N° 11682 du rôle Inscrit le 25 novembre 1999 Audience publique du 27 décembre 1999
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Recours formé par Madame … BIBULICA et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11682 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 1999 par Maître Dominique PETERS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) Madame … BIBULICA, épouse…, sans état particulier, de nationalité yougoslave, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses trois enfants mineurs …, et 2) Mademoiselle …, la fille majeure de la demanderesse sub 1), les cinq prénommés demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er septembre 1999, notifiée le 22 septembre 1999, par laquelle leur demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 3 novembre 1999, rendue sur recours gracieux en date du 21 octobre 1999;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Dominique PETERS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
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Le 31 mai 1999, Madame … BIBULICA, épouse …, sans état particulier, de nationalité yougoslave, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses trois enfants mineurs …, et Mademoiselle …, la fille majeure de Madame BIBULICA, les cinq prénommés demeurant ensemble à L-…, introduisirent au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Madame BIBULICA et Mademoiselle …furent entendues en date du 2 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande.
1 Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 5 août 1999, le ministre de la Justice informa Madame BIBULICA, par lettre du 1er septembre 1999, notifiée le 22 septembre 1999, que sa demande ainsi que celle de ses enfants avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».
Un recours gracieux formé par le mandataire de Madame BIBULICA par lettre du 21 octobre 1999 à l’encontre de la décision précitée du 1er septembre 1999 fut rejeté par une décision confirmative du ministre de la Justice du 3 novembre 1999.
Par requête du 25 novembre 1999, Madame BIBULICA et ses enfants ont introduit un recours tendant à l’annulation des décisions déférées des 1er septembre et 21 octobre 1999.
L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoyant expressément qu’en matière de demande d’asile déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le recours en annulation des décisions ministérielles litigieuses est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs soutiennent « que les deux décisions sont viciées, alors qu’elles manquent de base tant en droit qu’en fait [et] que la simple référence à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés ne suffit pas pour motiver une décision d’une telle gravité ».
Lors des plaidoiries et sur question afférente, le mandataire des demandeurs a précisé que son moyen d’annulation serait fondé tant sur l’absence d’indication que l’inexistence de motifs légitimes des décisions incriminées.
Le représentant étatique conclut au rejet du recours pour manquer de fondement.
Conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision qui refuse de faire droit à la demande d’un administré doit indiquer « les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base ». Au voeu de l’article 7 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, la sanction du non-respect de cette obligation de motivation consiste dans la suspension des délais tant administratifs que contentieux, lesquels ne commencent à courir qu’à partir de la 2 communication des motifs. - S’y ajoute qu’en la présente matière, l’article 10 alinéa 2 de la loi précitée du 3 avril 1996 exige spécialement que les décisions dans les cas visés aux articles 8 et 9 de ladite loi soient motivées.
En l’espèce, le moyen tiré de l’absence ou de l’insuffisance de la motivation manque de fondement, étant donné que la décision initiale du 1er septembre 1999, d’une part, mentionne expressément la base légale sur laquelle la décision ministérielle négative est basée et, d’autre part, que l’avis de la commission consultative pour les réfugiés, auquel le ministre s’est rallié, et qui était annexé en copie, indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait se trouvant à sa base. Le ministre, en faisant siennes les conclusions de la prédite commission consultative, a donc basé sa décision de refus sur ces mêmes motifs, de sorte que les motifs du refus ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.
- Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 3 novembre 1999 ne contient pas de motivation propre, étant donné que, en l’absence d’éléments nouveaux, elle a pu, à bon droit, se borner à renvoyer à la décision initiale, les deux décisions attaquées ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.
L’existence de motifs ayant été vérifiée, il convient encore d’examiner si les décisions ministérielles ne sont pas le résultat d’une mauvaise appréciation de sa situation personnelle des demandeurs.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement … ”.
En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.
Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement.
Le tribunal doit partant examiner, de manière sommaire, et sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou manifestement dénués de fondement.
Or, en l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, à savoir le Monténégro. - En effet, lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Madame BIBULICA a uniquement affirmé avoir quitté son pays d’origine à cause de la guerre, c’est-à-dire qu’elle craignait que 3 les sévices subis par la population au Kosovo ne se répètent au Monténégro. Sa fille quant à elle fait état de craintes identiques. Ce faisant, les demandeurs restent en défaut d’établir ni même d’alléguer en quoi leur situation particulière ait été telle qu’ils pouvaient avec raison craindre qu’ils feraient ou pourraient faire l’objet de persécutions, au sens de la Convention de Genève, dans leur pays d’origine et, ainsi, les autorités luxembourgeoises ont été mises dans l’impossibilité d’examiner, en plus de la situation générale régnant au Monténégro, leur situation particulière et de vérifier concrètement et individuellement s’ils ont raison de craindre d’être persécutés.
Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré les demande d’asile de Madame BIBULICA et de ses enfants comme étant manifestement infondée. Il s’ensuit que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Campill, premier juge Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 27 décembre 1999 par M. Campill, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour, greffier assumé.
May Campill 4