Numéro 11391 du rôle Inscrit le 20 juillet 1999 Audience publique du 27 décembre 1999 Recours formé par Monsieur … SCHANEN, … contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11391, déposée le 20 juillet 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain LORANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SCHANEN, …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de l’arrêté du ministre des Transports du 22 avril 1999 portant restriction de la validité de son permis de conduire aux seuls trajets professionnels;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Anne GROSSMANN, en remplacement de Maître Alain LORANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Par jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 9 mai 1990, Monsieur … SCHANEN, …, demeurant à L-…, fut condamné à une amende de 22.000.- francs et à une interdiction de conduire valant pour les catégories A, B, C, D, E et F d’une durée de 20 mois, assortie d’un sursis intégral, le tout pour avoir circulé le 13 octobre 1989 avec un taux de 2,38 °/oo d’alcool dans le sang.
Par jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siègeant comme juge unique en matière correctionnelle, du 4 décembre 1997, Monsieur SCHANEN fut une nouvelle fois condamné à une amende de 40.000.- francs et à une interdiction de conduire valant pour les catégories A, B, C, D, E et F d’une durée de 22 mois, dont 12 assortis de sursis, le restant excepté les trajets professionnels, le tout pour avoir circulé le 14 janvier 1997 avec un taux de 0,96 mg/l soit 2,19 °/oo d’alcool dans le sang.
En date du 25 février 1998, il fut à nouveau condamné par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour avoir circulé en date du 23 février 1997 avec un taux d’alcool de 0,91 mg/l et notamment pour avoir circulé sans raison valable à une vitesse excessivement réduite, empêchant la marche normale des autres véhicules. Il fut condamné à une amende de 50.000.-
francs et à une interdiction de conduire valant pour les catégories A, B, C, D, E et F d’une durée de 22 mois, excepté les trajets professionnels.
Les interdictions prononcées par les jugements des 4 décembre 1997 et 25 février 1998 respectivement ont produit ou produisent leurs effets du 24 mars 1998 au 18 janvier 1999 et du 19 janvier 1999 au 10 novembre 2000.
Par courrier du 10 novembre 1998, le ministre des Transports a saisi le procureur général d’Etat d’une demande d’avis au sujet d’un retrait administratif du permis de conduire de Monsieur SCHANEN.
Le procureur général d’Etat a soumis au ministre des Transports le 7 décembre 1998 son avis “ en renvoyant aux conclusions du rapport de gendarmerie du 30.11.98 ”.
Le rapport de la brigade de Grevenmacher de la gendarmerie grand-ducale du 30 novembre 1998, versé au dossier, renseigne notamment que “ seit der letzten Zuwiderhandlung am 23. Februar 1997 ist der Interessent nicht mehr negativ aufgefallen. Es liegen keine weiteren Verkehrsvergehen vor und es wurden auch keine etwaige Unfälle auf gütlichem Wege bereinigt. SCHANEN gab hiesiger Stelle an, dass er seinen Alkoholkonsum eingestellt hätte. Diese Angaben können der Wahrheit entsprechen, da der Interessent nicht mehr in den Gastwirtschaften anzutreffen ist. Vielleicht wäre es angebracht kurz vor Beendigung des Führerscheinsentzugs einen weiteren Führerscheinsbericht zu verfassen, um somit sicher zu sein, dass der Interessent sein Alkoholproblem tatsächlich in den Griff bekommen hat ”.
Par courrier du 11 janvier 1999, Monsieur SCHANEN fut convoqué devant la commission spéciale des permis de conduire afin d’être entendu sur le dossier relatif à son permis de conduire. Lors de son audition en date du 25 février 1999, il a notamment pris connaissance des faits qui lui étaient reprochés, les a commentés et a déclaré que “ le 14 janvier 1997, j’avais des problèmes dans ma vie privée et je buvais trop d’alcool, ensuite je circulais avec ma voiture. Le 23 février 1997 je circulais de nouveau avec un taux d’alcool trop élevé. Depuis je n’ai plus de problème avec l’alcool.(…) ”. Il a encore expliqué qu’il aurait besoin de son permis de conduire pour se rendre à son lieu de travail, travail qui débuterait à 4.00 heures du matin auprès des CFL.
La commission a émis le 25 février 1999 la proposition unanime “ de limiter la validité [du permis de conduire] aux trajets professionnels selon l’article 92 du Code des Assurances Sociales ”.
Le ministre des Transports, se basant sur les avis respectifs précités du procureur général d’Etat et de la commission spéciale, a restreint, par arrêté du 22 avril 1999, la validité du permis de conduire de Monsieur SCHANEN aux trajets professionnels, au motif que “ pour 2 les raisons reprises sous 3) du paragraphe 1er de l’article 2 précité (loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques), la validité du permis de conduire est à restreindre ”.
Par requête déposée le 20 juillet 1999, Monsieur SCHANEN a fait introduire un recours en annulation contre ledit arrêté ministériel du 22 avril 1999 pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir, sinon pour violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, sinon pour détournement de pouvoir.
A l’appui de son recours, il fait valoir que le retrait de son permis de conduire prononcé à deux reprises par les tribunaux judiciaires, l’aurait marqué de telle manière qu’il aurait complètement changé son attitude pour ne plus boire de l’alcool lorsqu’il doit conduire un véhicule. Il estime dès lors que la mesure administrative prononcée plus de deux ans après les faits ayant donné lieu aux jugements précités, serait hors proportion au regard de son comportement actuel, étant donné que depuis les prédits faits, il ne conduirait plus sous l’influence de l’alcool et qu’il aurait repris un comportement raisonnable. Ainsi, le but assigné par la mesure administrative de retrait du permis de conduire, à savoir protéger pour l’avenir la sécurité des autres usagers de la route contre des personnes représentant un danger potentiel à leur égard, serait déjà atteint dans le présent cas, de sorte que cette mesure n’aurait pas de raison d’être.
Il estime par ailleurs que la décision du ministre des Transports du 22 avril 1999 aurait été prise sur le fondement unique de faits ayant déjà motivé les condamnations judiciaires, de sorte qu’il s’agirait d’une “ peine supplémentaire par rapport à celle prononcée par le juge judiciaire ”, pour en conclure qu’il y aurait une erreur manifeste d’appréciation des faits à la base de la décision litigieuse.
Le délégué du gouvernement répond qu’il ressortirait à suffisance de droit du dossier administratif du demandeur que ce dernier serait dépourvu du sens des responsabilités requis dans l’intérêt de la sécurité routière pour la conduite d’un véhicule. Il estime que le manque de responsabilité serait documenté par le fait que le demandeur a conduit à 3 reprises un véhicule en état d’ivresse, pour en conclure que la restriction du droit de conduire aux seuls trajets professionnels serait pleinement justifiée.
Il relève encore que le temps révolu depuis la dernière ivresse au volant serait trop court pour permettre de conclure à un amendement effectif et durable de la part du demandeur.
Par ailleurs, comme le permis de conduire a été retiré au demandeur depuis le 24 mars 1998, il n’aurait de toute manière pas pu conduire un véhicule, à l’exception des trajets professionnels.
Il conteste par ailleurs que le retrait administratif du permis de conduire serait à considérer comme une “ sanction ”, mais il soutient qu’il s’agit d’une mesure de sécurité pour les autres usagers de la route.
Aucune disposition légale ne prévoyant en matière de retrait du permis de conduire un recours de pleine juridiction, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Quant au fond, l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques prévoit que le ministre des transports ou son délégué peuvent retirer le permis de conduire notamment lorsque l’intéressé 3 “ 3) .. est dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule ”.
Le but assigné à la mesure prévue par l’article 2 de la loi précitée du 14 février 1955 est celui d’écarter de la circulation publique des personnes ne présentant plus, en raison des circonstances énumérées audit article, les garanties nécessaires pour pouvoir admettre dans leur chef une participation à cette même circulation publique dans des conditions satisfaisantes de sécurité. La finalité primordiale d’une telle mesure est ainsi celle de protéger pour le futur la sécurité des autres usagers de la route contre des personnes représentant un danger potentiel à leur égard et non celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés.
L’appréciation si une personne présente encore les garanties susvisées doit nécessairement reposer sur son comportement global, pour lequel les infractions antérieurement constatées constituent un élément essentiel.
Les mesures visées ne tendent en effet pas à dissuader la personne visée de récidiver par la menace d’une sanction, mais la mettent dans l’impossibilité légale de récidiver dans le futur en vertu d’un but de sécurité publique. Le reproche tiré de ce que le retrait administratif du permis de conduire serait à analyser en une sanction et qu’une telle mesure ferait double emploi avec la procédure judiciaire en ce que le demandeur serait jugé une deuxième fois pour les mêmes faits est dès lors à écarter.
Il convient encore d’analyser si cette mesure administrative est proportionnelle par rapport à la gravité des faits et éléments contenus dans le dossier administratif du demandeur.
Le tribunal constate que le demandeur a fait l’objet d’une première condamnation par jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg du 9 mai 1990 à une amende de 22.000.-
francs et à une interdiction de conduire de 20 mois, assortie du sursis intégral, pour avoir circulé avec un taux de 2,38 °/oo d’alcool dans le sang, d’une deuxième condamnation du 4 décembre 1997 prononcée par la même juridiction, le condamnant du chef d’infractions identiques à une amende de 40.000.- francs et à une interdiction de conduire de 22 mois, dont 12 mois assortis du sursis, le restant excepté les trajets professionnels, ainsi que d’une troisième condamnation du 25 février 1998 prononcée par la même juridiction, le condamnant du chef d’infractions identiques, à une amende de 50.000.- francs et à une interdiction de conduire de 22 mois, excepté les trajets professionnels.
Il ressort cependant d’un rapport de la brigade de Grevenmacher de la gendarmerie grand-ducale du 30 novembre 1998, précité, que Monsieur SCHANEN semble ne plus s’adonner à la boisson, de sorte que les agents enquêteurs de la brigade en question proposaient d’attendre la fin de la mesure judiciaire de retrait du permis de conduire pour se prononcer sur un éventuel retrait administratif de ce permis. Le procureur général d’Etat, en renvoyant au prédit rapport, s’est donc rallié à ce point de vue.
Comme les condamnations judiciaires et le retrait administratif du permis de conduire constituent deux mesures qui poursuivent des buts différents, tel que cela a été relevé ci-
dessus, le ministre a, à juste titre, pu décider de procéder au retrait du permis de conduire, même si la période de retrait administratif se recoupe partiellement avec celle visée par les décisions judiciaires en question.
4 Le ministre compétent est appelé à examiner le comportement global de la personne concernée en prenant en considération des éléments suffisamment récents pour être susceptibles de le renseigner au moment où il prend sa décision sur l’attitude de l’intéressé.
En l’espèce, il est constant que le demandeur a conduit 3 fois en état d’ivresse, dont deux cas recensés au cours de l’année 1997. Il a ainsi commis dans un laps de temps extrêmement court deux infractions d’une gravité certaine.
Sur base de ces éléments, le ministre a pu estimer, sans transgresser son pouvoir d’appréciation, que Monsieur SCHANEN ne fournissait pas encore toutes les garanties requises permettant de conclure à sa participation à la circulation publique dans des conditions satisfaisantes et qu’il était prématuré de tirer une conclusion contraire, même en présence du rapport précité concluant à un comportement plus prudent en ce qu’il retient que “ SCHANEN gab hiesiger Stelle an, dass er seinen Alkoholkonsum eingestellt hätte. Diese Angaben können der Wahrheit entsprechen, da der Interessent nicht mehr in den Gastwirtschaften anzutreffen ist ”.
Le ministre a pu estimer que cette constatation à elle seule ne donnait pas toutes les garanties requises que le demandeur s’abstienne de la consommation de boissons alcooliques lorsqu’il conduit un véhicule.
Sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent, le ministre a légalement pu retenir, sans commettre une erreur d’appréciation manifeste des faits lui soumis, que le demandeur était dépourvu du sens des responsabilités requis pour la conduite d’un véhicule et ordonner le retrait de son permis de conduire, excepté les trajets professionnels.
Il découle des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge 5 et lu à l’audience publique du 27 décembre 1999, par le vice-président, en présence de M. May, greffier en chef de la Cour administrative, greffier assumé.
s. May s. Schockweiler 6