N° 11296 du rôle Inscrit le 25 mai 1999 Audience publique du 20 janvier 2000
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Recours formé par Madame … FORTES LIMA contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 1999 par Maître Marc P ETIT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … FORTES LIMA, femme de ménage, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 février 1999 lui refusant l’octroi d’une autorisation de séjour au Luxembourg;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 20 octobre 1999;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Frank SCHAACK, en remplacement de Maître Marc PETIT, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Par lettre entrée le 27 juillet 1995 au ministère de la Justice, Monsieur X., steward à l’hôtel …, de nationalité portugaise, demeurant à Luxembourg, … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour au Luxembourg en faveur de Madame … FORTES LIMA, de nationalité cap-verdienne. En date du 18 septembre 1995, il fit parvenir au prédit ministère une déclaration de prise en charge en faveur de Madame FORTES LIMA.
Le 12 juillet 1996, Monsieur X. demanda une autorisation de séjour pour son fils … FORTES X., de nationalité portugaise, né le 30 septembre 1995 à Luxembourg. Cette autorisation de séjour fut accordée par décision du 22 août 1996.
1 Par lettre du 9 décembre 1997, Madame FORTES LIMA sollicita une nouvelle fois une autorisation de séjour au motif d’un regroupement familial et en invoquant qu’elle réside au Luxembourg depuis la naissance de son fils … FORTES X..
Un rapport établi le 10 mars 1998 par le commissariat de police de Bonnevoie renseigne que Madame FORTES LIMA ne réside plus depuis novembre 1997 avec Monsieur X. et que leur fils commun « est ensemble avec son père et il est élevé dans la famille … ».
Par lettre du 23 février 1999, le ministre de la Justice informa Madame FORTES LIMA de ce que sa demande avait été rejetée au motif que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, la délivrance d’une autorisation de séjour est en effet subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou de secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir. Vous êtes par conséquent invité à quitter le pays dans les 30 jours ».
Suite à un recours gracieux introduit par l’ASTI (association de soutien aux travailleurs immigrés), le ministre confirma par lettre du 18 mars 1999 sa décision de refus au motif « qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne puis que confirmer mon courrier du 23 février 1999 dans ce dossier ».
Par requête déposée le 25 mai 1999, Madame FORTES LIMA a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 23 février 1999.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
La demanderesse fait exposer qu’elle résiderait depuis 1994 au Luxembourg, qu’elle est mère d’un enfant né le 30 septembre 1995 à Luxembourg et que le père de son enfant résiderait et travaillerait également au Luxembourg. Elle fait préciser qu’elle élèverait seule son enfant et que le père n’exercerait pas son droit de visite et d’hébergement. Elle estime partant que si l’autorisation de séjour lui était refusée et qu’elle devrait quitter le pays, son enfant serait privé de l’éducation de sa mère. Elle soutient par ailleurs qu’il « y a vie familiale en l’espèce », étant donné que « la vie commune des deux parents n’est pas indispensable pour qu’existe une vie familiale. Il suffit qu’il existe un lien juridique de filiation qu’il soit naturel ou légitime entre un des parents et son enfant pour définir la vie familiale ». Elle conclut dès lors que le refus de lui accorder une autorisation de séjour porterait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, de sorte qu’il y aurait violation de l’article 8 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée la « Convention européenne des droits de l’homme ».
Elle relève encore qu’elle serait inscrite au centre commun de la sécurité sociale, ce qui prouverait qu’elle serait en situation régulière en tant que salariée. Elle ajoute que pendant son séjour au Luxembourg, elle aurait travaillé auprès de plusieurs employeurs, de sorte qu’elle disposerait de revenus qui lui permettraient de subvenir à ses besoins personnels et à ceux de son enfant, qu’elle confierait à des amies pendant le temps de travail. Dans son mémoire en réplique, elle ajoute encore qu’elle aurait trouvé un emploi stable auprès de l’entreprise G. H.
C. qui l’aurait engagée à durée indéterminée par contrat de travail du 17 septembre 1999 pour une durée hebdomadaire de 44 heures. Elle conclut que le ministre de la Justice ne pourrait dès 2 lors plus lui refuser l’autorisation de séjour pour absence de moyens financiers suffisants dans son chef. Elle estime également que le ministre devrait, le cas échéant, tenir compte de sa situation personnelle au regard de critères « socio-professionnels, humanitaires et familiales qu’au lieu de juger strictement par rapport aux moyens financiers ».
Le délégué du gouvernement expose que les conditions d’entrée et de séjour d’un étranger sont régies par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, notamment par son article 2 qui pose la condition des moyens d’existence personnels et suffisants. Or, il ressortirait clairement du dossier administratif de la demanderesse, qu’elle ne disposerait pas de moyens d’existence personnels provenant d’un emploi couvert par un permis de travail.
Concernant la violation de l’article 8, alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique estime qu’en l’espèce, il n’y aurait pas ingérence au sens de ladite disposition, au motif qu’il n’existerait pas une vie familiale effective entre Madame FORTES LIMA et Monsieur X. et qu’elle aurait la possibilité de retourner avec son enfant au Portugal, pays dont l’enfant aurait la nationalité et où la mère serait légalement admissible, de sorte qu’il y aurait possibilité pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.
Il convient de prime abord de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2/99, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). - En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2/99, V° Recours en annulation, n° 12, et autres références y citées).
L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2/99, V° Etrangers, II Autorisation de séjour -
Expulsion, n°68, et autres références y citées).
En l’espèce, le tribunal doit constater qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, qu’au moment de la prise de décision, Madame FORTES LIMA n’était pas en possession d’un permis de travail et qu’elle n’était dès lors pas autorisée à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher légalement des revenus provenant de cet emploi.
Il est dès lors constant qu’elle ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision attaquée a été prise.
3 Il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels dans le chef de Madame FORTES LIMA pour supporter ses frais de séjour.
Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par la demanderesse tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où elle estime qu’il y aurait violation de son droit au respect de sa vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972 en échec.
Si les ressortissants de l’Union européenne et ceux assimilés, c’est-à -dire ceux originaires des pays ayant adhéré à l’Espace économique européen, bénéficient, en application - et dans les limites - du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, d’un droit de se faire rejoindre par 1) leur conjoint et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge et 2) les ascendants du ressortissant visé et ceux de son conjoint s’ils sont à sa charge, il n’existe cependant aucune disposition en droit national luxembourgeois ou en droit communautaire qui confère un droit au regroupement familial aux ressortissants des Etats tiers.
En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.
A ce sujet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.
Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites.
En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux (cf. Frédéric SUDRE in Droit International et Européen des Droits de l’Homme, No.183 au sujet de l’arrêt CRUZ VARAS et autres de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mars 1991, A.201 §88). En second lieu, elle ne 4 s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à -dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante.
Cette deuxième restriction requiert la mise en lumière de la distinction entre, d’une part, les décisions d’éloignement d’un étranger du territoire national et, d’autre part, les décisions relativement à des demandes d’entrée et de séjour au titre d’un regroupement familial. Les deux types de décisions impliquent des considérations de nature différente.
L’étranger qui invoque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour tenir en échec une mesure d’éloignement, vise à voir protéger la vie familiale qu’il a établie sur le territoire national et qui est menacée. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier l’existence d’une vie familiale effective et les effets que la mesure projetée risque d’avoir sur elle. Dans la deuxième hypothèse, un étranger entend accéder et séjourner sur le territoire national pour vivre ensemble avec sa famille, il vise partant à voir reconstitué son unité familiale. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier la préexistence à l’immigration d’une vie familiale effective (trib. adm. 13.12.1999, n° 10887 du rôle).
En l’espèce, la demanderesse vise à protéger sa vie familiale qu’elle a établie sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Le tribunal est donc en premier lieu appelé à examiner la situation de l’intéressée au regard des principes sus-énoncés et à examiner si le but légitime poursuivi par l’administration est proportionné ou non à la gravité de l’éventuelle atteinte au droit de la demanderesse au respect de sa vie privée et familiale.
A l’appui de sa demande, la demanderesse fait essentiellement valoir qu’elle est mère d’un enfant qui est né au Luxembourg. Il est toutefois constant que la demanderesse se maintient irrégulièrement au Grand-Duché de Luxembourg depuis 1994 et que son fils … y est né le 30 septembre 1995. La demanderesse a donc tissé cette attache familiale essentielle, alors qu’elle se trouvait irrégulièrement au Luxembourg. Elle ne pouvait donc ignorer la précarité qui en découlait, de sorte que cette situation créée, alors qu’elle ne bénéficiait pas d’une autorisation de séjour, ne saurait être déterminante. En effet, comme il a été relevé ci-dessus, les Etats ont le droit de contrôler l’immigration et la nécessité de mise en oeuvre d’une politique de contrôle d’immigration justifie la décision de refus dans la mesure où l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne confère pas le droit à la demanderesse de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale. L’Etat n’est pas tenu de laisser un étranger pénétrer sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux et il n’y a dès lors pas violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme si l’unité de la vie familiale peut se créer ailleurs, comme c’est le cas en l’espèce.
La demanderesse a en effet soutenu ne pas entretenir des liens avec le père de l’enfant, qui, d’après ses dires, n’exerce ni un droit de visite ni un droit d’hébergement, de sorte que, de ce point de vue, il n’existe pas de vie familiale effective entre le père et la mère, d’une part, et entre le père et l’enfant, d’autre part. La demanderesse, de nationalité cap-verdienne, dispose par ailleurs d’une autorisation de séjour pour s’installer au Portugal. Ainsi, rien n’empêche la demanderesse à s’installer avec son enfant dans ce pays, dont il a la nationalité.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le refus ministériel de délivrer une autorisation de séjour en faveur de Madame FORTES LIMA ne porte pas atteinte à son droit au respect d’une vie familiale et privée, c’est-à -dire qu’il n’y a pas ingérence au sens de l’article 5 8, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Le moyen afférent est partant à écarter.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé et doit être rejeté.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 20 janvier 2000 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 6