudice supérieur aux avantages attendus.
Le délégué du Gouvernement rencontre cette argumentation en faisant valoir que la possibilité de renoncer à la faveur accordée par l’article 14 PPI serait incompatible avec l’article 18 du même protocole.
Il relève en outre qu’aux termes mêmes de la requête, Madame X. n’aurait pas quitté La Rochelle à cause du cadre de vie et du bilinguisme du Grand-Duché, mais en raison de son entrée au service des Communautés à Luxembourg, de sorte que le choix de résider au Luxembourg plutôt que dans la grande région, du côté allemand ou du côté français de la frontière, ne serait qu’un détail, étant entendu qu’il ne serait pas possible de faire état du cadre de vie du Luxembourg et du bilinguisme pour écarter l’article 14 PPI sous peine de vider cette disposition de son sens.
L’article 13 PPI, en disposant que “ dans les conditions et suivant la procédure fixée par le Conseil statuant sur proposition de la Commission, les fonctionnaires et autres agents des Communautés sont soumis au profit de celles-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elles. Ils sont exempts d’impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés ”, ensemble l’article 14 PPI précité, établissent une répartition des compétences fiscales entre les Communautés européennes, l’Etat membre où le fonctionnaire avait son domicile fiscal avant son entrée au service des institutions des Communautés européennes et l’Etat membre où il exerce ses fonctions au service desdites institutions.
Dans la mesure où l’article 13 PPI ne saurait être considéré isolément, mais doit être complété par l’article 14 PPI pour traduire ensemble un régime fiscal d’exception, il est inconcevable qu’un fonctionnaire puisse simplement renoncer à l’application de l’article 14 PPI sous peine de mettre en échec la finalité de cette disposition tendant à soumettre l’ensemble des fonctionnaires concernés à des règles uniformes en la matière.
La ratio legis de l’article 13 traduit en effet deux exigences, à savoir d’abord celle d’assurer aux fonctionnaires communautaires une rémunération dont l’égalité ne puisse être mise en échec par l’application de taux nationaux non harmonisés, et ensuite d’éviter de donner à l’Etat membre du lieu d’exercice des fonctions un avantage fiscal injustifié. Si l’Etat du siège était en effet admis à percevoir un impôt sur les traitements des fonctionnaires communautaires, il ponctionnerait à son seul profit les ressources communes à la constitution desquelles tous les Etats membres contribuent, d’où le choix de soumettre les rémunérations en cause à un impôt communautaire plutôt qu’à un impôt national.
L’article 14 PPI tend de son côté à éviter les doubles impositions à travers une règle de conflit basée sur une fiction relative au domicile. En vertu de la règle de conflit inscrite à l’article 14 PPI précité, le domicile fiscal reste dans le pays d’origine lorsque trois conditions sont remplies, en l’occurrence 1) acceptation de fonctions au service des Communautés, 2) domicile dans un autre Etat membre, 3) changement de domicile en raison “ uniquement ” de l’exercice de ses fonctions.
Ainsi, outre d’empêcher qu’indépendamment des aspects liés à l’article 13 PPI, la situation fiscale existante du fonctionnaire ne soit modifiée par le fait de l’entrée au service des 5 Communautés, cette disposition fait surtout partie d’un régime fiscal commun d’exception et traduit plus particulièrement une restriction partielle à la souveraineté des Etats membres en matière fiscale, consentie, au vœu de l’article 18 alinéa 1er PPI “ exclusivement dans l’intérêt (des Communautés) ”.
Il s’ensuit que par nécessité de maintenir l’application uniforme du PPI, en ce qui concerne le régime fiscal des fonctionnaires des Communautés européennes, la répartition des compétences établie par l’article 14 ne peut pas être mise en cause par la prise en considération du domicile effectif, étant entendu que conformément aux dispositions de l’article 14, le fonctionnaire n’a pas le choix de déplacer son domicile fiscal dans un Etat autre que celui de son domicile fiscal d’origine (cf. trib. adm. 8 juillet 1999, n° 10360 du rôle, Dias, confirmé par Cour adm. 21 décembre 1999, n° 11472C du rôle).
S’il se dégage ainsi du libellé même du PPI que la possibilité alléguée de renonciation à l’application de l’article 14 PPI est à écarter, il reste à déterminer si les conditions relatives au domicile fiscal fictif et plus particulièrement celle du changement de domicile en raison “ uniquement ” de l’exercice de ses fonctions par le fonctionnaire concerné, prévue à l’article 14 PPI laisse à celui-ci une quelconque latitude pour déterminer lui-même son domicile fiscal.
Dans la mesure où la question ainsi soulevée s’analyse en une question d’interprétation d’une norme communautaire, il y a lieu de se référer à la jurisprudence afférente de la Cour de Justice des Communautés européennes, ci-après appelée “ CJCE ”, et plus particulièrement à son arrêt rendu en date du 17 juillet 1993 dans l’affaire C-88/92 ayant eu pour objet une demande en interprétation de l’article 14 alinéa 1er PPI, adressée à la Cour en application de l’article 177 du Traité CEE par le Hooge Raad der Nederlanden.
Dans cette affaire, la CJCE, tout en retenant que “ l’article 14 du protocole doit être interprété dans ce sens que la détermination du domicile des fonctionnaires communautaires ne saurait dépendre de la volonté de l’intéressé ” et que “ la nécessité de maintenir l’application uniforme du protocole, en ce qui concerne le régime fiscal des fonctionnaires des Communautés, s’oppose également à une prise en considération des seules intentions des fonctionnaires aux fins d’examiner si le fonctionnaire a établi sa résidence en raison uniquement de ses fonctions ”, a relativisé ces propos en concédant au fonctionnaire concerné la possibilité d’apporter “ la preuve qu’il avait déjà pris des mesures pour réaliser le transfert de son domicile indépendamment de son entrée au service des Communautés ”.
Il importe de relever à cet égard que la CJCE, en admettant que le fonctionnaire concerné puisse apporter la preuve qu’il avait déjà pris des mesures pour réaliser le transfert de son domicile indépendamment de son entrée au service des Communautés, s’est écartée des conclusions de l’avocat général présentées le 31 mars 1993 dans cette affaire.
Tandis que l’avocat général avait en effet soutenu, au sujet des termes “ en raison uniquement de ” consacrés par l’article 14 PPI, que “ la seule circonstance de l’exercice (de leur fonction au service des Communautés par les fonctionnaires) à l’exclusion de toute autre considération, suffit à conférer compétence, en matière fiscale, au pays du dernier domicile ” au motif que “ “ en raison uniquement ” signifie ici “ du seul fait ” ”, et que l’article 14 PPI “ texte d’équilibre et de compromis, ne saurait donner lieu, par les juges nationaux aux divergences d’interprétation qu’introduirait immanquablement la prise en considération d’intentions multiples, fussent-elles avérées, dans le chef des fonctionnaires ”, la CJCE n’a pas retenu l’interprétation du terme “ uniquement ” ainsi suggérée et a admis que la 6 présomption de résidence consacrée à l’article 14 PPI est susceptible d’être renversée sous certaines conditions par la preuve d’éléments déterminés.
En spécifiant à cet égard que les mesures par elle visées pour réaliser le transfert du domicile doivent “ déjà ” avoir été prises indépendamment de l’entrée au service des Communautés, la CJCE a limité l’admissibilité de cette preuve aux seules intentions corroborées par des mesures concrètes, ayant existé préalablement et indépendamment de l’entrée au service des Communautés, confirmant ainsi clairement le principe que le domicile fiscal fictif s’apprécie dans le temps au seul moment de l’établissement dans l’Etat membre où sont exercées les fonctions auprès des Communautés et écartant par là la possibilité de prendre en considération d’une manière générale les intentions même objectivisées du fonctionnaire concerné, qui viennent se greffer ex post sur l’intention de base qui est celle de s’établir dans l’Etat du siège en raison de la nomination dans la fonction publique communautaire, ainsi que celles qui ayant préexisté par rapport à cette intention de base, ne sont pas pour autant objectivisées par la preuve de mesures concrètes, déjà mises en œuvre avant l’entrée en fonctions.
En l’espèce, il est constant que le foyer CONSTANT-X. a quitté La Rochelle en raison de l’acceptation par Madame X. de ses fonctions aux Communautés, cette acceptation ayant eu comme corollaire dans son chef l’obligation statutaire de résider au lieu de son affectation ou à une distance rapprochée telle qu’elle ne soit pas gênée dans l’exercice de ses fonctions.
S’il est encore certes vrai que le demandeur a sollicité son transfert au bureau de son employeur à Longwy, en France, partant à une distance tout à fait praticable au quotidien à partir du Luxembourg, et que le choix du couple franco-allemand CONSTANT-H ÖLLERL de s’établir au Luxembourg plutôt qu’en France ou ailleurs en région frontalière fut fonction non pas uniquement de la prise de fonction de Madame X., mais encore d’autres considérations, se résumant en l’occurrence en la volonté de s’établir pour l’avenir au Luxembourg, le demandeur reste cependant tant en défaut d’établir à suffisance de droit et de fait que cette intention, certes avérée par la suite, existait préalablement et indépendamment de la prise de fonction de son épouse que de prouver qu’elle était documentée en ce sens par des mesures concrètes, déjà mises en œuvre avant cette entrée en fonctions.
L’ensemble des éléments avancés en cours d’instance portant au contraire à croire que c’est à partir de l’entrée de Madame X. au service des Communautés que le couple CONSTANT-X. a décidé de s’établir pour l’avenir au Luxembourg, force est de constater que le présent litige se meut autour d’une hypothèse qui n’est pas de nature à renverser la présomption relative au domicile fiscal inscrite à l’article 14 PPI au regard de la jurisprudence de la CJCE précitée.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable dans le chef de Madame X. ;
reçoit le recours en réformation introduit par Monsieur CONSTANT en la forme ;
7 au fond le dit non justifié ;
partant en déboute ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
laisse les frais à charge des demandeurs.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 janvier 2000 par :
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 8