N° 11644 du rôle Inscrit le 5 novembre 1999 Audience publique du 2 décembre 1999
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Recours formé par Madame … DRACA contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11644 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 1999 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale PETOUD, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DRACA, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er septembre 1999, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 7 octobre 1999, rendue sur recours gracieux;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé le 24 novembre 1999 au nom de la demanderesse;
Vu le mémoire en duplique déposé le 26 novembre 1999 par le délégué du gouvernement;
Vu le mémoire en triplique, intitulé mémoire en duplique, déposé le 26 novembre 1999 au nom de la demanderesse;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pascale PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 30 avril 1999, Madame … DRACA, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, introduisit au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
1 Madame DRACA fut entendue en date du 8 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 5 août 1999, le ministre de la Justice informa Madame DRACA, par lettre du 1er septembre 1999, notifiée le 8 septembre 1999, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.
Votre demande en obtention du statut des réfugiés est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».
Un recours gracieux formé par le mandataire de Madame DRACA par lettre du 4 octobre 1999 à l’encontre de la décision précitée du 1er septembre 1999 fut rejeté par une décision confirmative du ministre de la Justice du 7 octobre 1999.
Par requête du 5 novembre 1999, Madame DRACA a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions déférées des 1er septembre et 7 octobre 1999.
Lors des plaidoiries à l’audience, le délégué du gouvernement a, en premier lieu, conclu au rejet du troisième mémoire déposé en cause en nom et pour compte de la demanderesse.
Aux termes de l’article 7, alinéa 1er, de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il ne pourra y avoir plus de deux mémoires de la part de chaque partie, y compris la requête introductive.
Il s’ensuit que, à défaut d’avoir allégué et, a fortiori, établi l’existence d’un droit de défense par rapport aux conclusions de la partie défenderesse ou à un incident nouveau de procédure se cristallisant au niveau du second mémoire, voire après le dépôt de celui-ci, le mémoire en triplique, intitulé mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 1999 par le mandataire de la demanderesse n’est pas à prendre en considération et n’entrera pas en taxe.
Par ailleurs, c’est à bon droit que, lors des plaidoiries à l’audience et suite à une contestation afférente du représentant étatique, la partie demanderesse a déclaré renoncer à sa demande, telle que libellée in fine au dispositif de sa requête introductive d’instance, tendant à entendre « dire que la dame DRACA bénéficie du statut de réfugié rétroactivement au jour de sa demande », étant donné que pareille demande s’analyse en une demande en réformation pour laquelle le tribunal administratif n’est pas compétent en la présente matière.
En effet, l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit expressément qu’en matière de demande 2 d’asile déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.
Le recours en ce qu’il tend à l’annulation des décisions ministérielles litigieuses est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Bien que présenté seulement par la demanderesse dans le cadre de son mémoire en réplique, le tribunal analysera en premier lieu le moyen d’annulation ayant trait à la procédure d’élaboration des décisions attaquées et tiré du non respect de l’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 en ce qu’il exige relativement aux demandes manifestement infondées que l’autorité compétente statue dans les deux mois à partir de la date d’introduction de la demande d’asile.
S’il est vrai que, dans le cas sous analyse, le délai légal de deux mois n’a pas été respecté par l’administration, étant donné que la demande d’asile a été introduite le 30 avril 1999 et que la décision ministérielle initiale n’a été prise que le 1er septembre 1999, il n’en reste pas moins que, d’une part, ni l’article 10 précité ni une quelconque autre disposition légale ne sanctionne le non respect dudit délai de nullité et, d’autre part, la demanderesse n’a pas rapporté la preuve d’avoir subi un préjudice de ce fait. Sur ce dernier point, il incombe de relever qu’en règle générale, un délai d’instruction plus long que celui prévu par la loi, loin d’enfreindre les droits de la défense, est de nature à les garantir, étant donné qu’il permet une meilleure instruction de la demande d’asile. Il s’ensuit que le moyen d’annulation invoqué manque de fondement et est à rejeter.
La demanderesse soutient que la décision ministérielle serait le résultat d’une mauvaise appréciation de sa situation personnelle. Elle fait exposer, d’une part, qu’avant l’éclatement de l’Etat fédéral yougoslave, elle aurait appartenu à la minorité serbe de la province de Krajina en Croatie, qu’en date du 21 août 1995, par l’effet du mouvement indépendantiste, elle aurait dû quitter le territoire de la Krajina pour se réfugier sur le territoire de la République Fédérale de Yougoslavie, qu’il lui serait impossible de retourner en Croatie, au motif que sa maison familiale serait occupée par les Croates et qu’il y aurait trop de tensions ethniques entre Serbes et Croates et, d’autre part, que sa vie serait également menacée en Serbie, qu’en tant que réfugiée serbe de Croatie, elle n’y bénéficierait pas des mêmes droits que les Serbes qui y sont établis depuis toujours, mais qu’elle serait considérée comme « citoyenne de seconde zone ».
Dans cet ordre d’idées, elle fait valoir qu’elle aurait subi des discriminations en ce qui concerne son accès à l’enseignement supérieur, l’accès à un logement et l’« accès à l’aide humanitaire pendant les bombardements de l’OTAN » et qu’on lui refuserait la nationalité serbe, que s’y ajouteraient des « insultes quotidiennes en raison de sa qualité de réfugié et le risque d’être déplacé arbitrairement par le gouvernement » et qu’« eu égard à son jeune âge et sa condition féminine, [elle] (…) craint également de subir des attaques à caractère sexuel et raciste compte tenu du fait qu’elle est réfugiée de Croatie ».
Le délégué du gouvernement conclut au non fondé du recours au motif que la demanderesse n’aurait aucune raison objective de craindre des persécutions en Serbie. Le fait d’invoquer une prétendue discrimination, nullement établie ni décrite concrètement, en tant que réfugiée de Croatie ne saurait justifier une persécution systématique au sens de la Convention de Genève.
3 Concernant le fait d’avoir été chassée de la Croatie en 1995, le délégué estime que, dans le cadre de sa demande d’asile au Luxembourg, la demanderesse ne saurait plus pertinemment faire valoir lesdits faits, au motif qu’à l’époque, elle aurait trouvé une protection adéquate en Serbie.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement … ”.
En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 “ une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ”.
S’il est vrai que les faits invoqués par la demanderesse sont susceptibles de constituer un motif de persécution ou de crainte de persécution, tel que prévu par l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins qu’il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, pour que l’administration doive analyser sa demande quant au fond, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement.
Le tribunal doit partant examiner, de manière sommaire, et sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou manifestement dénués de fondement.
Or, en l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués à l’appui de la demande d’asile ainsi que des pièces produites en cause amène le tribunal à conclure que la demanderesse n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir la Serbie, pays où elle a trouvé refuge depuis son départ involontaire de la Croatie en 1995. Concernant les faits et motifs relatifs à son départ de Croatie, c’est à bon droit que le ministre de la Justice n’en a pas tenu compte dans le cadre de la demande d’asile de Madame DRACA, étant donné que les faits en rapport avec le départ de Croatie s’avèrent sans relation causale directe avec son départ de la Serbie.
Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Madame DRACA comme étant manifestement infondée. Il s’ensuit que le recours formé par la demanderesse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
4 reçoit le recours en annulation en la forme ;
écarte des débats le mémoire en triplique, intitulé mémoire en duplique, déposé par le mandataire de la demanderesse, au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 2 décembre 1999 par le premier juge, délégué à cette fin, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5