N° 11708 du rôle Inscrit le 8 décembre 1999 Audience publique du 27 décembre 1999
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Recours formé par Monsieur … HUREMOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11708 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 1999 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HUREMOVIC, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-
…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 octobre 1999, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ladite requête comprenant également une demande tendant à l’obtention d’un effet suspensif du recours en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 1999 ;
Vu le “ mémoire en réplique ”, envoyé par télécopieur au greffe du tribunal administratif en date du 17 décembre 1999 au nom du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries.
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Le 17 juin 1998, Monsieur … HUREMOVIC, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, introduisit au Grand-
Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé “ la Convention de Genève ”.
Monsieur HUREMOVIC fut interrogé par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, en dates des 18 juin et 17 juillet 1998 sur l’itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg ainsi que sur sa situation personnelle et familiale.
Par ailleurs, il fut entendu en dates des 25 février et 29 mars 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 25 juin 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur HUREMOVIC, par lettre du 28 octobre 1999, notifiée le 9 novembre 1999, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : “ (…) Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier qu’avant d’introduire une demande au Luxembourg, vous aviez présenté une demande en Belgique, demande qui a fait l’objet d’une décision de rejet. Aux termes de l’article 6.2.g) du règlement grand-
ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, la demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée si le demandeur a présenté une demande au Grand-Duché de Luxembourg, après avoir vu sa demande rejetée dans un autre pays à la suite d’un examen comprenant les garanties procédurales appropriées et conformément à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.
(…) ”.
Par requête du 8 décembre 1999, Monsieur HUREMOVIC a introduit un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 28 octobre 1999. La même requête contient également une demande tendant à l’obtention d’un effet suspensif du recours en question.
En date du 17 décembre 1999, le litismandataire de Monsieur HUREMOVIC a fait parvenir, par télécopieur, un “ mémoire en réplique ” au greffe du tribunal administratif.
En vertu des articles 8 (1) et 2, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un mémoire en réplique doit être déposé au greffe du tribunal, en original ensemble avec 4 copies.
En l’espèce, l’envoi par télécopieur au greffe du tribunal administratif d’un document intitulé “ mémoire en réplique ” ne saurait valoir dépôt d’un mémoire en réplique en application des dispositions légales qui précèdent, étant donné que le greffe n’a reçu ni l’original du mémoire en question ni les 4 copies exigées par l’article 2 2 précité. Il y a partant lieu de rejeter ce “ mémoire en réplique ”, qui n’est pas à prendre en considération et qui n’entrera pas en taxe.
Le délégué du gouvernement conclut tout d’abord à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en réformation, au motif qu’en la présente matière seul un recours en annulation aurait pu être dirigé contre la décision déférée.
Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision litigieuse. En effet, comme l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, l’existence d’une telle possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Etant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en annulation en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées sur base de l’article 9 de la même loi, seule une demande en annulation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée du 28 octobre 1999. Le tribunal administratif est partant incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.
Dans sa requête introductive d’instance, Monsieur HUREMOVIC demande au tribunal d’ordonner l’effet suspensif de son recours. Une telle demande est toutefois à déclarer irrecevable pour défaut d’objet, étant donné qu’en vertu de l’article 10, alinéa 5 de la loi précitée du 3 avril 1996, le recours dirigé contre une décision ayant déclaré une demande d’asile manifestement infondée sur base de la Convention de Genève porte, de par la loi elle-même, un effet suspensif, suspendant les effets de la décision déférée au tribunal administratif.
A l’appui de son recours, le demandeur admet qu’il a déjà quitté son pays d’origine au mois de février 1995, en raison de son refus de se battre contre “ ses frères musulmans dans le cadre d’une guerre acharnée ”, et qu’il se serait rendu en Belgique afin d’y présenter une demande d’asile. Il critique la procédure d’instruction de sa demande d’asile en Belgique, en estimant que celle-ci aurait été “ très sommaire et expéditive se déroulant en langue respectivement française et néerlandaise qu’il ne comprenait pas ” et il soutient qu’il ne serait pas établi qu’il aurait pu faire valoir une quelconque observation ou moyen de défense dans le cadre de cette procédure d’asile.
Il estime encore qu’en sa qualité de déserteur “ de guerre ”, il serait exposé “ aux pires réprimandes ” lors d’un retour dans son pays d’origine et il affirme que 3 cette peur constituerait une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Le délégué du gouvernement expose qu’une enquête du service de police judiciaire de la gendarmerie grand-ducale a révélé que le demandeur, après avoir déposé en Belgique en 1995 une demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié politique, s’est vu refuser la reconnaissance en question par les autorités belges et qu’il s’est par la suite rendu au Luxembourg pour habiter auprès de son frère à Schifflange. Sur base de ces faits, il estime que la demande de Monsieur HUREMOVIC serait “ purement abusive ” étant donné qu’il aurait séjourné au Luxembourg de manière irrégulière, depuis son rejet, en Belgique, de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié. Ce serait partant à juste titre que le ministre de la Justice a rejeté la demande comme manifestement infondée au sens de l’article 6. 2. g) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.
Il estime par ailleurs que, contrairement aux allégations exposées par le demandeur, la Belgique, qui serait un Etat démocratique, membre de l’Union européenne, du Benelux et signataire de la Convention de Genève, fournirait toutes les garanties procédurales appropriées, et ce serait partant à tort que le demandeur a critiqué la procédure belge en question. Dans ce contexte, le représentant étatique fait état de ce que l’audition du demandeur en Belgique lui aurait été traduite en langue serbo-croate, tel que cela résulterait du rapport belge de la procédure relative à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié. Il ressortirait encore des pièces belges en question que le demandeur aurait fait un recours devant les juridictions belges en date du 28 février 1999 et il estime que par conséquent “ les garanties procédurales appropriées auraient été respectées en l’espèce ”.
A titre subsidiaire, le délégué du gouvernement fait valoir que le tribunal pourrait, au cas où il estimerait que la décision déférée ne serait pas fondée sur base de l’article 6.2. g) du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, “ compléter les motifs à la base de la décision administrative ” en la fondant sur l’article 6.2. b) du même règlement grand-ducal, au motif que le demandeur aurait délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement … ”.
En vertu de l’article 6.2.g) du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. D’après ladite disposition légale, “ tel est notamment le cas lorsque le demandeur a : présenté une demande au Grand-Duché de Luxembourg, après avoir vu sa demande rejetée dans un autre pays à la suite d’un 4 examen comprenant les garanties procédurales appropriées et conformément à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. (…) ”.
Le tribunal est partant amené à analyser si le demandeur a présenté une demande d’asile dans un autre pays que le Luxembourg avant d’introduire une telle demande auprès du ministre de la Justice du Luxembourg et si la procédure prévue dans cet autre Etat fournit des garanties procédurales appropriées et semblables à celles prévues par les procédures luxembourgeoises en matière de demandes d’asile.
Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif, et plus particulièrement d’une lettre envoyée par la direction générale de l’office des étrangers du ministère belge de l’Intérieur en date du 14 avril 1999 au service des étrangers du ministère luxembourgeois de la Justice que le demandeur a présenté une demande d’asile en Belgique en date du 24 février 1995, qu’en date du même jour cette demande a été rejetée “ avec ordre de quitter le territoire ”, qu’en date du 28 février de la même année, le demandeur a introduit en Belgique un recours contre ladite décision et que ce recours a été déclaré irrecevable en date du 14 avril 1995. Il ressort encore d’une copie du procès-verbal concernant l’interrogatoire du demandeur en Belgique, dont une copie a été envoyée en date du 21 mai 1999 par le même ministère belge de l’Intérieur au ministère luxembourgeois de la Justice qu’en date du 24 février 1995 le demandeur a fait en Belgique l’objet d’une audition portant notamment sur ses origines personnelles et familiales, son pays de provenance, l’itinéraire suivi pour arriver en Belgique ainsi que les motifs de sa demande d’asile. Il se dégage du même procès-verbal que l’audition a eu lieu en langue serbo-croate et que le procès-verbal en question, rédigé en français, lui a été lu dans la même langue serbo-croate. Enfin, il échet de relever que le procès-verbal en question a été signé non seulement par le demandeur d’asile lui-même mais également par l’interprète et par l’agent interrogateur.
Dans son recours, le demandeur, sans contester qu’il a présenté une demande d’asile en Belgique, avant de se rendre au Luxembourg, et qu’il y a fait l’objet d’un refus de reconnaissance du statut de réfugié politique, fait valoir que la procédure belge aurait été très sommaire et expéditive et qu’elle se serait déroulée dans une langue qu’il n’aurait pas comprise. En ce qui concerne ce dernier point, il découle des développements qui précèdent que l’audition du demandeur en Belgique s’est faite en langue serbo-croate, ce qui est attesté notamment par la signature de l’interprète ayant traduit les annotations manuscrites en français audit procès-verbal dans la langue du pays d’origine du demandeur et que ce dernier a déclaré connaître parfaitement. C’est partant à tort que le demandeur fait valoir qu’il n’aurait pas compris les questions qui lui ont été posées au cours de l’audition belge du 24 février 1995 et qu’il n’aurait pas été en mesure de s’exprimer et de faire valoir correctement ses motifs de persécution au cours de ladite audition. Par ailleurs, en l’absence d’autres critiques formulées à l’encontre de la procédure belge, à part l’affirmation très générale et vague tirée de ce que cette procédure aurait été “ très sommaire et expéditive ”, sans que le demandeur n’apporte aucun élément permettant d’étayer ses allégations, et en l’absence encore d’informations à la disposition du tribunal permettant de conclure que la procédure belge ne contiendrait pas les garanties procédurales appropriées, telles que prévues notamment par la Convention de Genève, il échet d’écarter le moyen afférent présenté par le demandeur.
5 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice s’est basé sur l’article 6.2.g) du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour décider que la demande d’asile présentée par le demandeur est manifestement infondée.
Il s’ensuit que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
écarte des débats le “ mémoire en réplique ” envoyé par le litismandataire du demandeur au greffe du tribunal par télécopieur;
déclare irrecevable la demande tendant à l’effet suspensif du recours;
au fond déclare le recours non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 27 décembre 1999 par le vice-président, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.
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