La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2000 | LUXEMBOURG | N°11575

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 janvier 2000, 11575


Numéro 11575 du rôle Inscrit le 7 octobre 1999 Audience publique du 12 janvier 2000 Recours formé par les consorts … MUCEVIC et X.

contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11575, déposée le 7 octobre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté par

Maître Roby SCHONS, avocat, inscrit au prédit tableau, au nom des consorts … MUCEVIC...

Numéro 11575 du rôle Inscrit le 7 octobre 1999 Audience publique du 12 janvier 2000 Recours formé par les consorts … MUCEVIC et X.

contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11575, déposée le 7 octobre 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté par Maître Roby SCHONS, avocat, inscrit au prédit tableau, au nom des consorts … MUCEVIC et X., tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 septembre 1999 leur refusant la reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 1999 par Maître Luc SCHANEN au nom des consorts MUCEVIC-X.;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Roby SCHONS, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 16 juillet 1998, Monsieur … MUCEVIC, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». Le 1er septembre 1998, son ex-épouse, Madame X., et leur fille mineure MUCEVIC …, toutes les deux également de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à la même adresse, présentèrent une demande ayant le même objet.

Monsieur MUCEVIC et Madame X. furent entendus par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile respectives en date du 1er mars 1999, une audition complémentaire des deux époux ayant encore eu lieu en date du 16 mars suivant.

Le 1er juillet 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit à l’unanimité un avis défavorable.

Par décision du 16 août 1999, notifiée le 20 août 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur MUCEVIC de ce que sa propre demande et celles de son « épouse » et de sa fille avaient été rejetées. Ladite décision est motivée comme suit :

« Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».

Suite à un recours gracieux daté du 10 septembre 1999 introduit par le mandataire des consorts MUCEVIC-X., le ministre réitéra son refus par décision confirmative du 17 septembre 1999.

Par requête déposée le 7 octobre 1999, les consorts MUCEVIC-X. introduisirent un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du 17 septembre 1999.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile instaurant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours subsidiaire en réformation, non autrement contesté sous ce rapport, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours principal en annulation est partant à déclarer irrecevable.

Les demandeurs critiquent d’abord l’absence de motivation suffisante de la décision déférée, en se basant sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et sur l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996, en ce que l’avis de la commission pour les réfugiés n’était pas annexé à la première décision du 16 août 1999 malgré un renvoi exprès y relatif.

Abstraction même faite de la circonstance, relevée par le délégué du Gouvernement, que l’avis de la commission consultative figure comme pièce à la fois en annexe au recours gracieux et à l’appui du recours contentieux introduits au nom des demandeurs, le fait par le ministre d’avoir précisé dans la décision du 16 août 1999 qu’il « ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe 2 social n’est pas établie » et que « votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 (..) », s’analyse en une motivation suffisamment précise tant en droit qu’en fait. Non seulement, le texte de la loi sur lequel le ministre s’est fondé est-il clairement indiqué, mais le ministre a également précisé que les demandeurs d’asile sont restés en défaut de faire valoir des craintes justifiées de persécution au sens de la Convention de Genève. Cette motivation est suffisamment complète pour mettre les demandeurs en mesure d’assurer la défense de leurs intérêts et le ministre n’était pas obligé d’énoncer, dans le corps même de la décision, l’ensemble des motifs indiqués et des déclarations faites par les demandeurs d’asile au cours de l’instruction de leur dossier et en quoi lesdits motifs et déclarations sont insuffisants pour constituer des craintes justifiées de persécution au sens de la Convention de Genève (trib. adm. 16 décembre 1999, Hodzik, n° 11503, non encore publié).

Le moyen tiré du défaut de motivation suffisante doit partant être rejeté.

Quant au fond, les demandeurs exposent que Monsieur MUCEVIC a déserté en 1992 de l’armée yougoslave afin de marquer son désaccord avec la politique belliqueuse prônée par les dirigeants en place et plus particulièrement avec la guerre en Bosnie, donc pour des raisons éminemment politiques. En conséquence de cet acte d’insoumission, il aurait été licencié par son employeur. Son épouse aurait pareillement subi les conséquences de cette insoumission en ce qu’elle aurait notamment dû solliciter le divorce, prononcé le 16 janvier 1997, afin d’éviter d’être également licenciée.

Les demandeurs font valoir qu’en l’état actuel des développements dans leur patrie, des raisons valables de craindre le retour dans leur pays subsisteraient toujours dans leur chef.

Ils s’appuient notamment sur deux articles de presse relatant des condamnations à des peines élevées, voire arbitraires à l’encontre de soldats pour refus d’accomplissement de leur service militaire, ainsi que des accusations « obscures » et condamnations sans motifs apparents. Ils renvoient encore à un rapport du Haut commissariat pour les réfugiés de l’organisation des nations unies (UNHCR) dont il ressortirait que Monsieur MUCEVIC risquerait toujours des peines aggravées en raison de sa désertion et qui retiendrait que le risque de sanctions pour insoumission pourrait constituer un risque de persécution si les sanctions sont appliquées de manière discriminatoire, si les peines sont aggravées en cas de désertion ou si un procès équitable est dénié. Le même rapport reconnaîtrait qu’un déserteur pourrait être considéré comme objecteur de conscience eu égard à la nature particulière de la guerre au Kosovo, et notamment aux violations flagrantes des droits de l’homme y perpétrées.

Tout en admettant l’impossibilité de fournir des preuves plus circonstanciées des arrestations, accusations et condamnations arbitraires, les demandeurs entendent s’opposer à un refus de reconnaissance du statut de réfugié pour défaut de preuve concrète, en invoquant l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 29 août 1953, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme ». Ils estiment qu’en cas de rejet de leur demande d’asile et de retour dans leur pays d’origine, ils se verraient privés des garanties essentielles prévues par cette disposition dans la mesure où ils risqueraient d’y être jugés par un tribunal ne satisfaisant pas aux critères fixés par cette même disposition.

Le délégué du Gouvernement relève que les articles de presse soumis ne sont pas datés et sont dépourvus de toute mention du journal dont ils sont extraits, de sorte qu’ils ne sauraient être pris en compte comme élément de preuve. Il fait encore remarquer qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier pourquoi les demandeurs devraient se sentir davantage 3 menacés que d’autres personnes « alors qu’en toute apparence ils n’ont nullement été inquiétés pendant les sept ans ayant suivi les événements en Bosnie », l’obtention du divorce par Madame X. dans le seul but de préserver son emploi restant pareillement à l’état de pure allégation. Le représentant étatique renvoie encore à certaines contradictions entre les déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives et leurs affirmations formulées dans leur recours contentieux, qui affecteraient la crédibilité de leur exposé des faits.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l'espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions en dates des 1er et 16 mars 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les compte-rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés dans leur recours gracieux ainsi qu'au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir, à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 6, 1. de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de relever qu’aux termes de cette disposition « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, sont du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

Le moyen des demandeurs fondé sur cette disposition s’analyse en substance en une critique du système judiciaire de leur pays d’origine auquel ils seraient le cas échéant exposés en cas de retour suite à un refus du statut de réfugié politique au Luxembourg. Ayant trait à la 4 situation générale du pays d’origine, sans aucunement étayer dans le chef des demandeurs un risque de persécution personnelle, ce moyen n’est dès lors pas de nature à infirmer la décision ministérielle de rejet, étant donné que la désertion ne constitue pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, quelles que soient par ailleurs les raisons ayant poussé le demandeur à déserter de l’armée yougoslave (Cour adm. 11 février 1999, Kurpejovic, n° 10976C, Pas. adm. 2/1999, v° Etrangers, n° 31).

Le recours est donc à rejeter comme non fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours principal en annulation irrecevable, reçoit le recours subsidiaire en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l’audience publique du 12 janvier 2000 par le premier juge, délégué à ces fins, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11575
Date de la décision : 12/01/2000

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2000-01-12;11575 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award