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23/12/1999 | LUXEMBOURG | N°11262

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 décembre 1999, 11262


N° 11262 du rôle Inscrit le 26 avril 1999 Audience publique du 23 décembre 1999

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Recours formé par Madame … MARUKASHVILI contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11262 et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 avril 1999 par Maître Joëlle CHOUCROUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, « en présence de [sic] » Maître Marc TRAMOND, avocat

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N° 11262 du rôle Inscrit le 26 avril 1999 Audience publique du 23 décembre 1999

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Recours formé par Madame … MARUKASHVILI contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11262 et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 avril 1999 par Maître Joëlle CHOUCROUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, « en présence de [sic] » Maître Marc TRAMOND, avocat, inscrit audit tableau, au nom de Madame … MARUKASHVILI, née le …, de nationalité géorgienne, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 mars 1999, notifiée le 26 mars 1999, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mai 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé le 27 octobre 1999 au nom de la demanderesse;

Vu le mémoire en duplique déposé le 8 novembre 1999 par le délégué du gouvernement;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc TRAMOND et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 octobre 1997, Madame … MARUKASHVILI, née le …, de nationalité géorgienne, sans état particulier, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 En dates des 14 octobre 1997, 18 et 20 mars 1998, Madame MARUKASHVILI fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Le 28 janvier 1999, la commission consultative pour les réfugiés émit un avis défavorable.

Par décision du 10 mars 1999, notifiée le 26 mars 1999, le ministre de la Justice informa Madame MARUKASHVILI de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».

Par requête déposée en date du 26 avril 1999, Madame MARUKASHVILI a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 10 mars 1999.

La demanderesse fait exposer qu’avant d’être contrainte à l’exil, elle aurait étudié la cybernétique à l’université de Tbilissi et était professeur de mathématiques dans cette ville. A l’heure actuelle, ses parents demeureraient toujours dans sa ville natale … et son frère … MARUKASHVILI résiderait à ….

Concernant les raisons de son départ de son pays d’origine, elle fait exposer que, le 26 mai 1997, elle aurait participé à une manifestation organisée par des partis d’opposition au président géorgien, Monsieur Edouard CHEVARDNADZE et que cette manifestation aurait été violemment réprimée par les forces de l’ordre. Plus particulièrement, elle déclare qu’elle « militait dans une association qui vient en aide aux anciens combattants géorgiens d’Afghanistan (…) [et qu’elle] voulait dénoncer avec ses camarades le total désintérêt des autorités pour ces combattants et l’absence de toute aide (…) ». Selon la demanderesse l’intervention des forces de l’ordre aurait été brutale, beaucoup de participants, y compris la plupart des dirigeants, ayant été blessés ou arrêtés. Ce faisant, selon la demanderesse, les autorités au pouvoir auraient violé les articles 18 et suivants de la déclaration des droits de l’homme ainsi que l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, au motif que « la manifestation n’a jamais dégénéré et ainsi porté atteinte aux règles relatives à la sécurité et à l’ordre publics ».

La demanderesse soutient encore que, en général, la Géorgie ne constituerait pas un pays respectueux des droits de l’homme.

Quant à sa situation personnelle, elle fait exposer qu’à l’occasion de la prédite manifestation du 26 mai 1997, elle aurait été arrêtée dans un commissariat de police et, pendant 24 heures, elle aurait dû subir un « véritable harcèlement moral et des pressions de la police pour qu’elle livre des renseignements ». Ainsi, les policiers « l’ont insulté, commis de gestes dégradants sur elle, menacé de représailles sur sa propre famille et sur les familles de 2 ses élèves, menacé de lui retirer l’exercice de son activité professionnelle, si elle continuait à participer à ces activités politiques et ne coopérait pas [sic] ». Elle fait encore exposer que, grâce à l’intervention de son beau-frère qui aurait travaillé au ministère de l’Intérieur, elle aurait été remise en liberté. Elle relève que cette intervention aurait entraîné que son beau-frère aurait été démis de ses fonctions. La demanderesse fait encore état de perquisitions à son domicile, de ce que ses papiers d’identité auraient été confisqués et que, par la suite, elle aurait encore été re-convoquée à trois reprises. Comme elle aurait été intimidée lors des deux auditions suivantes, lors desquelles les policiers auraient exigé le versement de la somme de 300.- USD « pour prix de sa liberté », elle aurait refusé de s’y rendre la troisième fois. Sur ce, elle aurait été terrorisée et, ne pouvant « se confier à quiconque et pour éviter des problèmes à sa famille », elle aurait décidé de quitter son pays. Enfin, par crainte de représailles, elle soutient ne plus pouvoir retourner dans son pays.

Sur base de cet état des choses, elle estime remplir les conditions de reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et elle soutient que le ministre de la Justice n’aurait pas compris ou mal apprécié sa situation exacte.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Quant au recours en réformation, il expose que lors de sa première audition, la demanderesse aurait fait des déclarations très vagues sur les conditions de son arrivée au Luxembourg. Il relève encore qu’elle n’avait pas de passeport sur elle, ce qu’elle expliquait par le fait que ledit passeport aurait été saisi le 7 juin 1997 en Géorgie. Le délégué ajoute qu’ « il s’est avéré que le 19 août 1998 une personne s’est fait délivrer un visa par le Consulat Général d’Espagne en présentant le passeport de la requérante. Il n’a pu être établi qui était cette personne ».

En outre, le représentant étatique relève que le simple fait d’avoir appartenu entre 1988 et 1990 à un parti, qui a été dissout par la suite, sans avoir eu d’activités politiques autres que quelques participations à différentes manifestations, dont celle du 26 mai 1997, lors de laquelle elle aurait été emmenée par la police et serait restée en garde à vue pendant 24 heures, surtout en l’absence de toute pièce pouvant étayer ses affirmations, ne constituerait pas un fait laissant présumer une persécution, « d’autant plus que la requérante, contrairement à d’autres manifestants a été libérée après 24 heures, qu’elle a pu circuler librement et quitter son pays ». Concernant « la fouille de (…) [son] appartement et le vol (…) [de son] passeport, à supposer que ces faits aient eu lieu, [il estime qu’] il n’est pas établi que les autorités policières en sont à l’origine ».

Sur ce, le délégué conclut que le recours en réformation manquerait de fondement au motif que la demanderesse n’aurait pas établi que sa situation personnelle ait été telle qu’elle pouvait craindre avec raison d’être persécutée au sens de la Convention de Genève.

Etant donné que l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée du 10 mars 1999. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

3 Il s’ensuit que la demande en annulation de la décision critiquée est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame MARUKASHVILI lors de ses auditions en date des 14 octobre 1997, 18 et 20 mars 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours en annulation irrecevable, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

4 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 23 décembre 1999, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11262
Date de la décision : 23/12/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-12-23;11262 ?

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