Numéro 11585 du rôle Inscrit le 14 octobre 1999 Audience publique du 12 janvier 2000 Recours formé par Madame … SABOTIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11585, déposée le 14 octobre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Isabelle GIRAULT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Martine LAUER, avocat, inscrit au prédit tableau, au nom de Madame … SABOTIC, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 septembre 1999 lui refusant le statut de réfugié politique, confirmant sur recours gracieux une décision antérieure du 23 juillet 1999;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Luc BIRGEN, en remplacement de Maître Isabelle GIRAULT, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 26 janvier 1999, Madame … SABOTIC, née le 19 juillet 1974, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, Madame SABOTIC fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le 1er juillet 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit à l’unanimité un avis défavorable.
Par décision du 23 juillet 1999, notifiée le 2 août 1999, le ministre de la Justice informa Madame SABOTIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :
« Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».
Suite à un recours gracieux daté du 31 août 1999 et introduit par le mandataire de Madame SABOTIC, le ministre réitéra son refus par une décision confirmative du 14 septembre 1999.
Par requête déposée le 14 octobre 1999, Madame SABOTIC a introduit un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 14 septembre 1999.
L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, le recours en réformation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, la demanderesse soutient en premier lieu que la décision litigieuse serait contraire à l’article 8 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 29 août 1953, ci-
après dénommée « la Convention », en ce que l’ensemble de sa famille, en l’occurrence ses père et mère, ainsi que son frère, se trouveraient actuellement légalement au Grand-Duché et qu’elle n’aurait dès lors plus aucun lien familial sur le territoire dont elle est ressortissante.
Elle affirme plus particulièrement que son frère serait en mesure d’assurer son entretien et son hébergement et aurait déjà attesté cet engagement de sa part devant notaire.
L’article 8 de la Convention dispose que:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
2 Les décisions en matière de statut de réfugié politique sont relatives à la reconnaissance d’une protection personnelle en faveur de personnes justifiant de craintes raisonnables de persécution au sens de la Convention de Genève. Tandis qu’une décision de reconnaissance du statut de réfugié politique a l’effet de conférer à son bénéficiaire un titre pour séjourner sur le territoire luxembourgeois, une décision de refus de reconnaissance de ce même statut, pour défaut de satisfaire aux critères y afférents prévus par la Convention de Genève, ne saurait entraîner per se pour la personne concernée l’obligation de quitter le Grand-Duché. Si la reconnaissance du statut de réfugié politique est en effet une des bases possibles pour une personne qui est ressortissant d’un Etat non membre de l’Espace Economique Européen afin d’obtenir le droit de séjourner dans le pays, ce même droit est régi par d’autres dispositions légales et réglementaires, dont notamment la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère. L’article 8 de la Convention, relatif au droit de séjour en raison du regroupement familial, ne saurait dès lors influer sur les critères de reconnaissance du statut de réfugié politique, régis par la seule Convention de Genève.
Il n’en reste pas moins que l’unité de la famille est aussi prise en compte dans le cadre de la Convention de Genève en ce sens que, dès lors que le chef de famille satisfait aux critères fixés par ladite convention, les membres de sa famille qui font partie de son ménage et qui se trouvent à sa charge sont susceptibles de se voir également reconnaître le statut de réfugié politique.
En l’espèce, la demanderesse n’établit point que l’un au moins de ses parents s’est vu conférer le statut de réfugié politique et qu’elle se trouve à leur charge, de manière à ce qu’elle ne saurait revendiquer ce même statut sur cette base. Par ailleurs, elle n’établit et n’allègue pas un tel lien de dépendance à l’égard de son frère qui se serait vu reconnaître le statut de réfugié politique.
L’article 8 de la Convention, et le droit au regroupement familial y consacré, est par contre appelé à s’appliquer dans le contexte d’une décision sur le droit d’une personne de séjourner dans le pays. La législation régissant le droit au séjour constituant un domaine distinct de celle relative au statut de réfugié politique, le ministre appelé à trancher les mérites d’une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique doit l’analyser par rapport à la seule législation applicable à cette matière et n’est pas amené à vérifier, dans ce cadre, si le demandeur est le cas échéant susceptible d’être autorisé à résider légalement au Luxembourg en vertu d’un droit au regroupement familial consacré par la Convention.
Il s’ensuit que l’article 8 de la Convention ne saurait énerver la légalité de la décision entreprise et que le premier moyen laisse d’être fondé.
La demanderesse fait valoir en second lieu des persécutions à titre personnel et expose plus particulièrement avoir fait l’objet, dans sa patrie, de lettres de menace en raison de son appartenance à la religion musulmane, minorité ayant déjà fait l’objet de nombreuses persécutions sur le territoire yougoslave. Elle fait encore état de son désir de ne plus retourner dans son pays de provenance où elle serait seule en l’absence de membres de sa famille, préférant rester au Grand-Duché avec l’ensemble de sa famille.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l'espèce, l’examen des déclarations faites par Madame SABOTIC lors de son audition en date du 26 janvier 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés dans son recours gracieux ainsi qu'au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Le recours est donc à rejeter comme non fondé.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et prononcé à l’audience publique du 12 janvier 2000 par Mme LENERT, déléguée à ces fins, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
s. SCHMIT s. SCHOCKWEILER 4