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23/12/1999 | LUXEMBOURG | N°11500

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 décembre 1999, 11500


N° 11500 du rôle Inscrit le 26 août 1999 Audience publique du 23 décembre 1999

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Recours formé par Madame … MWANGA CHUCHU, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 1999 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MWANGA CHUCHU, née le … à …, de nationalité zaïroise, actuelleme

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N° 11500 du rôle Inscrit le 26 août 1999 Audience publique du 23 décembre 1999

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Recours formé par Madame … MWANGA CHUCHU, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 1999 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MWANGA CHUCHU, née le … à …, de nationalité zaïroise, actuellement sans état particulier, demeurant à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 25 mai 1999, notifié le 1er juin 1999, lui refusant la délivrance d’une carte d’identité d’étranger;

Vu l’ordonnance de la deuxième chambre du tribunal administratif du 27 septembre 1999, rendue en exécution de l’article 70, alinéa 3 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, par laquelle la demanderesse a été invitée à indiquer au tribunal si elle entendait maintenir son recours;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 14 octobre 1999;

Vu le mémoire en duplique déposé le 25 octobre 1999 par le délégué du gouvernement;

Vu la déclaration de Maître Louis TINTI faite à la suite de l’ordonnance précitée du 27 septembre 1999, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 octobre 1999, par laquelle il a déclaré que sa mandante entendait poursuivre le présent recours;

Vu le jugement de la deuxième chambre du tribunal administratif du 15 novembre 1999, rendu en exécution de l’article 70, alinéa 3 de la loi précitée du 21 juin 1999, décidant que la présente affaire sera instruite conformément à la nouvelle loi de procédure;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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1 Par lettre du 13 avril 1999, la commission consultative en matière de police des étrangers, ci-après dénommée « la commission consultative », informa Madame … MWANGA CHUCHU, née le … à …, de nationalité zaïroise, sans état particulier, demeurant actuellement à L- …, de ce que le ministre de la Justice envisageait de ne pas faire droit à sa demande -

introduite à une date non autrement précisée par les parties à l’instance et qui ne se dégage pas non plus des pièces mises à la disposition du tribunal - tendant au renouvellement de sa carte d’identité d’étranger, tout en l’invitant à se présenter devant ladite commission consultative pour faire valoir ses moyens de défense.

Après avoir entendu Madame MWANGA CHUCHU en date du 29 avril 1999, la commission consultative rendit, en date du 5 mai 1999, un avis défavorable.

Par arrêté du 25 mai 1999, notifié le 1er juin 1999, le ministre de la Justice refusa à Madame MWANGA CHUCHU la délivrance d’une carte d’identité d’étranger et l’invita à quitter le territoire luxembourgeois un mois après la notification dudit arrêté.

Ledit arrêté ministériel est fondé sur un défaut de moyens d’existence personnels et sur le fait que, par son comportement personnel, l’intéressée constitue un danger pour l’ordre public luxembourgeois.

Suite à un recours gracieux introduit en nom et pour compte de Madame MWANGA CHUCHU par lettre de son mandataire de l’époque en date du 8 juin 1999, le ministre de la Justice confirma, par lettre du 13 juillet 1999 sa décision de refus initiale.

Par requête déposée le 26 août 1999, Madame MWANGA CHUCHU a introduit un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 25 mai 1999.

QUANT A LA COMPETENCE ET A LA RECEVABILITE Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre subsidiaire, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2/99, V° Recours en réformation, n° 5, pages 267 et 268, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

2 Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

QUANT AU FOND La demanderesse conclut en premier lieu à l’annulation de la décision critiquée au motif qu’elle ne serait pas motivée à suffisance de droit. Elle soutient plus spécialement que le ministre aurait omis de préciser concrètement les raisons de fait qui, dans le cas d’espèce, justifieraient la décision de refus, de sorte que, d’une part, le juge administratif ne serait pas en mesure de contrôler la légalité de la décision et, d’autre part, elle-même resterait dans l’impossibilité d’assurer valablement la défense de ses intérêts.

Le délégué du gouvernement relève en premier lieu que la prise de la décision ministérielle a été précédée d’une convocation et d’une comparution de la demanderesse devant la commission consultative, devant laquelle un « débat contradictoire a eu lieu et où la requérante a pu s’exprimer sur les faits qui lui ont été reprochés ».

En outre, le délégué entend compléter le motif tiré de ce que le comportement de la demanderesse constituerait une atteinte à l’ordre public en ajoutant que les faits reprochés à la demanderesse ressortiraient de différents rapports de police produits en cause, notamment d’un rapport de la police d’Esch-sur-Alzette du 5 mars 1999 qui fait état de ce qui suit: « En ce qui concerne sa conduite, l’intéressée a été mise aux arrêts le 9 juin 1998, alors qu’elle se trouvait en état d’ébriété. Le 1er juillet 1998 elle a été hospitalisée à l’Hôpital Neuro-

Psychiatrique d’Ettelbruck. Le 30 juin 1998, procès verbal a été rédigé à son égard pour endommagement volontaire de biens d’autrui ».

Le délégué ajoute qu’il se dégagerait d’un autre rapport de la police d’Esch-sur-Alzette en date du 23 avril 1998 que, durant l’année 1997, la demanderesse a fait l’objet de 14 procès-

verbaux pour tapage nocturne et pour infractions commises contre la loi sur le cabaretage.

En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

La sanction d’une absence de motivation d’une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter ses motifs postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance.

En l’espèce, le reproche tiré d’une absence ou insuffisance de motivation est à abjuger, dès lors que la décision ministérielle litigieuse ensemble les compléments et pièces apportés au cours de la procédure contentieuse, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus de délivrer une carte d’identité d’étranger, à savoir, d’une part, l’absence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour et de voyage dans le chef de la demanderesse et, d’autre part, un comportement mettant l’ordre public en danger, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse, laquelle a ainsi été mise en mesure 3 de faire valoir, en pleine connaissance de cause, tels arguments et moyens qu’elle a jugés nécessaires ou simplement utiles en vue de la défense de ses intérêts.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il convient encore de contrôler si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision ministérielle de refus.

Le tribunal procédera ci-après en premier lieu à l’examen de la légalité du motif tiré du défaut de preuve de l’existence de moyens personnels suffisants.

La demanderesse conteste le bien fondé de ce motif en faisant valoir que s’il est vrai qu’elle ne percevait qu’un secours d’environ 32.000.- francs par mois de la part de l’office social de la commune d’Esch-sur-Alzette, il conviendrait cependant de considérer que la délivrance d’une carte d’identité d’étranger lui permettrait d’obtenir un permis de travail, de sorte qu’elle pourrait obtenir un emploi rémunéré sinon bénéficier des dispositions de la loi du 26 juillet 1986 portant création du droit à un revenu minimum garanti. Ainsi, selon la demanderesse, le motif tiré de l’absence de moyens d’existence personnels manquerait de fondement « alors qu’il est la conséquence non pas d’une volonté délibérée de [sa part] (…) mais de la position adoptée par l’autorité administrative, respectivement de son refus de lui délivrer une carte d’identité d’étranger ».

L’article 5 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère dispose que « la carte d’identité d’étranger peut être refusée et l’autorisation de séjour valable pour une durée maximale de douze mois peut être refusée ou révoquée à l’étranger:

1) qui se trouve dans une des hypothèses prévues à l’article 2 [de ladite loi] (…) ».

L’article 2 de ladite loi du 28 mars 1972 dispose notamment que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2/99, V° Etrangers, II Autorisation de séjour -

Expulsion, n°68, et autres références y citées).

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis que la demanderesse ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision critiquée a été prise, l’aide sociale ne s’analysant pas en des moyens personnels, mais constituent un secours procuré par un tiers.

En outre, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’argumentation consistant à soutenir que la délivrance d’une carte d’identité d’étranger permettrait à la demanderesse d’obtenir un permis de travail et que la décision de refus querellée serait à l’origine de l’absence de moyens d’existence personnels dans son chef, étant donné que cette argumentation n’est pas pertinente et méconnaît le fait qu’en l’espèce, l’absence de moyens d’existence n’est pas la conséquence du refus de délivrance d’une nouvelle carte d’identité mais en est la cause.

4 Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit et conformément aux articles 2 et 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a refusé la délivrance de la carte d’identité d’étranger sollicitée en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels pour supporter les frais de séjour de la demanderesse.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, et que, partant, l’examen du deuxième motif invoqué à l’appui du refus ministériel, de même que des critiques afférentes, devient superflu, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par la demanderesse tiré de la violation de son droit au regroupement familial, lequel tiendrait la disposition précitée en échec. Dans le cadre de ce moyen, la demanderesse soutient que son éloignement du Grand-Duché de Luxembourg impliquerait qu’elle serait séparée de sa fille mineure qui, bien que vivant avec son père, serait toujours en contact avec elle, notamment par le biais de l’exercice d’un droit de visite dont la mère bénéficierait.

Le délégué du gouvernement estime que ce moyen serait à rejeter au motif qu’il n’y aurait en l’espèce pas ingérence dans la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée la « Convention européenne des droits de l’homme ». Dans ce contexte, il soutient que « le fait de voir son descendant une fois par semaine, voire une fois toutes les deux semaines, ne saurait équivaloir à une vie familiale au sens [de ladite disposition] (…) ». En outre, le représentant étatique relève que lors de l’audition devant la commission consultative, la demanderesse aurait marqué son accord à quitter le Luxembourg et à rentrer dans son pays d’origine et qu’il se dégagerait d’un courrier du mandataire actuel de la demanderesse en date du 16 septembre 1999 qu’elle envisagerait un départ pour les Etats Unis d’Amérique.

Lors des plaidoiries, le mandataire de la demanderesse a précisé que les déclarations relativement à un départ volontaire de sa mandante ne devraient pas être considérées comme manifestation d’un désintérêt envers sa fille ou une intention de rompre leurs liens, mais qu’elles auraient été formulées en ordre subsidiaire pour le cas où les instances compétentes devraient respectivement maintenir ou confirmer la décision négative.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, ledit article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

5 Il est constant en cause que Madame … MWANGA CHUCHU est entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au cours de l’année 1988, qu’en l’absence d’informations précises, mais eu égard au fait que le présent recours concerne un refus d’un renouvellement d’une carte d’identité d’étranger, le séjour au Luxembourg a, au moins en partie, été régulier.

Il se dégage encore des éléments fournis en cause que Madame MWANGA CHUCHU est mère d’une fille, née le 21 novembre 1989, qui réside au Luxembourg, avec son père naturel, étant précisé que, suivant jugement du tribunal de la jeunesse et des tutelles de Luxembourg du 4 octobre 1996, c’est le père qui exerce l’autorité parentale envers l’enfant.

Aux termes du prédit jugement Madame MWANGA CHUCHU bénéficie d’un droit de visite de sa fille chaque quinzaine.

En outre, il ressort des pièces produites en cause, ensemble les précisions apportées lors des plaidoiries par le mandataire de Madame MWANGA CHUCHU et non contredites par le représentant étatique, que Madame MWANGA CHUCHU exerce effectivement et régulièrement le susdit droit de visite et que, même au-delà, elle est en contact quotidien avec son enfant.

Concernant le moyen du délégué du gouvernement tiré d’un défaut de vie familiale effective, il convient de relever que, même en absence d’une vie commune, l’exercice régulier d’un droit de visite d’une mère auprès de son enfant constitue un élément suffisant pour qu’il y ait une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, l’exercice par Madame MWANGA CHUCHU de son droit de visite documente à suffisance de droit que ses liens avec sa fille ont été maintenus malgré la rupture de la cohabitation antérieure et que le moyen proposé par le représentant étatique est à abjuger.

Sur ce et eu égard à l’impossibilité actuelle pour Madame MWANGA CHUCHU de s’installer légalement dans un quelconque autre pays à part son pays d’origine, à savoir le Zaïre, à la distance importante entre ledit pays d’origine et le Grand-Duché de Luxembourg, impliquant - plus particulièrement en raison de ses problèmes financiers - une impossibilité matérielle d’exercice de son droit de visite de sa fille, le tribunal arrive à la conclusion qu’en l’espèce, le refus de renouveler la carte d’identité d’étranger avec invitation de quitter le territoire luxembourgeois constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect d’une vie familiale de la demanderesse.

Il convient encore de se placer sur le terrain du second paragraphe de l’article 8 précité et, sous ce regard, d’examiner si ladite ingérence est justifiée.

Dans ce contexte, il n’est pas contesté et se dégage des développements ci-avant faits au niveau de l’examen de la légalité de la décision querellée, qu’elle s’analyse en une mesure légalement prévue en droit luxembourgeois, de sorte que la condition afférente, libellée dans l’article 8 paragraphe 2 précité, est remplie en l’espèce.

S’il est encore vrai que l’ingérence ci-avant dégagée est, en principe, justifiée lorsque le comportement de l’intéressé est constitutif d’un danger pour l’ordre public, c’est-à-dire 6 lorsque la décision ministérielle s’insère dans le cadre de la prévention des infractions pénales, il n’en reste pas moins qu’au voeu de l’article 8 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’ingérence doit être nécessaire dans une société démocratique. - La vérification de cette exigence appelle le tribunal à mettre en balance l’ampleur de l’atteinte à la vie familiale dont il est question avec la gravité du trouble que l’étranger cause ou risque de causer à l’ordre public.

En l’espèce, l’administration entend justifier la mesure litigieuse en se basant sur deux rapports de la police d’Esch-sur-Alzette des 23 avril 1998 et 5 mars 1999, prérelatés, qui font état de ce que « en ce qui concerne sa conduite, l’intéressée a été mise aux arrêts le 9 juin 1998, alors qu’elle se trouvait en état d’ébriété. Le 1er juillet 1998 elle a été hospitalisée à l’Hôpital Neuro-Psychiatrique d’Ettelbruck. Le 30 juin 1998, procès verbal a été rédigé à son égard pour endommagement volontaire de biens d’autrui » et que, au cours de l’année 1997, Madame MWANGA CHUCHU a fait l’objet de 14 procès-verbaux pour tapage nocturne et pour infractions commises contre la loi sur le cabaretage. - Le tribunal doit relever que ni lesdits rapports de police ni une quelconque autre pièce du dossier administratif ne fournissent des précisions quant à la nature exacte des faits reprochés à la demanderesse.

Abstraction faite de ce que les 14 procès-verbaux pour tapage nocturne et pour infractions commises contre la loi sur le cabaretage doivent être situés dans leur contexte spécifique, c’est-à-dire - tel que cela se dégage des explications non contredites du mandataire de la demanderesse - que les faits y relatifs concernent l’époque où la demanderesse exploitait encore un débit de boissons et qu’elle n’exerce plus cette activité à l’heure actuelle, face à la longueur du séjour de Madame MWANGA CHUCHU au Luxembourg et à la gravité somme toute modérée des atteintes à l’ordre public qui lui sont reprochées, le tribunal estime que le refus de renouveler sa carte d’identité d’étranger avec invitation à quitter le territoire luxembourgeois s’analyse en une ingérence disproportionnée à l’atteinte au droit à sa vie familiale, étant donné que cette atteinte est particulièrement grave en l’espèce dès lors que la conséquence inévitable de la mesure litigieuse, c’est-à-dire le départ de la mère dans son pays d’origine, implique une rupture inévitable des liens qu’elle entretient avec sa fille, - cette dernière n’étant âgée que de 10 ans, à savoir un âge qui nécessite spécialement qu’un enfant soit en contact avec sa mère -.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la décision ministérielle déférée porte atteinte au droit de Madame MWANGA CHUCHU au respect de sa vie familiale et que cette atteinte est disproportionnée par rapport au but légitime, poursuivi par l’administration, de protéger l’ordre public, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision ministérielle critiquée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare justifié;

7 partant, annule la décision du ministre de la Justice du 25 mai 1999 et renvoie le dossier devant ledit ministre;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 23 décembre 1999 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11500
Date de la décision : 23/12/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-12-23;11500 ?

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